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Faut-il baisser les prélèvements obligatoires ?

 

"Vous souvenez-vous, Mesdames et Messieurs les Ministres, que des millions de personnes tentent de vivre aujourd’hui avec 2500 F par mois dans ce pays ? Vous rendez-vous compte de l’indécence qu’il y a à agiter des milliards et à ne jamais évoquer leur affectation de toute urgence à ceux et celles qui en ont un besoin absolue ?" Ces questions ont été posées par AC !, alors que la polémique sur la "cagnotte" fiscale faisait rage... quelques heures avant que le gouvernement nous déclare : "circulez, il n’y a rien à voir, rien à distribuer... et rien à débattre".

Et c’est ainsi que les 30 milliards de recettes fiscales supplémentaires ont été affectés à la baisse du déficit. Aucun député de la gauche plurielle n’aura bronché, pas même les députés du PCF ou des Verts, dont les partis ont pourtant réclamé, à juste titre, le relèvement des minima sociaux.

Faut-il baisser les "prélèvements obligatoires" ?

La baisse des impôts, réclamée par la droite, Fabius, Hollande et quelques autres reste promise pour cette année (la taxe d’habitation) et les années prochaines (l’impôt sur le revenu). Les mêmes jugent les "prélèvements obligatoires" trop élevés en France. Posons-nous quand même la question : en fonction de quoi ? Qu’est-ce qui permettrait de définir un niveau optimum des prélèvements (impôts ou cotisations) ? Pourquoi 40% serait acceptable mais pas 45% ? Il est clair que ce niveau est un choix politique, à assumer comme tel, à justifier en fonction d’objectifs que l’on se donne, voire du projet de société que l’on adopte. Pour les libéraux, pas de problème : réduire les dépenses publiques est cohérent avec leur volonté de "privatiser" des dépenses aujourd’hui "socialisées". Interrogeons-nous sur ces dépenses "socialisées". L’INSEE a calculé le taux de "socialisation" de notre consommation, qui peut être défini comme la part de notre consommation prise en charge par la collectivité, et qui ne donne donc lieu à aucune dépense individuelle de notre part. Ce taux est de 10% pour le logement, 96% pour l’éducation, 83% pour la santé. La part de la consommation socialisée, plus ou moins importante, comme on le voit, n’a cessé d’augmenter : elle est passée en 25 ans de 18% à 23% de la consommation totale. La demande en biens et services socialisés progresse la plus vite. Comme, depuis le début des années 80, le taux de couverture publique a reculé dans les différents secteurs cités, la hausse des prélèvements obligatoires n’est rien d’autre que le financement social d’une consommation fortement accrue de biens et services en logement, éducation et santé, notamment parmi les couches sociales qui n’y avaient pas accès. L’aspect "redistributif" des prélèvements obligatoires peut aussi être appréhendé à travers l’examen de la part des prestations de toutes sortes (remboursements maladie, retraites, indemnités journalières, indemnités chômage...) dans les revenus : 32% en 1998. La baisse des dépenses publiques serait en fait un profond recul entraînant une aggravation très importante des inégalités.

Contre la dictature des actionnaires, la politique doit reprendre ses droits

A son arrivée à Matignon, en 1997, Jospin avait d’une part suspendu le plan de Juppé de baisse de l’impôt sur le revenu, d’autre part taxé les entreprises de 10 milliards de francs supplémentaires. Mais comme le dit Jospin lui-même, "on évolue"... Le problème de la gauche plurielle est qu’elle évolue vers la droite. Après la baisse des cotisations patronales, votée par toute la gauche plurielle avec la loi Aubry sur les 35 heures, le ralliement à la baisse des impôts est une capitulation idéologique de taille.

François Hollande est favorable à "une baisse générale de l’impôt sur le revenu" : "il faut élargir les tranches au bas du barème et en modifier les conditions d’entrée. Bref, instaurer un taux d’imposition plus faible sur une large tranche de revenus encore modestes. Et il faut veiller à ne pas décourager les classes moyennes par des systèmes d’impôt trop rapidement progressifs" (interview au Nouvel Economiste).

Jospin imite Schröder, qui imite Blair, qui imite Thatcher... La "planification budgétaire" présentée par Sautter est claire : quasi-stagnation des dépenses ces prochaines années (à l’exception toutefois des dépenses d’assurance-maladie), en fait baisse de la part des dépenses publiques dans la richesse totale : 54% du PIB en 1999, 50% en 2003. Pour aujourd’hui, çà signifie le refus d’augmenter les minimas sociaux, ou les 35 h sans créations d’emplois dans les fonctions publiques.

Pour notre part, nous préférons le développement du service public au "désengagement de l’Etat".

Dans la santé et l’éducation, il n’est plus nécessaire de démontrer que des moyens supplémentaires sont nécessaires. Mais dans beaucoup d’autres domaines de la vie sociale, le renforcement de l’action publique (l’Etat ou les collectivités territoriales) est aussi impérieux : la protection de l’environnement, la sécurité sanitaire, l’action sociale, la politique de la ville, les transports, etc. Plus personne ne croyant encore à la seule régulation par le marché, le débat s’est déplacé à la définition de cette action publique, que le Jospin appelle la "régulation".

"L’affaire Moulinex" apporte une belle illustration de l’auto-limitation de l’ambition social-démocrate (social-libérale). Le sous-ministre de l’industrie l’a dit cyniquement : la décision de Blayau est une décision privée, que l’Etat ne conteste pas, l’Etat apporte seulement son concours dans l’accompagnement social. Cette auto-limitation s’accompagne du retrait de l’Etat du domaine de la production, les privatisations ayant battu leur record avec Jospin. C’est une auto-limitation inacceptable, qui équivaut à la capitulation du politique devant l’économie. Au contraire, une vraie politique de gauche n’hésiterait pas à contester la décision des actionnaires, à agir par tous les moyens (y compris par la loi, par exemple une loi interdisant les licenciements) pour imposer d’au-tres choix (lire l’article sur Moulinex).

Réforme fiscale contre baisse des impôts

Qu’elles servent à financer à hauteur des besoins les dépenses "socialisées", les revenus de remplacement ou l’action économique publique, les recettes fiscales doivent être augmentées et non diminuées. La réforme fiscale de gauche que la "gauche plurielle" ne fera pas devrait en fait avoir deux objectifs : donner de nouvelles marges de manoeuvre à l’Etat et aux collectivités territoriales, ce qui inclut le nécessaire débat sur la mauvaise utilisation, aujourd’hui, des recettes, voir par exemple les dépenses militaires ; réduire la pression fiscale sur les plus pauvres (par exemple, comme le réclame AC !, exonérer de la taxe d’habitation tous les revenus inférieurs au SMIC), baisser fortement la TVA, accroître très fortement la progressivité de l’impôt sur le revenu (et pourquoi pas un taux voisin de 100%, au-delà d’un certain seuil de revenu ?), introduire de la progressivité là où il n’y en a pas (taxes locales, CSG), taxer plus fortement les bénéfices des entreprises.

Augmentation de l’intervention publique, augmentation de la part des dépenses "socialisées", augmentation de la couverture publique et réforme fiscale forment un tout cohérent qui s’oppose presque point par point à la politique social-libérale. C’est une base indispensable pour engager la transformation sociale que nous voulons. Sur un tel programme, il est possible de rassembler à gauche bien plus largement qu’il n’y paraît. Côté PCF et Verts, la question est de savoir si la chape de plomb de la "solidarité gouvernementale" s’imposera encore une fois. Réponse dans quelques mois.

16 octobre 2001


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