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Les mouvements de chômeurs écrivent aux autorités publiques et morales

 

AC ! (Agir Ensemble contre le Chômage)
APEIS (Association Pour l’Emploi, l’Information et la Solidarité )
MNCP (Mouvement National des Chômeurs et Précaires)

Paris le 20 Mars 2000
à
Monsieur le Président de la République
Monsieur le Premier Ministre
Madame la Ministre de l’emploi et de la Solidarité
Messieurs les Présidents de l’Assemblée Nationale, du Sénat, du Conseil Economique et Social
Mesdames et Messieurs les Présidents et Secrétaires Généraux des Organisations syndicales de salariés
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel
Messieurs les Présidents des Organisations patronales
Mesdames et Messieurs les Présidents de l’UNEDIC, de la CAF, de la CNAM, de la CNAVTS
Monsieur le Président de la Ligue des Droits de l’Homme

Objet : indemnisation du chômage

Madame, Monsieur La convention UNEDIC actuelle aurait dû être renégociée avant le 31 Décembre 1999. Prise dans le tourbillon du débat engagé par le MEDEF sur le paritarisme, la loi sur les 35 h et la "refondation sociale", elle a finalement été prorogée jusqu’au 30 Juin 2000. Pourtant, il y a urgence, car la situation ne cesse de se dégrader depuis 1992. Fin Décembre 1999, le nombre d’indemnisés par le Régime d’Assurance Chômage s’élèvait à 1 750 000 personnes, soit 44% du nombre des inscrits au chômage (cat 1,2,3,6,7,8, 3 935 575 personnes). A la même date 496 000 personnes touchaient l’Allocation Spécifique de Solidarité et plus d’un million le RMI. De très nombreux chômeurs et chômeuses n’ont droit à rien, en particulier les jeunes dont les contrats précaires n’ouvrent pas de droits dans le cadre de la convention UNEDIC depuis 92 et qui sont toujours interdits de RMI ou de toute autre allocation, et les chômeurs longue durée qui ont vu leur accès à l’ASS restreint par une réforme de janvier 97 . De plus le RMI et l’ASS tiennent compte des ressources du foyer, ce qui exclut nombre de personnes ayant pourtant acquis des droits individuels par l’emploi. Le niveau de l’indemnisation n’a cessé de se dégrader du fait de la dégressivité mais aussi de la multiplication des temps partiels contraints qui n’ouvrent le droit qu’à une indemnisation partielle.

Au delà des organisations de chômeurs, associatives ou syndicales, de nombreux rapports officiels attestent cette dégradation. Nous en citons quelques uns : "L’allocation unique dégressive et surtout l’allongement de la période de référence pour l’ouverture des droits, ont accentué l’accroissement du nombre de chômeurs non indemnisés qui a augmenté de près de 60% depuis 1990". "L’allocation unique dégressive a conduit à une diminution nette du niveau d’indemnisation du chômage. Ainsi, du 31 Décembre 1991 au 31 Mars 1996, la part d’allocataires indemnisés à moins de 3000 F est passée de 37,5% à 45,6%". (Robert Castel, Jean Paul Fitoussi, Jacques Freyssinet, Henri Guaino, "Chômage, le cas français", rapport au Premier Ministre, 1997)

"Les restrictions apportées à l’assurance chômage ont entrainé des transferts vers l’assistance chômage ou vers des régimes de minima sociaux. Ces transformations ont contribué à la croissance de la pauvreté dans sa définition relative" (Jacques Freyssinet, "Pauvreté et exclusion", Rapport du Conseil d’Analyse Economique au Premier Ministre 1998)

"Fin décembre 1996, 37,5% des allocataires du régime d’assurance chômage percevaient une indemnité inférieure à 3000 F par mois, 38% une indemnité comprise entre 3000 et 5000 F et 24,5% une indemnité supérieure à 5000 F". "Une partie de la croissance des allocataires du RMI à partir de l’année 1992 ne peut trouver son explication que dans l’accroissement du nombre de demandeurs d’emploi n’ayant pas droit à indemnisation". "...tout se passe comme si l’existence d’un revenu minimum d’insertion avait autorisé un certain désengagement des systèmes d’indemnisation du chômage, du ait notamment d’évolutions du marché du travail qui apparaissent étrangères aux principes des régimes d’assurance et de solidarité chômage et incompatibles avec leurs possibilités financières". (Marie-Thérèse Join-Lambert, Rapport au Premier Ministre sur les problèmes soulevés par les mouvements de chômeurs en France fin 97-début 98, mars 1998)

L’ensemble de ces constats indique qu’il faut transformer profondément les dispositifs d’indemnisation du chômage en France, qu’il y a urgence. La Constitution de ce pays prévoit que "chacun a le devoir de travailler, a le droit à un emploi et à des moyens convenables d’existence". Il y a aujourd’hui en France, des millions de personnes qui n’ont ni emploi, ni moyens convenables d’existence.

Nos trois associations s’adressent à vous qui avez les plus hautes responsabilités politiques, économiques et sociales pour qu’enfin la décision de refonder totalement les systèmes existants soit prise.

Nous avons élaboré des propositions suivantes qui pourraient servir de base à un grand débat national. Nous vous les soumettons.

Indemnisation de toutes les formes de chômage pour arriver à une garantie de revenu.

Flux tendu, stocks zéro, flexibilité accrue, précarité qui explose, temps partiel imposé : à toutes ces situations doivent répondre de nouveaux droits individuels et collectifs en matière d’indemnisation du chômage. Il s’agit de substituer à la logique libérale qui prévaut depuis 1992 (dégressivité, délais de carences, restriction des conditions d’ouverture de droits, calculs de taux toujours défavorables aux chômeurs en cas de réadmission) une réelle protection sociale telle que la prévoyait le système de sécurité sociale de 45 : assurer un revenu quels que soient les aléas de la vie.

Pour mémoire, la CGT et la CFDT, dans une déclaration remise au Premier Ministre en Décembre 1974, se prononçaient pour que les indemnités en cas de chômage soient de 90% de l’ancien salaire et jamais inférieures au SMIC

Le SMIC qui est considéré comme le salaire minimum pour vivre doit également être la référence pour les chômeurs. Il s’agit de faire prévaloir une logique reposant sur les besoins. Une telle référence devrait par ailleurs sérieusement faire régresser tous les emplois aujourd’hui rémunérés au dessous de ce seuil. C’est en effet un des rôles essentiels de l’indemnisation du chômage : elle contribue à déterminer la norme d’emploi.

Les jeunes de moins de 25 ans, qu’ils aient ou non déjà travaillé, ne doivent pas être laissés à l’écart de cette protection sociale.

Dans un tel système, les droits seront individuels et non liés aux ressources du foyer ou différentiels comme c’est le cas pour le RMI

Puisqu’il s’agit de garantir une réelle protection sociale, ces droits ne dépendront pas d’une durée préalable de travail ou d’un temps plein.

Pour une unification des systèmes

Cette protection sociale garantissant un revenu doit conduire à une unification des régimes actuels AUD, ASS, et la plupart des minima sociaux qui sont de fait en grande partie des allocations chômage.

Le rapport Join-Lambert a très bien mis en évidence que l’augmentation du nombre de Rmistes était dûe au désengagement de l’assurance chômage. Dit autrement, le patronat fait de plus en plus porter sur le budget de l’Etat, donc la collectivité nationale les conséquences de ses choix de gestion des entreprises.

Ni paritarisme, ni Etat seul.

Le paritarisme en vigueur à l’UNEDIC n’est pas celui qui prévalait dans le système de sécurité sociale de 45 ; il a fait la preuve qu’il n’était pas en mesure de garantir les droits des chômeurs. - un nombre égal de représentants patronaux et syndicaux donne de fait le pouvoir à la partie patronale par un jeu d’alliances et de donnant-donnant totalement néfaste pour les salariés, avec ou sans emploi - ce paritarisme, en ce qui concerne la partie syndicale, n’a rien de démocratique puisque - les "représentants" ne sont jamais élus, et ont un seul poste quelle que soit l’importance de l’organisation - seules 5 confédérations sont représentées à l’exclusion des autres syndicats et des associations de chômeurs et précaires en particulier.

Nous proposons de construire une alternative à ce système au lieu de supplier le patronat de ne pas s’en aller.

L’Etat a en charge tous les minima sociaux, mais il n’a pas lui non plus garanti des droits pour les allocataires. Quant à la consultation des organisations défendant les chômeurs et les précaires, il faudra plusieurs dizaines d’ASSEDIC occupées depuis plus de 3 semaines en 97 pour que le gouvernement reçoive associations et syndicats. Dans sa gestion des minima, l’Etat agit souvent davantage en auxiliaire de la précarisation qu’en garant des droits fondamentaux tels que le dit la Constitution .

Pour une démocratie sociale renouvelée, une charte de service public

Le MEDEF , dans le cadre de sa "refondation sociale", a déclaré vouloir de la part des ASSEDIC une plus stricte incitation à reprendre un emploi, et la possibilité de supprimer les allocations si tel n’est pas le cas. Décrypté, cela pourrait signifier que le projet patronal vise à faire de l’assurance chômage un régime d’assurance strict, déconnecté de la reconnaissance du statut de demandeur d’emploi donné par la puissance publique.Il y aurait ainsi une sorte de garantie minimale assurée par l’Etat et un régime d’assurance variable en fonction des risques, des profils... Nous sommes en désaccord total avec une telle vision et lui opposons une autre proposition.

Une charte devrait organiser, sur des principes publics, le fonctionnement d’un système unifié de revenu garanti, véritable protection sociale pour tous . Elle organiserait la coopération dans le cadre de cette charte de tous ceux qui concourent à ce revenu (Etat, ANPE, UNEDIC, CAF, etc...) Elle organiserait la convergence des financements qui devraient reposer à la fois sur le budget de l’Etat et sur un prélèvement au niveau des entreprises qui tienne compte non seulement de la masse salariale, mais aussi de la valeur ajoutée, qui taxe les profits et dividendes versés aux actionnaires, qui pénalise les gestions de main d’oeuvre renforçant précarité et temps partiel.

La représentation des salariés, des chômeurs et des précaires doit être assurée ; le principe d’élections doit être débattu . => Des revendications immédiates

Dans le cadre de cette charte, mais même si le système restait en l’état, nous exigeons :
-  une représentation des chômeurs et des précaires, ainsi que les droits démocratiques de base que sont l’affichage et la possibilité de se réunir dans les ASSEDIC
-  un contrôle et une transparence du fonctionnement des ASSEDIC, la possibilité d’assister à toute délibération des commissions paritaires

-  la fin de la dégressivité
-  l’ouverture des droits dès 2 mois (durée moyenne d’un CDD) de travail dans les 18 derniers mois
-  fin des délais de carence
-  en cas de réadmission, retour au taux le plus élevé pendant la période la plus longue (situation avant 92)
-  l’accès à l’allocation plancher même en cas de temps partiel précédent - une augmentation immédiate de celle-ci de 1500 F pour aller au SMIC garanti
-  l’arrêt de toute "activation des dépenses passives" . Nous ne sommes pas convaincus que ce soit le régime d’assurance chômage qui doit payer l’ARPE
-  le droit aux allocations même en cas de démission (elles sont souvent des licenciements déguisés)
-  un droit aux AFR sans contrainte de délai

-  le remise en place d’un fond social d’urgence à hauteur de 3% du montant des allocations versées.

Dans le cadre du débat sur le collectif budgétaire, nous exigeons qu’une part des ressources supplémentaires soit affectée prioritairement au relèvement des minima sociaux et à l’instauration d’une allocation pour les moins de 25 ans.

Le Gouvernement doit prendre de toute urgence l’initiative d’ouvrir cette négociation. En ce sens nous partageons l’idée de ceux, dont la CGT Chômeurs qui ont lancé un appel à une table ronde sur l’assurance chômage.

Nous espérons que l’urgence de la situation quotidienne de millions de personnes mais aussi l’occasion qui peut être offerte de faire un pas dans le sens d’une plus grandde justice et d’une plus grande démocratie auront attiré votre attention.

Nous sommes, Madame, Monsieur, à votre disposition pour toute discussion, mais nous attendons surtout que vous preniez des dispositions pour que le débat ait lieu dans les semaines qui viennent.

Pour AC ! , Claire VILLIERS
Pour l’APEIS, Philippe VILLECHALANNE
Pour le MNCP, Zalie MANSOIBOU

20 avril 2000


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