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Pour un grand service public de la recherche, de l’enseignement, de la culture et de l’education populaire.

Puisque nous souhaitons un débat sur ce domaine de la culture sur voici un texte de l’ami Christian Maurel qui pose le débat là où il doit l’être : "Pour un grand service public de la recherche,de l’enseignement,de la culture et de l’éducation populaire" ;voilà de quoi alimenter les discussions dans la campagne ...

Déjà moi,je mets un bémol (j’émets un désaccord profond même)pour lancer le débat : DE QUEL DROIT ADMINISTRER LA CULTURE ???? (en 1981 la gauche avait même créé un "ministère du temps libre"...on a administré notre liberté ;un comble !!!

 

POUR UN GRAND SERVICE PUBLIC DE LA RECHERCHE, DE L’ENSEIGNEMENT, DE LA CULTURE ET DE L’EDUCATION POPULAIRE.

Le débat de la prochaine campagne présidentielle peut-il et doit-il se réduire à une dispute sur la création de 60.000 postes d’enseignants ? Certainement pas. La question des moyens budgétaires est déterminante mais elle ne saurait constituer l’alpha et l’oméga d’une réflexion politique qui entendrait concerner l’ensemble des citoyens sur ce thème central qu’est l’éducation.

Nous plaidons en faveur d’un grand service public - le premier de la nation par ses missions et ses moyens - de la recherche, de l’enseignement, de la culture et de l’éducation populaire. Pour répondre de quels enjeux et pour remplir quelles missions ?

Les enjeux majeurs sont au nombre de trois :

-  La crise économique, sociale et écologique qui indique que les citoyens doivent reprendre leur destin en main et, pour cela, en avoir la force et les outils.

-  La réduction des inégalités sociales et culturelles qui menacent la cohésion et le vivre ensemble. Pensons que de 1960 à nos jours, le rapport des revenus entre les 5% les plus riches et les 5% les plus pauvres est passé, à l’échelle planétaire, de 1 à 30 à 1 à 72. Pendant que l’Europe s’épuise à trouver 150 milliards d’euros pour sauver la Grèce de son endettement, la fortune des 0,2% les mieux lotis de notre Terre est estimée à 39 000 milliards. On peut parler de «  rémunérations obscènes » pour reprendre le titre du livre de Philippe Steiner.

-  La transformation et le redéploiement d’une démocratie dans laquelle, en l’état actuel de sa pratique et de son fonctionnement institutionnel, le peuple ne se reconnait pas, notamment les jeunes et les couches populaires.

Au regard de ces enjeux, les missions de ce grand service public de la recherche, de l’enseignement, de la culture et de l’éducation populaire sont au nombre de quatre :

-  La compréhension du monde complexe dans lequel nous vivons, de la place que nous y occupons et de celle que nous pourrions y avoir.

-  L’émancipation comprise comme cette capacité à sortir de la place qui nous a été assignée par les conditions sociales, le genre, le handicap, quelques fois même, la culture d’appartenance.

-  L’augmentation de notre puissance individuelle et collective d’agir, de peser sur les évènements et de faire l’Histoire, la sienne propre et celle qui doit nous être commune.

-  La transformation sociale et politique d’un monde qui ne peut et ne doit rester plus longtemps en l’état.

N’est-ce-pas trop demander à un tel service en lui assignant des objectifs que ses acteurs pourraient considérer comme non adaptés aux compétences et aux missions qui étaient jusque là les leurs ?

On entend déjà certains dire qu’il est déjà bien difficile de construire des savoirs, de les transmettre, de soutenir la création artistique et d’élargir les publics, que la portée politique et sociétale de leur activité n’est pas de leur responsabilité ou encore qu’ils s’y refusent au nom de leur éthique personnelle.

L’actuelle Éducation Nationale ne peut seule répondre de ces enjeux. On demande aux enseignants, notamment dans les espaces de relégation sociale, de remplir trois missions : transmettre des savoirs, éduquer au civisme, former à l’emploi, alors que bien souvent et dans le meilleur des cas ils ne dominent qu’une discipline fraichement apprise à l’Université.

Il est donc urgent de donner un nouveau visage à l’acte éducatif et culturel en se situant d’emblée au niveau des exigences que les transformations de la société nous imposent. Il nous apparait que la recherche, l’enseignement, l’action culturelle et l’éducation populaire repensées et mises en œuvre ensemble et en cohérence peuvent efficacement contribuer à relever les défis de notre temps.

D’abord, la recherche, par la liberté qu’elle devrait avoir de construire des savoirs à la fois fondamentaux, critiques et utiles à la transformation, en conscience et en toute lucidité, des rapports avec notre environnement social et naturel, et non dans une dépendance aliénante de la production, de la croissance économique et des pouvoirs politiques.

Ensuite, l’enseignement au sens que lui donnait le rapport Condorcet de 1792 sur l’Instruction Publique et dont il suffirait de changer quelques mots pour qu’il retrouve toute son actualité : « Offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de connaitre et d’exercer leurs droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs ; assurer à chacun d’eux la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d’être appelé, de développer toute l’étendue de talents qu’il a reçus de la nature ; et par là même établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi. Tel doit être le premier but d’une instruction nationale ; et, sous ce point de vue, elle est, pour la puissance publique, un devoir de justice ».

Également, l’action culturelle à condition de ne pas la réduire à la démocratisation par l’offre artistique qui, bien souvent et comme nous le montrent les enquêtes statistiques, ne réussit qu’à mieux « cultiver » ceux qui le sont déjà.

Il s’agit, bien plus, de promouvoir une intelligente articulation de la démocratie culturelle donnant « droit de cité » aux différentes cultures et une démocratisation (Paul Vaillant-Couturier parlait de «  popularisation ») des grandes œuvres de l’Humanité, de ne plus opposer pratiques amateurs et pratiques professionnelles, de considérer, comme le revendique le comédien Robin Renucci (Le Monde du 8/9/2011), que « le rapport à l’art, la construction culturelle de soi passent par la pratique, par une relation sensible, développée et valorisée dès le plus jeune âge ». Ainsi conçue, l’action culturelle ne se limite plus à un accès aux œuvres mais fait en sorte que « les œuvres œuvrent » selon la belle formule de Bernard Stiegler reprise par le même Robin Renucci qui en fait tous les ans l’expérience en Corse dans le cadre des rencontres de l’ARIA.

L’éducation populaire, enfin, qu’il faut définitivement sortir du Ministère de la Jeunesse et des Sports où elle étouffe et meurt à force d’être instrumentalisée au nom d’une improbable cohésion sociale qui jamais ne pourra se construire d’en haut.

Il faut au contraire en faire la clé de voute de ce grand service scientifique, éducatif et culturel que nous défendons car c’est elle qui au quotidien, au plus prés des gens, à travers les mouvements de jeunesse, les structures de proximité (Maisons des Jeunes et de la Culture, Centres Sociaux, Universités Populaires...), les associations, les syndicats et les dynamiques d’engagement collectif...met en action tout un chacun pour qu’il devienne « oeuvrier » (Bernard Lubat), produise des savoirs jusque là « inouïs » (Pierre Roche) parce que « assujettis » (Michel Foucault), et qu’ainsi il fasse les premiers pas sur le chemin de l’émancipation et du politique.

Il s’agit rien moins que de refaire société autrement en mettant chacun en droit et capacité de défendre et promouvoir les droits fondamentaux de chaque être humain, ce que nous appelons « la liberté inaliénable de normativité » à distinguer d’une « prétendue normalité objective » dans laquelle on s’attache avec force à nous enfermer. « Substituer enfin l’ambition d’éclairer les hommes à celle de les dominer » disait déjà Condorcet en 1792. Une belle devise pour ce grand service public de la Recherche, de l’Enseignement, de la Culture et de l’ Éducation Populaire.

Christian MAUREL, sociologue, ancien Délégué Régional des Maisons des Jeunes et de la Culture et Professeur associé à l’Université Aix-Marseille I, cofondateur du collectif national « Éducation Populaire et transformation sociale ». Derniers ouvrages parus : Éducation populaire et puissance d’agir. Les processus culturels de l’émancipation (Éditions L’Harmattan, Paris 2010) ; Le châtaignier aux sabots ou les longs hivers -roman- (Éditions de l’Officine, Paris 2010)

2 décembre 2011


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