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Coup de gueule contre les coups dans la gueule

article paru dans la revue Le Bouffon (N°6 novembre 2005)

 

Comme les chômeurs et tous les autres précaires, les intermittents se prennent plein de coups dans la gueule !

Le premier de ces coups, c’est l’application du protocole du 26 juin 2003 dont les conséquences sont bien, hélas, celles que nous avions prévues.

Comme l’affirme sans fard et sans honte, le directeur général adjoint de l’Unedic, Jean-Pierre Revoil : “ Je crois que l’on peut dire que l’on a enrayé la croissance des dépenses et la croissance des déficits [...] Cette situation s’explique par une réduction du nombre des intermittents en raison du durcissement des règles. Désormais, il faut être du métier. La réforme a professionnalé le secteur, il y a eu de l’écrémage.” Nous y voilà ! Le véritable but de la réforme, c’est “l’écrémage” : attaquer les droits sociaux pour exclure les plus précaires (au moins 21 700 personnes ont été exclues du régime spécifique d’assurance chômage - chiffre officiel pour 2004) !

D’autres coups dans la gueule renforcent insidieusement cette logique. Ce sont des mesures qui visent paraît-il à “réguler” ou “gérer” ou encore “maîtriser” (selon la terminologie de l’expert gouvernemental) le secteur de l’intermittence ; ainsi :

-  la licence d’entrepreneur du spectacle, obligatoire pour organiser des spectacles et employer des artistes, et de plus en plus refusée aux petites compagnies et structures qui demandent son renouvellement. En région PACA, pilote en la matière, 1/3 des licences n’ont pas été renouvellées, soient 337 compagnies rayées de la carte ! Plus 215 dans le reste du pays...
-  les assedic appliquent désormais la régle du chômage saisonnier aux intermittents qui ont été au chômage sur une même période de plus de 30 jours pendant 3 ans. Par exemple, un artiste qui ne travaille pas en juillet/août depuis 3 ans, se voit amputer ses droits et minorer son allocation...
-  un diplôme d’enseignement du théâtre a été institué. Ce diplôme qui n’est pas encore obligatoire pourrait le devenir peu à peu et permettre de mieux contrôler les professionnels. Le jury de cet examen dont le Président est le fonctionnaire de la DRAC, directeur de la danse, de la musique et du théâtre, est désigné par...le fonctionnaire de la DRAC, directeur de la danse, de la musique et du théâtre...

Bref, c’est bien une logique d’exclusion et de contrôle qui est à l’oeuvre depuis 2003. Le nouveau ministre est certes plus habile que son prédecesseur, mais il appartient bien à la même famille. La politique de l’emploi culturel qu’il défend, c’est celle... du marché ! La culture n’est plus considérée comme un lien humain favorisant le développement du goût, de l’intelligence, de l’esprit critique, de l’échange, mais comme un marché libéral, privé, compétitif. Marché qu’il faut réguler en excluant les moins prestigieux et les moins rentables. La logique comptable est plus que jamais à l’oeuvre dans le domaine de la culture, là où justement elle devrait être un moyen et non un but.

Ainsi le rapport Guillot1 répond à ces objectifs en proposant pour mieux réguler (virer), gérer (dépenser le moins possible), maîtriser (mater) le secteur :

-  1 - Une réglementation stricte du recours au CDD d’usage. Le contrat à durée déterminée dit d’usage est le contrat le mieux adapté pour les emplois dans l’ensemble du spectacle. Réduire son champ d’application, c’est exclure des intermittents qui ne pourront être employés qu’en CDD de droit commun ou ne plus être employés du tout.

-  2 - Le conditionnement de l’octroi de subventions au volume d’emploi Certaines DRAC ont ajouté une ligne dans les formulaires de demande de subvention : “combien votre structure emploie-t-elle de permanents ?”. C’est ce que préconise le rapport Guillot : pas de subvention sans création d’emplois permanents. Il faut beaucoup d’argent pour créer ce genre d’emplois qui sont d’ailleurs le plus souvent administratifs. Ainsi, demain, seuls les projets des grandes compagnies ou festivals verraient le jour excluant ceux qui n’ont pas accès aux réseaux qui permettent de trouver beaucoup d’argent, c’est-à-dire la plupart.

-  3- - La limitation à la formation Selon Guillot, les formations doivent être « professionnelles de qualité » et adaptées (en terme de contenu et d’effectifs) au marché de l’emploi. La limitation des formations va faire disparaître toutes celles qui permettent d’aborder autrement nos disciplines, de continuer à les enrichir et de nourrir les différentes pratiques. Les intermittents entrant dans les prochaines années seront presque tous passés par les mêmes écoles spécialisées et normatives, qui en feront des professionnels de qualité, labellisés, compétitifs sur le marché culturel. Les formations continues sont également dans le collimateur et devront prouver, elles aussi, qu’elles sont adaptées au marché.

Voilà donc les coups que les intermittents doivent s’attendre à prendre dans la gueule, car c’est ce rapport qui va servir de base à la redéfinition des annexes 8 et 10 dans le cadre des négociations globales du futur régime d’assurance chômage.

Ces négociations se sont ouvertes au début du mois et doivent aboutir à un nouveau protocole avant le 1er janvier prochain. Système paritaire oblige, nous retrouverons à la table MEDEF, CFDT, CFTC et CGC, signataires de l’accord de 2003, contre la CGT et FO.

Les mêmes nous brandiront donc à nouveau l’argument du déficit et que l’Unedic n’a pas vocation à financer la culture.

Les principaux interessés, eux, sont tenus à l’écart : la coordination des intermittents, émanation de la lutte de 2003, n’aura qu’un rôle vaguement consultatif (dialogue avec Guillot et participation au CNPS).

Quid du nouveau modèle d’indemnisation des salariés intermittents élaboré par eux-mêmes ? Quid de la loi parlementaire qui obligerait les parteneaires sociaux à négogier sur la base d’un retour des 507h à 12 mois avec une date anniversaire fixe ?

Quid de l’enquête citoyenne menée par les intermittents en collaboration avec le CNRS ? Quid de l’ensemble des revendications portées en 2003 ?

Seule la mobilisation des intermittents peut empêcher le 1er janvier 2006 d’être un 26 juin 2003 et nous permettre de rendre coups pour coups.

14 décembre 2005


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