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Une expérience locale de construction d’une alternative politique en liaison avec les mouvements sociaux.

Par le collectif d’animation

Contribution pour Politis "réinventer la Gauche"

 

Un an avant les présidentielles nous pouvions voir la crise de la gauche plurielle, la rupture de la gauche d’avec les classes populaires, dans le résultat des municipales. La perte d’Hérouville, bastion historique de la gauche, a été une des manifestations de cette rupture. Dans cette région, marquée par les restructurations d’entreprises, nous vivons fort la crise profonde et globale de la représentation politique. L’abstention très forte dans les quartiers populaires nous remet en mémoire les images des salarié(e)s de Moulinex détruisant leurs cartes électorales. Nous sommes enclins à voir dans cette coupure entre mouvements sociaux et Politique un élément essentiel. Sans doute parce que les mouvements sociaux ont ici une force et une importance particulière, à l’image de la confédération paysanne, du mouvement antinucléaire (premier type de mouvement social et écologiste de masse), ou de la CFDT de Basse-Normandie, longtemps porteuse d’une conception du syndicalisme de lutte et qui a fonctionné comme un lieu d’élaboration politique anti-libérale.

Dans ce cadre, l’ANPAG a été un centre de coordination des différents mouvements. Au réseau ouvert de l’ANPAG on doit la mise en relation des actions de chômeurs, de paysans, de militants contre la mondialisation libérale et de syndicalistes. Notre association se veut un lieu permanent de confrontation et de coopération des militants des divers mouvements sociaux, quitte parfois à ce que l’ANPAG disparaisse derrière ses propres militants, animateurs reconnus des ces mouvements. L’ANPAG a voulu être aussi présente dans les échéances électorales « classiques ».Les municipales ont validé l’ANPAG comme groupe politique lié au mouvement social. En même temps, elles ont permis de fédérer des réseaux plus larges et de créer un regroupement de citoyens pour faire de la politique autrement. Ceci nous a permis, un an après, de devenir la quatrième force politique sur Caen... mais avec seulement 3% des voix, et pas spécialement des voix populaires. De quoi nous interroger sur la situation globale et ses influences locales. Le changement de majorité de l’URI CFDT, d’un syndicalisme de lutte vers un syndicalisme d’accompagnement, les défaites ouvrières traumatisantes comme Moulinex, les défaites politiques de la gauche, ont révélé une coupure entre les salariés et la gauche, dans toutes ses composantes. Certains disent que la crise de représentation politique est une chance : elle redonnera de la force aux mouvements sociaux qui imposeront leurs objectifs par le rapport de forces. Nous somme dubitatifs. Les libéraux mettent en place une démocratie dirigée, sécuritaire et une nouvelle forme d’Etat technocratique. Dans cette réorganisation du pouvoir, le « lobbying public » des mouvements sociaux risque fort de se dissoudre devant le lobbying mieux organisé des puissances économiques. Les mouvements sociaux ne pourront redresser la barre qu’en se plaçant aussi dans le champ politique. Certes, la pratique des politiques a de quoi conforter la méfiance des animateurs des mouvements sociaux. Tantôt ils en restent aux vieilles recettes de la subordination au parti, version courroie de transmission, tantôt ils transforment les organisations politiques en simples porte-voix des mouvements sociaux.

Comment se sortir de ces oppositions trop tranchées qui produisent l’impuissance à changer les choses ?

Il est urgent de rompre avec l’émiettement d’une part et le repli organisationnel d’autre part, qui sont si visibles aujourd’hui. Ce que nous reprochent tous ceux que nous voulons défendre et représenter, les classes populaires et particulièrement les plus en difficultés, c’est notre incapacité à peser réellement pour faire quelque chose pour eux. C’est le sens des initiatives de débat ouverts que nous animons. Nous souhaitons associer dans cette démarche au moins trois composantes : les courants politiques critiques du social-libéralisme, qu’ils aient ou non participé au gouvernement, les groupes locaux qui construisent de l’alternative et les militants des mouvements sociaux qui se posent le problème du projet politique et des réponses à l’autonomisme.

Il est nécessaire de reconstruire avec tous ceux-là, un projet politique à gauche. Nous ne pouvons accepter de laisser les clés de l’action politique à ceux qui ont oublié les revendications concrètes des classes populaires comme les intérêts globaux de la planète.

Entre ces acteurs d’un nouveau projet politique, nous pouvons d’abord nous mettre d’accord sur un bilan, sans polémique, mais pour produire une analyse commune de l’impasse que représente le social-libéralisme. Impasse qui s’est traduite par une coupure de la gauche avec ce qui faisait sa base sociale et en premier lieu avec la classe ouvrière que la gauche sociale libérale a fait disparaître comme sujet de l’action politique. Nous pouvons aussi nous mettre d’accord sur l’état de la société, sur les évolutions depuis la phase des 30 glorieuses et revenir sur un certain mode d’intervention politique et syndical que cette période nous a légué. Ensuite, nous pourrons construire collectivement une alternative en termes de projet de société après la crise des modèles qui avaient identifié la gauche. Nous avons à réinterroger l’idée de transformation sociale. Redéfinir les raisons de notre attachement à la démocratie, tout en redessinant parallèlement le fonctionnement même de la démocratie, notamment en posant la question de savoir à qui le choix démocratique doit profiter.

Nous voulons pour cette démarche associer des sensibilités diverses : communistes, socialistes, libertaires, mais aussi des formes plus nouvelles de radicalisme social, écologiste, culturel et politique.

Loin d’un débat politique en chambre, notre unité et nos perspectives communes viendront de nos combats contre les dégâts du libéralisme. Alors que tous les jours celui-ci détruit les solidarités sociales, les espaces de résistances, nous avons la responsabilité de répondre en termes de luttes sociales et de contre-propositions positives, qui donnent l’idée de cet autre monde que nous voulons. Ce sont des luttes en commun qu’il nous faut aujourd’hui, des luttes qui permettent de résister et de construire l’espace politique pour cette gauche radicale, sociale, féministe et écologique que nous voulons.

Ce projet, nous avons commencé à le faire vivre. Il est nécessaire de l’élargir dans le sens d’une coordination nationale des forces, et des individus qui veulent aller dans ce sens. Toutefois, notre engagement passé dans la Convention pour une Alternative Progressiste nous fait réfléchir aux conditions d’une coordination. Nous devons éviter deux pièges : le cartel de forces existantes sans réelles perspectives stratégiques et celui d’une organisation prématurée, "autoproclamée". Le débat d’orientation ne prendra tout son sens qu’en allant de pair avec la définition d’une nouvelle pratique politique et de nouvelles formes de structuration politique.

Le collectif d’animation de l’ANPAG

16 février 2003


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