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Danger sexiste et destruction du code du travail

Les dessous de la loi sur les services de proximité

Personne n’a suffisament prété attention aux dangers redoutables des dispositions de la loi dite "de proximité", en particulier pour les femmes qui en sont la cible ou comment les reléguer dans le travail domestique sans le retour "à la maison"

 

Attention, un train peut en cacher un autre disait la pancarte des passages à niveaux.

Aujourd’hui des dispositions phares des ordonnances Villepin - contrat nouvelle embauche par exemple - cachent d’autres textes qui, dans certaines de leurs dispositions, sont aussi dangereux.

Ainsi en est il par exemple de la loi sur les services de proximité, concoctée par Borloo sous le gouvernement précédent et récemment votée au parlement dans l’urgence ce qui est contradictoire avec le projet affirmé : modifier l’exercice des métiers et le fonctionnement de ce secteur, projet structurel et non conjoncturel.

Cette loi est particulièrement pernicieuse puisqu’elle répond, à sa façon, à un certain nombre de besoins, qu’elle promet et permettra sans doute des créations d’emplois mais d’emplois à temps partiels permettant de façon efficace de réduire les statistiques du chômage en partageant entre plusieurs centaines de milliers de personnes un volume de travail qui n’emploierait beaucoup moins de temps pleins.

Il est d’ailleurs posé comme acquis que ce type de services aux personnes ne peut, compte tenu des besoins des personnes agées, handicapées etc..., que générer des emplois à temps très partiels.

La première bataille gagnée par les promoteurs de cette loi c’est une définition des besoins qui a échappé totalement au débat public. Elle a été faite uniquement à partir de critères individualisés et à partir d’une certaine conception du service à rendre en termes purement fonctionnels au détriment d’une approche plus globale, plus humaine des besoins de ces personnes.

En termes plus précis, une personne agées doit être gavée, nettoyée, et, entre ces interventions, ou même pendant ces interventions, il faut laisser les personnes dans leur solitude et leur détresse jusqu’à ce que l’intervention d’un spécialiste reconnu soit nécessaire.

Le travail d’aide à domicile se limite à des actes fonctionnels ( préparer à manger, faire le ménage, la toilette, habiller...) définis par des grilles d’autonomie fondés sur des incapacités objectivées : mamy ou papy ne peut plus faire son ménage, se laver... et on lui attribue un certain nombre d’heures pour combler ces handicaps objectifs.

Dès lors, ces activités sont faciles à définir et à codifier en termes de temps de travail , ce type de tâches est rationalisable, taylorisable ...il n’y a nul besoin de personnel qualifié. Tout ce qui est présence, contact, écoute disparaît. En fait les services à la personne ne sont pas là pour répondre à des personnes mais à des tâches précises qui relève plus de l’hotellerie et du travail domestique [1]

Ce faisant,cette vision techniciste réduite permet l’introduction d’une dimension marchande et d’opérateurs marchands dans un secteur qui était jusqu’alors dans le champ du travail social et dans un toute petite mesure des employés de maison : dames de compagnie bonnes, jardiniers...

En fait c’est cette dernière catégorie qui sert de modèle en individualisant la relation tout en la modernisant : c’est le service adapté à ses besoins que l’on achète au lieu d’employer directement des serviteurs dont le coût serait prohibitif.

Alors se mettent en place des entreprises pour répondre à cette demande soit en vendant directement du service, soit en intervenant en « mandataire » c’est à dire en ne vendant aux personnes concernées que le service de fournir des salariés et une aide pour le contrat, le salaire.

A la source de ce phénomène, un changement instauré par nos socialistes préoccupés par les chiffres du chômage : il fallait sortir du travail au noir des milliers de salariées affectées à des tâches domestiques non déclarées.

Pour ce faire, il aurait été possible de créer soit sous forme de service public, soit sous forme de services associatifs para-publics les postes nécessaires. mais le modèle était encore trop celui du CDI à plein temps sur le modèle par exemple des travailleuses familiales et le service public était assimilé à une ringardise marxisante.

C’est la solvablisation des personnes qui a été préférée : là encore pas de débat public pour décider que les usagers de ces services préféraient être employeurs. le crédit d’impôt été-ou l’aide directe ( Allocation Compensatrice Tierce Personne puis Allocation Personnalisée d’ Autonomie et la toute récente notion de compensation mais aussi d’autres allocations plus globales pour solvabiliser ces populations Allocation Handicapés Adultes et minimum vieillesse, le tout accompagné pour les « gens normaux » de réductions d’impôts substantielles) ont été les moyens utilisés pour permettre de créer ce grand marché des services à la personne au nom de la liberté de choix individuelle bien supérieure à un service public égalitariste et niveleur.

La loi « développement des services de proximité » étend considérablement cette solvabilité en permettant le développement du chéque emploi service universel, en permettant aux entreprises et aux comités d’entreprise de financer ces activités pour leurs membres, amis aussi par des dispositions fiscales avantageuses : tout ceci dans le but affirmé de développer ce secteur comme activité économiques ( avec des promesses en termes d’emplois- 500 000- qui indiquent que le temps partiel est devenu la norme).

Le secteur associatif a accepté ce système qui le privait du financement de ses propres services en distribuant l’argent directement aux personnes. Mais pour une part ( parents d’enfants handicapés) cette individualisation allait dans le sens de l’autonomie individuelle2, été pour tous ce nouveau marché restait un marché captif que les grandes associations continueraient à se partager. Pour tous le secteur social comme celui de la santé n’étaient pas marchandisable.

C’était refuser de voir ce qui s’est passé depuis une bonne quinzaine d’année dans le secteur de l’hébergement des personnes agées été handicapées : à coté du secteur public et associatif, des dizaines de milliers d’entreprises ont vu le jour parfois dans des conditions de fonctionnement scandaleuses ou illégales. Ces conditions de fonctionnement ont pesé sur celles du secteur dans son ensemble avec une dégradation très nette des conditions de travail du personnel été des conditions d’accueil des usagers. Par manque de structures d’accueil d’abord, par réalisme économique ensuite la conception même des besoins des personnes a été tirée vers le bas : il faut rappeler que si il faut un agrément d’une commission pour ouvrir une maison de retraite, l’hébergement de personnes agées valides peut se faire dans des pensions de famille qui dépendent de la réglementation de l’hôtellerie : quand on sait la qualité des emplois dans ce secteur on voit bien quel type de concurrence cela entraîne.

Aujourd’hui les grandes associations gestionnaires émettent des craintes sur une définition trop extensive des services à la personne qui permet de mettre fin à leur quasi monopole dans ce domaine. Le rôle dans l’élaboration de cet agrément de la future Agence nationale des services à la personne risque d’aller dans le sens d’une définition de moins en moins sociale et de plus en plus fonctionnelle : il faut noter d’ailleurs que la procédure d’agrément n’est plus celle prévue par la loi sur le secteur social et médico-social. Ajoutons qu’un des objectifs de la loi est de réduire les coûts ( pour faciliter l’accessibilité à ces services) et qui dit réduction des coûts dit aussi réduction du service rendu à sa plus simple expression.

Ceci d’autant que ces travaux sont assimilés à du travail domestique, travail non qualifié par excellence puisqu’il est exercé spontanément par tous ( je veut dire essentiellement par toutes car il reste le privilège des femmes dans les couples). Tout a concouru à une déconsidération du travail domestique - réservé aux femmes et qui n’est pas vraiment du domaine de l’activité économique mais de celui de l’activité privée.

La marchandisation de ce type d’activités au sein d’entreprises ordinaires ne s’est pas traduite - ou se traduit de moins en moins- par une réelle professionalisation de ces métiers. Au contraire leur soi-disant spécificité les conduit à un statut particulier hors du rapport salarial « ordinaire », sous forme de statut particulier dont celui des assistantes maternelles est significatif. La loi Borloo sur les services de proximité vient consacrer cette séparation en prévoyant des dérogations au code du travail qui annulent des garanties données aux temps partiels ( horaires écrits, modifications des délais de prévenance...) dérogations qui aboutissent à une extrême soumission de la salariée à l’employeur, et une individualisation du contrat de travail qui en fait un prototype de la fin des contrats collectifs.

D’ailleurs tout ce qui est professionalisation, formation, conditions collectives d’exercice des métiers et garanties collectives sont exclues de la loi volontairement : « la quasi-totalité des actions destinées à revaloriser les conditions d’exercice des métiers, à créer ou à développer des filières de formation à part entière, ne relève pas de la loi, mais de la négociation collective ou du domaine réglementaire. ». Ainsi ce sera la faute au autres si le statut de ces métiers va continuer à se dégrader, mais au travers des diverses dérogations on a ruiné le rapport de forces pour les organisations syndicales.

Je crains que, parce qu’elle ne concerne que les femmes [2] et surtout les femmes les plus fragilisées sur le marché du travail et donc peu représentées dans les organisations syndicales, cette loi ne soit pas combattue à la mesure de ce que nous devrions faire. Beaucoup de salariés y verront un avantage puisque dans une conjoncture où le salaire stagne ou se réduit cette loi permet un réduction du coût de certains services dont ils comptent profiter.

Je ne suis pas sûr que les enjeux sur le service public, sur le droit du travail soit perceptible : ils sont pourtant, j’ai essayé de le montrer, considérables mais nous nous heurtons à une vision du travail à domicile qui est bien trop dégradée pour que des salariés ou même des salariées [3]spuissent s’y identifier.

Ce n’est pas pour rien qu’une telle dégradation de la condition salariale se produit dans un domaine qui, pour le sens commun n’est pas tout à fait ou pas du tout du domaine du travail salarié : il permet d’expérimenter en toute quiétude le passage du salariat à l’activité pour celles et ceux que le fonctionnement du système condamne au chômage. D’ailleurs dans la même loi, on autorise l’emploi de RMA en CDD mais en les excluant du droit à la prime de précarité, bel exemple encore de création d’un sous statut salarial adapté lui à ces « handicapés du travail »que sont les chômeurs de longue durée. Voilà de quoi faire accepter aussi de travailler et de rester pauvres.

Petit complément qui n’a fait l’objet d’aucune publicité.

Dans les diverses mesures de, la partie intitulée cohésion sociale, l’article 25 modifie ainsi l’article l 213-7 du code du travail : « Un décret en Conseil d’Etat détermine en outre la liste des secteurs pour lesquels les caractéristiques particulières de l’activité justifient une dérogation. Une convention ou un accord collectif étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut définir les conditions dans lesquelles celle-ci peut être accordée »

Cette dérogation était auparavant réservée à la boulangerie, l’hôtellerie et la restauration et uniquement sous l’autorité de l’Etat.

Cette disposition met fin à un principe fondateur du code du travail et à une des premières lois historiques de protection des salariés sur l’interdiction du travail de nuit des enfants. Dans la nouvelle rédaction le gouvernement pourra au gré de ses amitiés politiques autoriser le travail de nuit des enfants dans les secteurs « amis » tout en laissant la possibilité aux patrons du secteur, même par accord d’entreprise, de faire travailler des enfants.

Nos y reviendrons dans un prochain article.

25 août 2005

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Notes :

[1] une évolution semblable a lieu dans l’ensemble du secteur de santé et social en général : il faudra un jour s’interroger sur les notions de qualité été d’évaluation dans ce processus, véritable organisation de la taylorisation de professions auparavant beaucoup plus généralistes, le tout sous couvert des droits de l’usager, droits particulièrement formels dans un grand nombre de cas mais qui autorise l’autorité à tout contrôler en se posant comme défenseur de ces droits.

[2] Je crois qu’il y a aussi dans cette loi une discrimination sexiste et une démarche qui faute de ramener les femmes à la maison les enferme dans le travail domestique

[3] pour bon nombre de femmes la sortie du travail domestique est une avancée dans l’autonomie. En définissant ces professions comme un retour au travail domestique on ne peut qu’alimenter une réaction de rejet. Certaines professions qui paraissaient bien établies - les aides soignantes dans les maisons de retraites ou dans l’aide à domicile- subissent une semblalble dégradation de leur statut quand dans les reconversion industrielles comme celle de Moulinex on laisse entendre que ce sont des métiers naturellement féminins qui permettent une reconversion facile et spontanée des ouvrières d’usine victimes des plans de licenciement


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