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C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité.

L’intervention ci dessous pose les enjeux de cette loi scélérate qui est en train de passer dans le silence.

A ceux qui pensent que Sarkosy est moderne cette loi nous montre une droite revenue à ses peurs et à ses recettes du début du XIXème siècle quand la droite française craignait les classes laborieuse, classes dangereuses

 

Patrick Braouezec Député de Seine-Saint-Denis

Prévention de la délinquance Projet de loi n°3567 Deuxième lecture

Monsieur le président,

Mes chers collègues,

Monsieur le Ministre,

Tout au long des débats parlementaires, ce projet de loi, Prévention de la délinquance, a été l’objet de constantes aggravations. Sa logique initiale, fondée sur le tout répressif, sans réel contenu en matière de prévention, est toujours de rigueur et continue de stigmatiser les populations les plus en difficulté.

L’accumulation de nouvelles incriminations pénales (délits d’embuscade et de guet-apens, enregistrement ou diffusion d’images relatives à la commission d’infractions ou procédé dit du "happy slaping"), et l’aggravation de peines existantes (celles concernant la rébellion mais aussi la création d’un crime de violences commises avec guet-apens contre les personnes dépositaires de l’autorité publique) signent la volonté du gouvernement et de certains législateurs de faire de ce projet l’instrument privilégié d’une politique sécuritaire déjà à l’oeuvre depuis plusieurs années, dont on connaît les résultats, mauvais s’il en est.

Signalons par ailleurs, que cette politique du tout sécuritaire n’a jamais remis en cause la violence en direction des personnes.

Face à cette poussée sécuritaire se confirme que notre société a peur de ses jeunes. Dès lors, devons nous accepter de vivre dans une société malade qui, au lieu de favoriser l’épanouissement des jeunes, dès leur enfance et leur donner un rôle actif de partenaires dans la société, préfère les considérer comme de simples objets de mesures de socialisation et de contrôle ? Pour ma part, je le refuse. Tout comme je refuse la vision pessimiste des familles et des jeunes que vous voulez imposer.

Mais force est de constater que notre société est malade car ce gouvernement, avec toute une série de lois votées dans la hâte - il y en a déjà eu sept-, fait la guerre aux jeunes, aux familles, aux cités, aux sans papiers. Et pourtant, ce même gouvernement se réclame des valeurs de la démocratie. Mais où est la démocratie dont vous nous parlez alors que le modèle que vous proposez repose sur l’exclusion, la criminalisation, la discrimination et où certaines personnes vivant dans ce pays ne sont plus prises en compte ?

Où est la démocratie, lorsque, sans aucun débat de fond, des amendements visant à mieux prévenir et sanctionner les infractions économiques et financières sont rejetés ?

Alors oui, permettez moi de dire que ce gouvernement fait la guerre aux gens ! Ce projet de loi élargit les sanctions et le contrôle social, au prétexte que plus une sanction est forte, plus elle est dissuasive, donc préventive. Si le non- respect de la loi doit être sanctionné, encore faut-il que la sanction ait du sens et s’inscrive dans un processus de prévention et de réinsertion.

Or, il est impossible de percevoir dans ce texte l’aspect « prévention », tant les nouvelles mesures modifiant le Code pénal, le Code de procédure pénale et le Code de la santé publique sont de nature répressive.

Ainsi, dès treize ans, deux mesures : l’extension de la composition pénale et de la comparution immédiate et aussi la possibilité de placer un mineur sous contrôle judiciaire ; dès dix ans : instauration de nouvelles sanctions éducatives ; allongement de six mois à un an de la durée maximale des mesures de composition pénale ; pour les mineurs de plus de treize ans, modulation de la durée du placement prévu à l’article 39 ; et pour les récidivistes de plus de seize ans : la possibilité de déroger au principe de l’atténuation de la responsabilité pénale. Tout cela avec l’objectif avoué d’aligner le droit pénal des mineurs sur celui applicable aux majeurs.

Hélas, ce gouvernement s’obstine à n’entendre ni l’ensemble des professionnels et des associations, ni les parents, ni les médecins et encore moins les élus -au Sénat et ici qui demandent que raison soit gardée- ni de nombreux membres de l’Association des maires de France qui refusent le rôle qui leur est assigné.

Nous sommes nombreux à dénoncer ce texte, entre autres, parce qu’il porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs puisqu’il confère aux maires des pouvoirs quasi judiciaires.

Le maire devient un acteur central en matière de « contrôle » de la délinquance :il va recevoir des informations, jusqu’ici protégées par le secret professionnel, concernant ses administrés qui bénéficient de l’aide d’un éducateur ou d’une assistante sociale.

Il pourra constituer un fichier des élèves ayant fait l’objet d’un avertissement pour absentéisme scolaire. Il sera même informé, par la police ou la gendarmerie, des infractions à l’ordre public et, par le procureur de la République de leurs suites judiciaires.

Pour renforcer son pouvoir répressif, ce projet de loi permet aux maires d’être assimilés à de véritables délégués du procureur, ainsi du rappel à l’ordre prévu à l’article 8.

Le maire se trouve ainsi doté de prérogatives qui empiètent sur les missions d’autres institutions et qui traduisent une défiance à l’encontre des travailleurs sociaux et de la justice.

Pour autant, est ce qu’avec celles-ci, le maire deviendra le garant de la sécurité ?

J’en doute, mais ce que je crains, c’est que face à l’extension de ses pouvoirs, il y ait d’une part, une dilution de la politique nationale, et d’autre part une multiplication des spécificités locales qui remettront en cause l’égalité de traitement entre les citoyens.

Avec l’arrivée de ce nouveau maire, ce n’est plus d’un maire dont il s’agit mais d’un shérif à la mode américaine.

Outre ces dérives liées au statut et aux mélanges des genres, ce texte porte en lui de vraies atteintes aux libertés fondamentales, ce que j’avais aussi dénoncé en première lecture. Il me faut les redire puisque apparemment pas plus mes collègues du Sénat que moi-même n’avons été entendus.

Les atteintes à la vie privée sont multiples et la diffusion d’informations à caractère confidentiel est facilitée : l’Assemblée nationale a prévu qu’au sein des groupes de travail des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance des informations confidentielles pourront être échangées sous réserve de ne pas être communiquées à des tiers.

La commission des Lois du Sénat, quant à elle, propose d’étendre cette faculté au conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance. Ainsi, le secret professionnel est remis en cause puisque grâce à l’article 5 le partage d’informations jusqu’ici protégées par le secret professionnel sera possible. Je regrette fortement que le Sénat ait décidé de supprimer la disposition imposant l’information des personnes concernées par le partage d’informations à caractère confidentiel.

Cette disposition introduite en première lecture à l’Assemblée nationale était un moindre mal à l’atteinte à la vie privée.

Dès lors, lorsqu’une famille subira une aggravation de ses difficultés, les travailleurs sociaux devront en informer le maire et le président du conseil général, ce qui pourra justifier la réunion du conseil pour les droits et devoirs des familles.

Ajoutons à cela, l’autorisation donnée aux travailleurs sociaux de divulguer au Maire des informations confidentielles sur les usagers des services sociaux, les dispositions facilitant l’hospitalisation d’office en psychiatrie et la création d’un fichier des personnes ayant eu à subir une telle hospitalisation, ou encore les dispositions accentuant la sévérité de la justice pénale des mineurs au mépris de ses principes fondateurs.

D’autres dispositions attentatoires aux droits des personnes ont été par ailleurs introduites, afin, notamment, d’expulser plus facilement les gens du voyage, ce qui n’est pas sans poser un problème de compatibilité avec l’article 66 de notre Constitution.

Concernant les articles relatifs à l’hospitalisation d’office et après l’annulation par le Conseil constitutionnel de l’habilitation donnée au gouvernement de réformer par ordonnance les régimes d’hospitalisation sous contrainte, le problème reste entier.

En effet, le rapporteur a annoncé l’adoption des articles 18 à 24 dans ce projet de loi prétendument relatif à la prévention de la délinquance. Nous continuons à nous opposer et à dénoncer, avec les professionnels, l’amalgame entre la délinquance et la maladie psychiatrique.

Nous aurions pu déposer une fois encore des amendements, mais vu le sort et l’attention qui leur ont été portés en première lecture, et compte tenu de la philosophie de ce texte, nous le jugeons en l’état inamendable. Ce texte était dangereux, il l’est encore plus aujourd’hui et prouve s’il en était besoin, qu’il n’est qu’un produit idéologique fondé sur une conception libérale de la société où sécurité prime sur accompagnement des familles, où la sanction remplace l’éducation. Il eut mieux valu pour l’avenir de notre pays opter pour que l’école devienne un véritable acteur de la lutte contre toutes les violences. Mais non ce gouvernement préfère la répression à la prévention.

Ce texte constitue une menace pour la prévention, l’éducation, les jeunes et leur famille et surtout pour les libertés individuelles. Nous espérons rassembler de nombreux députés pour saisir le Conseil Constitutionnel.

Je terminerai par ces quelques mots et vous laisse le soin d’en retrouver leur auteur.

" Étant les ignorants, ils sont les incléments

Hélas combien de temps faudra t-il vous redire

À vous tous que c’est à vous de les conduire

Qu’il fallait leur donner leur part de la cité

Que votre aveuglement produit leur cécité

D’une tutelle avare, on recueille les suites

Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.

Vous ne les avez pas guidés, pris par la main

Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin,

Vous les avez laissés en proie au labyrinthe

Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte

C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité.

Comment peut-il penser, celui qui ne peut vivre ?

Quoi ! Pour que les griefs, pour que les catastrophes,

les problèmes, les angoisses, et les convulsions s’en aillent,

suffit-il que nous les expulsions ?"

Victor Hugo, Juin 1871, Pour les communards

14 février 2007


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