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Un petit coup d’oeil en arrière pour aller de l’avant

Contribution limitée à un bilan de la démarche unitaire

 

Désolé de vous imposer ce texte un peu long, trop touffu, mais je crois qu’il est difficile de comprendre les propositions sans maîtriser le bilan sur lequel elles s’appuient

Revenons d’abord sur un cycle électoral qui se clôt.

Ces dernières élections ont-elles clos la crise de la représentation politique qui s’est manifestée avec force aux yeux de tous à l’occasion du référendum sur la constitution européenne.

Sont-elles un succès pour la démocratie comme nous l’ont annoncé les médias comme pour chasser l’image du cauchemar référendaire ?

De la réponse dépend largement les décisions que nous aurons à prendre.

Enthousiastes après la participation record du second tour de la présidentielle, les médias ont aujourd’hui plus prudents sur l’appréciation de cette période électorale. Ce qui paraissait hier évident (légitimité incontestable pour Sarkozy) est aujourd’hui beaucoup plus sujet à caution après les législatives avec leurs deux composantes : l’abstention du premier tour et la remobilisation de la gauche au second.

Il n’est pas sûr du tout que la dramatisation, au sens de spectacle, de cette campagne présidentielle, soit l’émergence durable d’une nouvelle forme de gestion de la démocratie où le vote est une sorte d’élément d’un jeu télévisuel.

Déjà la sociologie des électorats du second tour montrait que continuait l’affrontement de deux camps (qu’il nous faudra cerner d’un peu plus près) même si la porte-parole du PS a bien peu joué de cette délimitation, au contraire.

La suite a montré que la logique présidentialiste (liée à l’inversion du calendrier et donc à une nouvelle répartition des pouvoir dans les institutions en faisant de l’élection présidentielle l’élection clé dont les législatives deviennent une annexe) avait aussi ses limites.

Le tsunami annoncé n’a pas eu lieu et c’est une surprise pour ceux qui pensaient avoir définitivement réglé la question de la crise de représentation politique.

A gauche le réveil du second tour n’est pas plus l’indication d’un retour en grâce des partis et chacun voit bien qu’il faut reconstruire.

Tout ceci nous laisse un espace, même si nous avons été défaits dans cette phase électorale si l’on juge tout en termes de résultats électoraux.

A ce sujet il serait bon que nous nous interrogions sur nos propres responsabilités dans le succès de ce que l’on a appelé le vote utile qui a conduit à une marginalisation accrue des petites formations politiques de la gauche.

Nous n’avons pas été clairs sur notre place, notre fonction dans cette élection là. Pourtant, c’est une fonction essentielle des politiques d’être capables de dire ce qu’ils veulent faire, ce qui peut se faire (et pourquoi) dans les institutions politiques à un moment donné.

Faire de la politique autrement ce n’est pas faire comme si toutes les candidatures (surtout à la présidentielle) ont le même objectif, comme si toutes concourraient pour la première place. Faire de la politique autrement doit aussi signifier donner aux électeurs les éléments pour comprendre le sens de la candidature à une élection donnée.

Le texte « ambition et stratégie » fournissait un exemple de ce type de clarification.

Mais après St Ouen il devenait en partie caduc au moins pour les perspectives à court terme du fait de la multiplication des candidatures.

Pour la suite nous avons été pris dans la contradiction entre notre position de continuer à se positionner dans l’ancienne dynamique unitaire (et donc de continuer à maintenir les orientations des CUALs) et les nécessités de repositionner la stratégie dans une campagne à 3 B où nous voulions maintenir la question de l’unité.

C’est cette contradiction mal maîtrisée qui a conduit José à interpeller les 2 autres, apparaissant ainsi comme sectaire, parce que nous avons maintenu jusqu’au bout (et dans la perspective des législatives) le débat sur l’unité.

Ce double positionnement (inévitable) a rendu la campagne Bové difficilement lisible dans un contexte déjà difficile pour les petites formations (et encore plus pour ceux qui n’avaient pas d’appareils).

Cette difficulté a été redoublée par notre décalage par rapport à la mise en scène de l’élection par les médias. Reconnaissons que nous nous sommes trompés sur la popularité de José Bové et sur l’aide au pouvait nous apporter son image de dirigeant altermondialiste reconnu internationale ment.

Ceci devrait nous interroger sur l’impact réel du combat idéologique altermondialiste et antilibéral sur le champ de l’opinion, que nous avons pensé beaucoup plus sensibilisée, et même sur les médias dont nous pensions qu’ils étaient contraints de tenir compte d’un mouvement qui, au niveau mondial, se manifeste avec force.

Nous avons été pris à revers par l’absence du mondial dans le débat public, le repli sur de franco- français qu’on facilité les thèmes contre l’identité nationale et sa réponse en termes d’ordre juste.

Par ailleurs nous avons pu vérifier à nos dépens que le combat idéologique antilibéral qui avait eu à plusieurs moments un effet sur les médias n’en a pas eu dans cette campagne qui a suivi ses règles propres. Besancenot a été meilleur (ce qui explique une partie de son score et en particulier le fait qu’il a remplacé Arlette) parce qu’il a su et voulu se couler dans le rôle de « protestataire de service », jeune de surcroît.

Nous ne pourrons pas longtemps différer l’analyse des médias comme instrument essentiel du pouvoir politique et de définir une stratégie de lutte politique contre cet outil central dans la construction de l’hégémonie. Il serait pertinent de reprendre Gramsci sur ce qu’est la société civile comme élément du pouvoir politique.

Je crois que l’absence de réflexion collective sur ce sujet nous conduit à penser que le système politique ne nous laisse pas de place et que la candidature aux présidentielles est « hors de portée ».

Certains le disent depuis le début, d’autres nous proposaient d’attendre les législatives. Ils ont tous sans doute sous estimé la reconfiguration du système politique qui fait des présidentielles le préalable des législatives.

Certes le vote aux législatives comme aux présidentielles a été réduit à un vote militant un peu large mais il nous a permis de conserver un réseau militant et surtout les réseaux préexistants.

Si l’on examine de près les résultats, le travail local a été un élément non négligeable des scores. Ceci devrait nous conduire à changer notre regard sur l’action politique locale où les marges de manœuvres sont autres pour une gauche de la transformation sociale.

Mais pour cela il faut être capable de produire de l’alternative aussi dans les débats politiques locaux : je suis frappé de voir que les élections cantonales sont absentes de nos discours alors que s’y joue sur les choix d’aide sociale et d’aide à l’enfance des combats idéologiques de fond sur « l’assistanat » ou la chasse aux pauvres instruments fondamentaux pour créer de la segmentation des couches populaires.

Revenir aussi sur une démarche unitaire qui a échoué.

Nous ne pouvons plus nous contenter d’invocations à l’unité et de penser l’unité en termes de tactiques immédiates : être prudents vis-à-vis des autres pour qu’ils finissent par être unitaires.

Nous avons le devoir d’expliquer pour quoi l’unité n’a pas fonctionné autrement qu’en seuls termes d’égos ou d’esprit de boutique.

La démarche unitaire reposait sur des présupposés qui gardent encore aujourd’hui toute leur validité :

-  il faut atteindre un « seuil critique » pour peser vraiment dans le débat politique, ce qui suppose un regroupement de sensibilités différentes : faire de la politique c’est être capable de faire des alliances pour réaliser des objectifs limités. Tout pouvant se modifier dans le temps.

Qui dit alliance dit cadre d’accord mais aussi existence de désaccords et de formes d’organisation différentes dans un cadre de fonctionnement commun. C’est ce que nous avons tenté de faire avec la mécanique CIUN-CUALs.

-  Il est possible avec un tel outil de modifier les termes actuels du débat politique et du sortir du bipartisme Droite -PS qui est un choix limité au mode de gestion du libéralisme et ne prenant pas en compte les aspirations qui se sont exprimées dans les mouvements sociaux.

-  Plus précisément l’hégémonie du social-libéralisme sur la gauche n’est pas une donnée absolue qui nous réduirait à la fonction protestataire (+ animation des luttes). La gauche peut bouger et gagner sur la base d’une rupture radicale avec le libéralisme sur la base d’un nouveau rapport entre le champ des mouvements et celui du politique.

Mais ceci s’accompagnait de deux autres présupposés - l’illusion référendaire et le passage automatique des mouvements sociaux au politique - bien plus contestables et qui ont joué un rôle majeur dans l’échec de la démarche unitaire. L’illusion référendaire : je ne détaillerai pas ici une première dimension pourtant essentielle.

Le Non ne fait pas une alternative, il ouvre simplement des possibilités de combats politiques. Cela a été dit depuis longtemps même si toutes les conséquences n’en ont pas été tirées.

Ceci nous a quand même permis d’élaborer en commun les 125 propositions qui, je l’avais dit à Nanterre ne font pas un programme politique faute de choix sur les priorités.

Mais je crois que la mécanique a été faussée dès le départ par l’attitude de nombre de militants, dont je suis d’ailleurs. Nous avons tellement eu l’habitude d’être minoritaires que nous nous sommes mépris sur les conséquences de cette victoire.

D’abord en la surestimant et en croyant qu’elle allait créer toute seule un dynamique, un tsunami antilibéral qui emporterait les obstacles. Nous n’avons pas suffisamment prêté attention à ce que faisaient les autres : les vaincus de mai ont patiemment reconstruit leur hégémonie : par exemple la synthèse au PS aurait du nous alerter sur la contre offensive des sociaux-libéraux.

Mais en même temps, nous n’avons pas vraiment cru à la victoire, nous l’avons implicitement sous-estimée et avons fait preuve d’une prudence excessive et accepté de perdre un an.

Tout s’est noué dans l’immédiat après-référendum où nous n’avons pas voulu voir (ou nous nous ne sommes pas donné les moyens de contrer) les retours identitaires qui pourtant était prévisibles (nous avions débattu de cette hypothèse un mois avant le référendum).

Dans ces conditions un des replis identitaire a été le repli sur les collectifs du 29 mai trop conçus comme l’unique auteur du succès, ce qui était un comble de la part d’une structure dont la fonction était précisément de produire de l’unitaire autour d’un objectif.

Et surtout au fil des mois le fonctionnement des cadres unitaires s’est de plus en plus limité à celui d’un cartel politique, dimension certes utile mais insuffisante.

Ce d’autant plus qu’un autre acteur de la victoire, ATTAC, connaissait une crise paralysante entrainant dans son sillage s d’autres composantes des mouvements. Nous n’avons pas vu, ou n’avons pas fait les efforts pour empêcher ces organisations de se tenir ou de se mettre à l’écart de la démarche unitaire.

Cette absence n’était pas comblée par la présence plus nombreuse de militants, elle a pesé très lourd dans le processus, nous a privé d’une participation populaire qui aurait changé les données.

Le seul « courant » (si on peut donner ce nom à des individus ou des groupes complètement différents) qui se soit agrégé c’est le courant citoyen formé de militant non encartés politiquement et pas représentatifs de toute la diversité syndicale ou associative).

Ce courant était perçu par des politiques (et les derniers écrits de Coquerel le montre encore) comme en concurrence avec les organisations, il était facile de le qualifier rapidement comme visant non l’unité mais la construction d’une autre organisation : c’est l’accusation que portait le PCF à St Ouen en prenant pour cible les petites organisations, c’est encore ce que disent ceux qui ne peuvent se sortir de la logique de cartel.

Dans ces conditions les membres non encartés des collectifs ne pouvaient pas jouer le rôle d’arbitre dans le choix des candidatures et le conflit avec le PCF et la LCR ne pouvait pas trouver d’autre issue que la division.

Passage des mouvements sociaux au politique : que ce soit au niveau international avec des modifications réelles dans ce sens qu’au niveau national après l’échec des mouvement sociaux de 2003 par exemple le débat sur le rapport au politique a été réouvert dans les mouvements sociaux.

Ce qui s’est fait lors de la campagne référendaire laissait là aussi penser que les mouvements sociaux dans leur diversité se réappropriaient la lutte politique comme aboutissement logique de leur démarche.

La demande était forte dans ce sens puisque les adhérents d’ATTAC décidaient à une très large majorité de prendre position et de mener la campagne sur le référendum. De la même manière le positionnement de la CGT contre l’avis des experts et de la direction confédérale semblait aller dans le même sens.

A partir de là nous avons implicitement raisonné comme si c’était gagné, comme si le passage de la rue aux urnes était acquis.

Je crois que nous avions conscience que le partidaire était un obstacle et la démarche unitaire large était une réponse nécessaire de ce point de vue (on a vu des organisations prendre position pour le second tour, LDH par exemple à partir de leur propre élaboration).

Par contre nous n’avons pas été capables de donner une place concrète et recevable aux mouvements sociaux dans la démarche unitaire, la participation de militants comme citoyens était une réponse insuffisante. Il faut maintenant trouver les formes de participation qui prennent en compte la volonté d’autonomie des mouvements sociaux.

Oscillant entre la conception classique de prééminence de l’organisation politique et la tentation d’être le parti « néotravailliste » des mouvements sociaux qui se contente de se faire leur porte voix (ce que la LCR prétend faire en proposant un programme parasyndical), nous n’avons pas réussi à faire participer des parties suffisamment larges des mouvements sociaux.

Dès lors notre stratégie qui ne repose pas uniquement sur l’action des forces politiques et des élus perdait de sa crédibilité. Notre échec politique n’est pas sans conséquences sur les mouvements sociaux.

Comment partir des interventions politiques contre Sarkozy de nombre de mouvements pour avancer sur une nouvelle forme de travail en commun devrait être une priorité de notre réflexion.

La participation en tant que telles à des journées de travail que nous organisons ou mieux co-organisons est une des pistes possibles.

Pour ma part, je propose d’organiser une journée d’étude dans le cadre de la préparation des assises sur gestion de la précarisation et territoire , toutes les lois et pratiques d’encadrement et de surveillance des pauvres avec leurs enjeux politiques nationaux et locaux (conseils généraux, etc.) ce thème suppose de travailler autour de syndicalistes de l’ANPE, de divers services sociaux, mais aussi associations de chômeurs ou familiales ou de locataires et de quartiers.

Une autre forme pourrait être l’initiative citoyenne telle que nous l’avons faite avec une pétition sur le droit au logement portée à la fois par des organisations politiques, des associations, des syndicats, qui permet d’aller faire signer dans les quartiers et de dynamiser l’action des différents réseaux.

Pourquoi ne pas mettre sur pied des « marchés sauvages » pour proposer des réseaux de distribution court comme les AMAP sur les quartiers et en faire un élément de programme municipal en faisant la démonstration par l’exemple.

Nous devons nous donner les moyens pour que la démarche unitaire soit beaucoup plus large que l’alliance entre les seules organisations politiques. Proposer l’unité à tous les antilibéraux signifie aussi la proposer à tous ceux qui à leur manière participent à ce combat et non pas privilégier le seul mode d’approche politique classique.

Ne pas oublier la lutte idéologique

Là encore nous avons trop raisonné en politiques et négligé le fait qu’une victoire politique ne se construit pas seulement sur un programme mais sur une vision du monde.

Nous avons besoin de « produire du sens » mais cette production de sens ne peut être seulement de l’ordre du discours des politiques qui définissent plus un projet de société plus restrictif qu’une vision du monde.

Ceci suppose que nous portions attention et aidions, au développement de notre « société civile antilibérale » c’est-à-dire au travail associatif, syndical et culturel d’éducation populaire et que nous soyons capable d’y apporter une contribution en termes de mise en réseau, de mise en commun des expériences, des réflexions qui créent un autre climat intellectuel, favorable à un autre monde. C’est dans ce réseau que nous devons aussi porter des débats, des contributions qui nous semblent utiles à tous.

Ceci suppose aussi que nous soyons capables d’organiser des initiatives communes comme le furent les forums sociaux locaux qui associaient de multiples partenaires très divers pour échanger ensemble et agir ensemble quand c’est possible.

Bien entendu ce climat culturel et idéologique ne doit pas se limiter à un cercle de convaincus. Mais sortir du cercle ne peut pas non plus se réduire à des décisions volontaristes d’aller « parler au peuple ».

Je crois que ce sont les réseaux qui peuvent faire ce premier travail de contact et qu’il s’agit plus pour nous de donner du grain de transformation sociale à moudre à ces réseaux pour qu’ils puissent en fonction de leurs pratiques intervenir auprès des secteurs où ils agissent.

Un dernier mot sur l’organisation

Je pense que nous devons engager un travail de réflexion sur l’outil politique dont nous avons besoin et pour cela réinterroger les formes d’organisation que le mouvement ouvrier s’est donné et en particulier la forme parti qui a fini par faire oublier voire étouffer toutes les autres.

Mais nous devons veiller à ne pas mélanger ce débat avec la nécessité de nous donner des formes d’organisations provisoire qui répondent à ce que nous voulons faire en commun dans les mois qui suivent sans que ces formes n’anticipent le débat sur l’organisation.

Je crois aussi qu’il ne faut pas mélanger les échelons d’interventions avec ceux qui permettent et facilitent le débat plus large : on peut ainsi concevoir le groupe local, le collectif comme lieu d’intervention et organiser des échelons comme le département, la région, ou l’interdépartemental, c’est a chacun de définir en fonction de l’histoire, de la spécificité géographique quel est son mode d’organisation.

Pour les coordinations régionales ou nationales je crois que nous devons avoir deux exigences : la diversité et la transparence (que chacun sache qui est qui). Nous avons aujourd’hui des moyens de travailler qui fassent que la centralisation du secrétariat sur Paris et les départements proches ne soit pas un centralisme parisien par un réseau de correspondants locaux qui sont mis à contribution.

Nous nous proposons au niveau de l’ANPAG de faire connaître à tous ceux que cela intéresse des modes de fonctionnement qui nous permettent d’agir depuis maintenant une bonne dizaine d’années (et de faire connaître également les propositions de fonctionnement pour une coordination nationale qui a été discutée à CCAG), même si ce modèle a montré dans la dernières périodes des limites.

Caen le 20 juin 2007

24 juin 2007


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