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Industrie automobile, les origines de la crise

Voici une réflexion sur la crise de l’industrie automobile. Cette crise devra faire l’objet d’un débat public dans la région, en particulier à l’occasion des régionales.

Il devrait être clair pour tous que les dirigeants capitalistes ( au delà des "3 grands" évoqués dans cet article) ont fait la preuve de leur incapacité à prévoir.

La recherche éffrénée du profit les a conduit à valoriser au maximum l’existant, à développer des filiales financières qui étaient très profitables...

 

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automobile, les origines de la crise

Adaptation de textes de Jean-Claude Vessillier et de Michel Freyssenet et Bruno Jetin

publié mardi 12 mai 2009, par André Frappier sur le site québecois "presse toi à gauche" (voir dans les liens)

L’industrie automobile fait-elle face à une crise conjoncturelle, à une baisse temporaire de la demande, ou serait-elle liée à une crise plus profonde qui remet en question les fondements de ce type de production lié à l’accumulation de profit, mais qui remet également en question le type de transport que nous connaissons ?

C’est sur ces questions que se sont penchés les auteurs de deux documents dont nous vous présentons un condensé.

La demande automobile avait été profondément modifiée par deux évolutions majeures : d’une part le contre-choc pétrolier de 1986, d’autre part le remplacement d’une distribution régulée du revenu national lors des « trente glorieuses  », par une distribution « concurrentielle » privilégiant le «  mérite  », les rapports de force locaux et catégoriels et les opportunités financières.

Les inégalités de revenus et surtout de perspectives d’emploi et de carrière commencèrent à croître. Les couches sociales favorisées par la dérèglementation se ruèrent sur un nouveau type de véhicule aussi socialement ostentatoire qu’écologiquement désastreux : les "lights trucks" (minivans, 4x4, pick up, sport utility vehicles, et.), dont ils firent le symbole de leur bonne fortune et de leur prétention sociale.

Les Big Three parièrent sur l’exploitation de nouveaux champs pétroliers pour contenir durablement le prix du baril et satisfaire la boulimie des nouveaux riches et de ceux qui pensaient être en train de le devenir.

Peu d’efforts d’investissement furent faits pour concevoir des véhicules compacts et des motorisations plus sobres ou alternatives, en prévision d’un retournement pourtant probable du marché pétrolier.

Trois-quarts des véhicules produits dans l’ALENA (Canada, États-Unis, Mexique) par les constructeurs américains et deux modèles sur trois qu’ils commercialisent sont aujourd’hui des "lights trucks".

Pendant ce temps, de nouvelles facilités sont accordées aux ménages de moins en moins solvables. Ce ne sont plus des automobiles qui sont vendues, mais du « rêve américain ». Les ventes aux particuliers en leasing montent à 20% des ventes totales.

En 2008, le piège se referme. Défauts de paiement, restriction du crédit automobile, envolée du prix du baril, crise des subprimes, montée du chômage, contagion planétaire.

Les ventes automobiles s’effondrent brutalement, articulièrement celles des light trucks.

Que peuvent faire maintenant les Big Three ? Ils n’ont pas dans leurs cartons les modèles d’automobiles moins chers et plus sobres qu’exige la période qui s’ouvre. Une mobilisation de capitaux et de savoir-faire sans précédent leur est nécessaire pour être en mesure d’offrir rapidement des motorisations alternatives.

Ils ont tardé à vendre leurs petites marques et leurs actifs immobiliers, en en exigeant un prix trop élevé. Maintenant ils vont devoir le faire vite dans les pires conditions, à supposer qu’ils trouvent des acquéreurs.

triple crise

L’industrie automobile est en effet confrontée de façon structurelle à une crise de débouchés qui se manifeste de trois points de vue : une crise de débouchés classique au sens où les produits de cette industrie ne trouvent pas d’acheteurs à leur prix de vente compte tenu des pressions sur les salaires dans les pays capitalistes développés, une crise liée aux types de voitures demandées potentiellement dans les pays qui aujourd’hui tirent la production et la consommation mondiale, et enfin la crise de l’environnement qui tend à rendre obsolète le mode de propulsion qui a assuré l’essor de l’industrie automobile depuis plus d’un siècle.

L’émergence de nouvelles firmes en provenance de la Chine ou de l’Inde va concurrencer les firmes installées, accroissant donc au plan mondial les surcapacités de production. Les menaces qui pèsent à court terme sur le devenir de General Motors ou de Chrysler illustrent bien la fragilité de l’oligopole mondial aujourd’hui en déconfiture.

La mondialisation de l’industrie automobile a été celle des firmes qui ont créé filiales et usines hors de leurs territoires d’origine et qui se sont lancées dans de nombreuses opérations de fusion-restructuration. Cette internationalisation croissante des firmes rend encore plus synchrones les crises observées actuellement. Alors que dans la décennie 1990, la présence sur plusieurs continents était présentée comme une « assurance » contre des variations trop fortes dans l’un des pays, la simultanéité de la crise cumule ses effets.

La stagnation des marchés de vente observée depuis les années 1990 en Europe occidentale, aux États-Unis et au Japon s’est transformée dans les années récentes en tendance à la baisse du fait de l’exclusion croissante de la majorité des salariés précarisés de l’achat d’une voiture neuve.

Le double bang de l’augmentation du prix du pétrole et de la crise financière se répercute sur une industrie déjà en crise La crise du crédit et l’augmentation des prix du pétrole jusqu’à 150 dollars le baril à l’été 2008 ont été les détonateurs cumulés de la crise : les détonateurs, pas la cause.

Les trois grands constructeurs américains, General Motors, Ford et Chrysler n’ont cessé de perdre du terrain depuis trente ans. Le premier avertissement fut lancé en 1975 après le premier choc pétrolier : c’en était fini des belles américaines rutilantes de chrome des années 1950 et 1960. Le profit à gagner de chaque voiture baissa en proportion de la baisse moyenne du prix de la voiture.

Faute d’un élargissement de leur marché intérieur et pour restaurer leurs profits, l’essor des 4X4 et autres voitures du même type au cours des années 1980 et 1990 permit de restaurer les profits.

Mais cette solution n’a pas permis aux constructeurs américains de maintenir durablement leur position concurrentielle : la démonstration en est apportée aujourd’hui.

En effet, ce marché de voitures chères, gourmandes en pétrole et volumineuses, a vite atteint ses limites aux États-Unis comme dans les autres pays développés.

Les conséquences des restrictions salariales, aux États-Unis comme dans le reste des pays capitalistes, ont réduit le nombre potentiel d’acheteurs.

Pour enrayer ce déclin, le patronat de Detroit s’efforça aussi d’augmenter l’intensification du travail et de réduire les coûts salariaux de fabrication. Les effectifs des membres de l’UAW, c’est-à-dire les salariés couverts par les conventions collectives de la branche automobile, sont passés de 1 500 000 en 1979 à 500 000 en 2007. Le nombre d’ouvriers de GM est passé de 110 000 en 2006 à seulement 55 000 en cette fin d’année 2008.

Les subventions versées par l’administration américaine ont une contrepartie demandée non pas aux actionnaires ou aux superdirigeants mais aux ouvriers et salariés.

Les avantages, dont ils disposent encore, pourtant consciencieusement rognés depuis une vingtaine d’années, sont présentés comme la source des difficultés actuelles. L’exemple, sur le sol même des États-Unis, des nouvelles usines japonaises est brandi pour suggérer que des organisations plus rentables sont possibles pour produire des voitures.

Le coût salarial total d’un ouvrier de GM est estimé à 69 dollars en y incluant les dépenses totales de retraite (pensions versées aux 432 000 retraités et à leurs épouses ), et les dépenses de santé. Les mêmes dépenses sont estimées chez Toyota à 48 dollars.

Ces données « officielles  » indiquent clairement le sens des mesures en préparation : sous le couvert d’une mise en faillite ou en contrepartie des milliards de dollars alloués par l’administration américaine, s’en prendre à ce qui reste des avantages sociaux des salariés de l’industrie automobile américaine.

Comme dans les autres pays, les ouvriers américains ne sont pour rien dans les choix tout orientés vers le profit à court terme des actionnaires et vers la production d’automobiles de plus en plus invendables.

L’industrie automobile parmi les responsables de la crise de l’environnement

Le secteur des transports représente environ la moitié de toute la consommation mondiale en pétrole.

Si des voitures avec d’autres modes de propulsion que le moteur thermique ne sont pas aujourd’hui vendues en nombre conséquent, c’est que l’industrie automobile ne s’est pas préoccupée d’investir en ce domaine lorsqu’il était temps et que cela était possible.

Les gains des périodes précédentes ont été redistribués en dividendes aux actionnaires et investis dans d’autres domaines.

Les investissements ont été concentrés sur l’enrichissement à fondement technologique inchangé de produits toujours plus sophistiqués. Ce qui n’a pas été accompli pendant les périodes de croissance, qui pourrait croire qu’une industrie l’accomplira en pleine crise et en situation de concurrence toujours exacerbée ?

La part des salaires dans le chiffre d’affaires de la construction automobile en France, est passée de 24 % en 1980 à 10 % en 2000 et 2007 [7]. Cette diminution considérable en 25 ans est atténuée pour les équipementiers dont la part des salaires passe de 31 % à 18 % sur la même période. Les constructeurs automobiles intègrent directement de moins en moins de travail humain avec les conséquences connues sur le niveau d’emploi.

Alors qu’auparavant les exigences de rentabilité capitaliste s’appliquaient de façon globale à une entreprise qui intégrait en son sein la majeure partie du processus de production, maintenant le découpage croissant entre constructeurs, équipementiers et sous-traitants oblige chacune des parties ainsi décomposées à être rentable et satisfaire les exigences des actionnaires en profits et dividendes.

La flexibilité à outrance qui est le lot de l’organisation actuelle du travail, entraîne une bien plus grande vulnérabilité de la production aux variations extérieures. Et les plus impliqués par cette vulnérabilité sont les ouvriers et salariés.

Il y a un véritable essaimage des conséquences de la crise de l’automobile dans tous les territoires. Et le domaine de la fabrication des pièces est plus ouvert aux échanges internationaux que celui des voitures complètes.

Les nécessaires ripostes ne peuvent se limiter à une défense usine par usine, entreprise par entreprise, ou pays par pays. C’est toute une branche d’industrie qui est visée par les attaques en cours.

Le refus de toute sainte alliance avec les défenseurs capitalistes de l’industrie automobile exige de dessiner d’autres solutions. S’il n’y a pas aujourd’hui de «  solutions réellement existantes » garantissant le déploiement universel d’une « auto-mobile » non polluante et économe en énergie, ce n’est pas à des experts verts ou rouges d’élaborer les contre-plans détaillant la nécessaire priorité aux transports collectifs.

C’est au mouvement social, aux salariés de cette branche et à toute la population souffrant de conditions de transport fatigantes et inefficaces de définir ses priorités.

La fin d’un cycle ne signifie pas la fin de l’industrie capitaliste de l’automobile. Même en déclin, elle continuera d’employer sur tous les continents plusieurs millions d’ouvriers au travers de restructurations et de crises. Peut-on laisser aux patrons et aux gouvernements à leur service la « liberté » de gérer ce déclin ?

C’est pourquoi il convient de tenir les deux bouts de la chaîne : d’une part le refus sans compromis des licenciements et des attaques contre les travailleurs et d’autre part l’affirmation lucide qu’il y a d’autres solutions aux déplacements que la voiture individuelle.

Jean-Claude Vessillier, statisticien retraité et ancien syndicaliste de Renault, est militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) et de la IVe Internationale. Michel Freyssenet et Bruno Jetin sont membres du réseau international GERPISA (Groupe d’Étude et de Recherche Permanent sur l’Industrie et les Salariés de l’Automobile, EHESS, Université d’Évry

17 novembre 2009


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