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L’abstention : une sécession silencieuse

article paru sur Bastamag (voir nos liens ; médias indépendants)

Quels enseignements tirer de ce premier tour des régionales ? Une gauche (au sens large) presque majoritaire, un mouvement écologiste politiquement renforcé, une gauche anticapitaliste en reconstruction, une droite sarkozyste considérablement affaiblie. Et pourtant... une ombre inquiétante se profile, signe d’une considérable fracture sociale et démocratique. Sans que l’on sache ce qu’il en sortira.

 

PAR EROS SANA (15 MARS 2010)

On l’appelle parfois « le parti de l’abstention ». Il ne dispose pas de QG d’où les télévisions peuvent faire leur duplex sur des sympathisants euphoriques ou déprimés. Il ne dispose pas de leader souriant qui formulera de nouvelles promesses.

Pourtant, au soir du premier tour des régionales, c’est le parti qui est largement majoritaire : 53,6% des électeurs ne se sont pas rendus aux urnes. C’est un record absolu pour des élections régionales. En 1998, « seulement » 42 % des électeurs inscrits ne s’étaient pas déplacés pour voter.

Ce chiffre renforce notre constat : la profondeur de la crise sociale et démocratique dans laquelle la France se trouve est sans précédent.

Le niveau de cette abstention est d’autant plus alarmant qu’il concerne directement les classes les plus populaires et les zones les plus sinistrées.

La Lorraine affiche un taux d’abstention de 58,5 %, près de 57% en Champagne-Ardenne, plus de 55% en Nord-Pas-de-Calais. C’est autant de territoires industriels frappés de plein fouet par la crise, ses charrettes de licenciements, son déclassement social, son désespoir.

Les grandes régions urbaines et leurs périphéries, comme l’agglomération lyonnaise et l’Ile-de-France, ne sont pas en reste avec plus de 56% d’abstention. Dans des villes comme Villeurbanne (62,1% d’abstention), Saint-Denis (64,20%) ou Sarcelles (71,91%), de nombreux intérimaires, chômeurs, retraités ou jeunes étudiants, se sentant déclassés, n’ont pas ressenti le besoin d’aller voter. Pour eux, la région n’apparaît pas comme une protection efficace face à la crise qu’ils subissent de plein fouet.

Ce à quoi nous assistons relève davantage d’une sécession silencieuse, d’une fracture qui ne cesse de s’aggraver entre élus ou représentants politiques et une partie de la population de plus en plus nombreuse, qui ne se sent ni comprise et encore moins défendue.

FN, le retour

Lorsque cette sécession ne se fait pas dans le silence assourdissant de l’abstention, elle peut parfois se retrouver dans le fracas du vote Front national qui récolte près de 11,5%.

Dans de nombreuses régions en forte souffrance sociale et économique, le FN obtient des résultats extrêmement importants : 15% en Lorraine, 16% en Champagne-Ardenne, 19% dans le Nord-Pas-de-Calais.

Dans ces régions, ce n’est ni Europe écologie, encore moins le Front de gauche, qui s’élèvent au rang de troisième force politique, mais le FN que l’on croyait étouffé par l’UMP et son discours national identitaire. Cela est d’autant plus inquiétant que le séisme social et économique est loin d’être terminé. Ses répliques (licenciements, baisse des salaires, suppression de droits sociaux...) risquent de se multiplier.

L’ampleur de la crise ne saurait expliquer seule la remontée du parti frontiste. Du Quick halal, au voile intégral, en passant par le débat sur l’identité nationale, le gouvernement de Nicolas Sarkozy n’a cessé de braconner sur les terres du parti lepéniste.

Pensant remobiliser une partie de son électorat, l’UMP semble au contraire leur avoir ouvert un boulevard. Les 20% obtenus par la liste conduite en PACA par Jean-Marie Le Pen le démontrent aisément.

Et la gauche dans tout ça ? Le Parti socialiste (29,5%), Europe Ecologie (12,5%) et le Front de gauche (6%) présentent ensemble des résultats exceptionnels : près de 50% des voix.

Ils semblent bénéficier de la faible participation des électeurs de droite (le « bastion » alsacien affiche un taux d’abstention record de 56,6% !), de la volonté des électeurs de gauche de sanctionner la politique du gouvernement Sarkozy et... de l’effondrement du Modem (moins de 4%) qui semble avoir permis un sensible report de voix vers le Parti socialiste et Europe Ecologie.

Quelles seront les conséquences sur l’orientation et l’équilibre des forces à gauche ? Martine Aubry et le PS sortent bien sûr renforcés de cette séquence électorale (et plutôt Martine Aubry que DSK, toujours au FMI).

L’ampleur du score des présidents sortants est une réelle surprise, même pour la rue de Solferino. Il n’est pas sûr que les socialistes, enivrés par le fait qu’ils se considèrent désormais comme la « première force politique du pays » ne cèdent à la tentation du réflexe hégémonique à gauche et ne reproduisent encore une fois les erreurs de leur ancien leader en 2002...

Rompre avec le capitalisme ?

Les résultats affichés par ses « partenaires » peuvent tenter de les en dissuader.

Europe Ecologie, avec un score national de 12,5% et des percées « historiques » en Rhône-Alpes (plus de 17%) et en Ile-de-France (plus de 16%), confirme la réussite électorale du rassemblement des écologistes. Cécile Duflot, Daniel Cohn-Bendit, José Bové, Noël Mamère et Eva Joly représentent désormais la troisième force électorale en France.

Même s’il convient de relativiser : au niveau national, Europe Ecologie perd 100 000 électeurs - et 2% des voix - comparé aux dernières élections européennes. Dans certains territoires socialement et écologiquement sinistrés, le FN passe largement devant.

Cette remarque s’applique également au Front de gauche. Lancé avec difficulté dans ces élections, il réussit à sauver la mise dans de nombreuses régions et parfois à présenter des résultats supérieurs à 10%, dans le Limousin (13%) ou en Auvergne (14,5%).

Comme pour Europe Ecologie, le choix du rassemblement (entre le Parti de gauche, le Parti communiste et, selon les régions, des formations comme Alternative citoyenne et les Alternatifs) semble avoir été bénéfique.

A l’inverse du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) d’Olivier Besancenot, dont la stratégie d’isolement, dans la majeure partie des régions, est un échec électoral. En Ile-de-France, la liste conduite par le porte-parole du NPA n’affiche que 3,13%.

Ce choix de faire bande à part est d’autant plus fragilisé que, dans certains cas, le Front de gauche et le NPA présentent séparément des résultats honorables. Il est donc probable qu’ensemble ces listes auraient pu créer une dynamique plus forte. Par exemple en Auvergne où le Front de gauche et le NPA attirent à eux deux plus de 18% des suffrages.

Quels enseignements doit-on tirer de ce nouveau paysage électoral ? Europe Ecologie ne constituera pas une « alternative » crédible pour une frange plus large de la population tant que cet attelage hétérogène ne s’attaquera pas plus sérieusement aux questions sociales, en lien avec l’impératif écologique.

Les formations à la gauche du PS manqueront de crédibilité tant que leurs divisions et querelles d’appareil passeront - de fait - avant la nécessité d’une résistance commune aux méfaits du néolibéralisme. Leur difficulté à formuler des alternatives, à la fois concrètes et globales, disqualifient pour l’instant leur volonté de rompre avec le capitalisme.

Quant au PS, sa performance électorale ne doit pas faire oublier l’absence de projet collectif, autre que gérer au jour le jour les conséquences néfastes de la crise sociale sans s’attaquer à ses causes. Bref, nous ne sommes pas encore sortis de l’ornière.

Eros Sana est mebre de Zone d’écologie populaire

15 mars 2010


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