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Parlons de la loi "prévention de la délinquance"

Question orale pour le conseil municipal du 3 juillet 2003

 

Madame le maire,

Dans une interview au journal Ouest-France (édition du jeudi 29juin 2006) vous défendez le projet de loi dite de « prévention de la délinquance » discutée hier en conseil des ministres.

Vous vous félicitez de voir le maire mis au centre du dispositif au motif qu’il serait le mieux placé pour savoir ce qui se passe sur le terrain. Je pense, au delà de ce nos appréciations divergentes, que cette question intéresse tous les élus et doit faire l’objet d’un débat approfondi en Conseil pour ses incidences sur notre collectivité.

Je ne m’attarderais pas ici sur les aspects détection précoce de la délinquance chez les petits enfants [1] et utilisation répressive de la psychiatrie. Ces dispositions font l’objet d’un refus majoritaire des scientifiques, des professionnels comme le montre les signatures massives de la pétition « pas de 0 de conduite ». Il s’agit de choix dangereux fondés sur une conception comportementaliste importée des USA où elle est loin de faire la preuve de son caractère scientifique et de son efficacité. Par sa prétention aux résultats, elle entraîne une conception consumériste et non citoyenne du débat sur la sécurité.

Il m’a semblé important d’en dire deux mots parce qu’elle prétend fournir les bases « scientifiques » à l’action sociale dans son acception la plus large.

Je me contenterais d’attirer votre attention sur ce qui concerne les rapports avec les citoyennes et les citoyens et sur la « politisation », je dirais même la soumission du travail social aux pouvoirs locaux , qui découle du changement total de perspective en matière de prévention.

Je ne suis pas sûr que cette loi soit une bonne chose pour l’administration des communes et pour les rapports entre les élus locaux, le maire et ses administrés. En enfermant le maire dans son rôle de responsable de l’ordre public, dans son rôle de police administrative, je pense qu’on le coupe des citoyens, des conseillers pour en faire un agent du ministère de l’intérieur.

Cette loi attribue au maire de véritables pouvoirs de police (et de justice avec le conseil des droits et des devoirs). Mais ce pouvoir risque fort de n’être qu’une apparence parce qu’il sera sous la surveillance permanente du ministère de l’intérieur et des outils de pilotage qu’il se donne pour évaluer les politiques menées : vous savez qu’au sein de ces organismes qui s’autoproclament experts en sécurité, les marchands de soupe sécuritaire, ceux qui vendent la sécurité aux communes pèsent lourd !

Nous aurons une véritable surenchère entre maires à laquelle se livrent déjà certains de vos collègues à coups d’arrêtés illégaux attentatoires aux libertés.

Bien loin de représenter un plus en termes de démocratie locale j’ai la conviction que ce sera un affaiblissement de cette démocratie locale, sa transformation en politique spectacle avec la mise en scène locale de la sécurité, thème qui fait vendre. L’espace local va se transformer avec la promotion exclusive du meilleur flic possible. Dormez braves gens le maire veille !

Tout débat sur les politiques des collectivités locales vont être sous la pression de ce souci sécuritaire et des nouveaux cadres que la loi va imposer. J’ai le sentiment qu’elle va vider de leur sens des dispositifs mis en place dans cette ville et qui ne sont pas dans ce sens.

Je pense que le rôle du maire comme interlocuteur des citoyens, capable d’écoute, va être mis en cause par ces nouvelles fonctions quasiment féodales qui vont le déconsidérer après de beaucoup de ses concitoyens. Demain nous allons connaître en matière de sécurité publique, dans la logique consumériste que j’évoquais plus haut, la mise en cause juridique de la responsabilité des maires qui n’auront pu empêcher tel ou tel acte de délinquance. : là aussi se joue une décrébilisation du politique dont nous sommes tous victimes.

Enfin la prévention de la délinquance est une guerre préventive aux pauvres, aux personnes en difficultés de tous ordres, puisqu’elle prévoit des « sanctions préventives » avant même qu’un délit soit commis, puisqu’elle désigne ceux qui connaissent « des difficultés sociales éducatives ou matérielles » comme cibles à priori de la surveillance. Elle prive une partie de nos concitoyens du droit à la vie privée que protégeait le secret professionnel et le code pénal.

En instrumentalisant les travailleurs sociaux, réduits au rôle de mouchards au service de la police et des autorités locales, elle détruit les bases du travail social, et la prévention qui s’appuyait sur ce même travail social. En se privant de ces outils essentiels, elle n’apporte aucune réponse réelle aux problèmes posées par la montée, qui continue après des années de politique sécuritaire, des violences aux personnes.

Vous savez que les travailleurs sociaux dans leur grande majorité, les associations professionnelles et syndicales, des associations rejettent cette loi comme contraire aux principes qui fondaient le travail social et dénoncent les risques qu’une loi de circonstance, électoraliste, va faire courir à nos concitoyens.

Plusieurs centaines de professionnels dans ce département ont signé un engagement de désobéissance civique à ne pas appliquer cette loi. Allez vous poursuivre tous ceux qui refuseront de collaborer ?

Quels problèmes vont se poser avec un conseil général qui depuis 2004 avait émis de grandes réticences vis à vis de ce dispositif qui empiète sur ses propres compétence au mépris des lois de décentralisation ?

Tout ceci et les effets sur la politique de la ville nécessiterait un débat approfondi du Conseil si possible avant la discussion de la loi à l’assemblé nationale.

Il ne s’agit pas de vous imposer un vote à l’assemblé nationale mais d’éclairer les législateurs sur ce que pensent les collectivités territoriales. Il s’agit de notre droit en tant qu’élus locaux de dire ce que pensons des missions nouvelles qu’on impose à la collectivité.

Recevez, madame le Maire,mes salutations

Etienne Adam

10 juillet 2006

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Notes :

[1] dans la dernière version du projet de loi l’article qui prévoyait cette détection a été supprimé, pour revenir dans un autre projet sur la protection des mineurs : il n’en reste pas moins que l’orientation reste la même


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