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Le hold-up du siècle

Non la dette n’est pas tombée du ciel comme un châtiment divin sur des vilains dépensiers comme veulent nous faire croire les "economistes attérants" qui sévissent à longueur de temps sur les ondes !

Elle est l’effet des politiques libérales mises en oeuvre depuis 1973.

Voir aussi sur le site de la FASE http://lafederation.org/index.php?o...

 

D’où vient la dette ?

Pour ce qui est de la France la dette publique commence à augmenter dès 1974, avec l’apparition d’un déficit budgétaire qui devient structurel. Depuis 1974, aucun budget n’a été réalisé sans déficit (avec des pointes à plus de 6% du PIB en 1993 et 2010). Au déficit du budget, il convient d’ajouter celui de la Sécurité Sociale. Cette dette publique est passée de 72,8 Mds d’€ en 1978 (21,2% du PIB), à1531,2 Mds d’€ en 2010 (82,3% du PIB). Mais c’est surtout à partir des années 90 que l’on observe une accélération de l’endettement public, on pourrait dire un emballement.

La dette publique a commencé en fait par une rapide expansion de la dette privée, et principalement par celle des crédits aux ménages. Face à la mondialisation, l’exacerbation de la concurrence, la domination idéologique de la pensée libérale, les pressions sur les salaires s’intensifient et la part des salaires dans la VA ne cesse de régresser. Pour contrecarrer les effets de cette baisse de la part des salaires sur la demande, le système financier international a largement poussé à l’endettement des ménages, principalement hypothécaire. La crise des montages financiers complexes et insoutenables (les fameuses subprimes) a laissé un montant considérable de dettes privées à épurer ; On a donc fait appel aux Etats pour sauver les banques, la première source est là : on a en quelque sorte nationalisé en partie la dette !

La deuxième source se trouve dans les politiques publiques qui ont fortement réduit l’imposition des revenus du capital et des profits (baisse des taux marginaux de l’IRPP, de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, multiplications des exonérations et des niches fiscales) ainsi que l’impôt sur les successions, et qui ont largement autorisé l’évasion fiscale vers des paradis fiscaux que l’on a laissé se développer sans entraves.

Ces analyses sont de plus en plus exprimées aujourd’hui, mais il convient de s’intéresser de plus près à une autre source de l’endettement : l’absurdité du système monétaire et financier qui se met en place dans les années 70, se renforce avec les traités de Maastrich et de Lisbonne et qui revient à confier aux banques privées le monopole de la création monétaire.

L’absurdité du système monétaire et financier...

En 1973 le gouvernement réforme les statuts de la Banque de France en lui interdisant toute avance au Trésor public. Il faut préciser que cette disposition à été reprise intégralement dans le traité de Maastrich, les statuts de la BCE et l’article 123 du traité de Lisbonne. La BCE s’interdit donc de prêter directement aux Etats qui sont dorénavant contraints de s’adresser aux marchés financiers.

Il faut saisir l’ampleur des conséquences de cette législation. Dans notre système monétaire la seule source de création de monnaie est le crédit. Ce n’est plus l’afflux de métal précieux comme au XVIème siècle qui accroît la masse monétaire.

Aujourd’hui la monnaie est pour l’essentiel créée par les banques de dépôts sous forme scripturale à l’occasion des crédits consentis à leurs clients et cette monnaie est détruite lors du remboursement. La seule limite à la création monétaire tient dans la quantité de monnaie centrale ( monnaie fiduciaire, c’est à dire billets, détenue par les banques dans leurs coffres pour faire face aux demandes de retraits des clients ainsi que leurs avoirs à la Banque Centrale) qu’elles détiennent.

Or la croissance économique, l’approfondissement de la division sociale du travail, imposent davantage de monnaie pour que les marchandises produites circulent. La seule façon d’augmenter la masse de monnaie en circulation c’est d’accorder plus de crédits, plus précisément que la masse des crédits accordés l’emporte sur celle des crédits remboursés, faute de quoi c’est la récession et la déflation assurées.

Dans les années 50/60 Il en allait autrement. L’Etat pouvait emprunter directement à la Banque Centrale et à taux nul, gratuitement donc.

Ce qui signifiait que l’Etat pouvait financer un déficit de ses comptes en faisant marcher la planche à billet comme on disait. Une partie de la création monétaire trouvait donc sa source dans les crédits de la Banque centrale à l’Etat.

Tant que le recours à cette pratique restait limité, que les dépenses publiques généraient une l’activité économique d’un montant équivalent tout allait bien. Si la quantité de monnaie croît au même rythme que l’activité économique, la valeur de la monnaie reste stable, si elle augmente trop vite alors la monnaie émise en trop grande quantité perd de sa valeur, c’est l’inflation.

...Et ses résultats

C’est précisément pour lutter contre l’inflation que l’interdiction a été faite à l’Etat de se porter emprunteur auprès de la Banque Centrale. Mais l’inflation n’avait pas que des défauts, elle permettait aussi de réduire la dette, de rembourser avec de la monnaie dévalorisée, elle favorisait l’emprunteur ( l’Etat, mais aussi les entreprises qui finançaient leurs projets d’investissement ou même les ménages qui désiraient devenir propriétaires de leur logement.).

Les Etats, alors même que les revenus salariaux voyaient leur part diminuer sensiblement (de 67,3% du PIB en 1980 à 56 % aujourd’hui pour les pays de l’OCDE en moyenne source OCDE) et qu’ils constituent l’essentiel de l’assiette fiscale et des cotisations sociales, se sont endettés sur les marchés financiers contraints de verser un intérêts aux préteurs.

Dans ces conditions la dette ne pouvait que grossir, d’autant plus qu’en multipliant les cadeaux fiscaux aux plus fortunés, l’Etat se voyait obligé d’emprunter pour payer les seuls intérêts.

Dans le même temps les revenus du capital, déjà gonflés par les transferts en leur faveur dans le partage de la Valeur ajoutée et la faiblesse de leur imposition, grossissaient des intérêts prélevés sur les Etats.

Ces revenus particulièrement concentrés pouvaient alimenter une spéculation effrénée, formant une succession de bulles spéculatives inflationnistes ( logement, nouvelles technologies, marché de l’art, matières premières, or, brevets etc...). Ainsi depuis entre 1980 et 2008 la France a versé 1300Mds d’€ d’intérêts et cette somme explique l’essentiel de la dette actuelle.

Il faudrait faire un audit précis pour savoir qui aujourd’hui détient de la dette publique, mais tout s’est passé comme si les cadeaux fiscaux fait aux plus fortunés qui n’en avaient pas besoin, se sont recyclés massivement pour prêter aux Etats sur les marchés financiers constituant pour cette nouvelle oligarchie (les 1% que dénoncent les « indignés ») une véritable rente qui devient pour les peuples sur qui elle pèse de plus en plus insupportable.

Un véritable hold-up en quelque sorte.

Pas étonnant que la BCE, dans un contexte de forte récession et de menace déflationniste continue à expliquer que son objectif premier reste la lutte contre l’inflation. L’inflation en effet a toujours été la hantise des rentiers !

La crise ne peut que s’approfondir

Mais la réalité c’est bien que la crise ne peut aujourd’hui que s’approfondir dans la mesure où elle prend un caractère cumulatif.

Toutes les politiques mises en œuvre en Europe consistent à rassurer les marchés financiers (c’est à dire les détenteurs de créances sur les Etats) en généralisant les politiques d’austérité qui pèsent la grande masse de la population tout en préservant largement les profits et hauts revenus ( ce sont eux qui détiennent la plus grande partie de la dette publique et qui contrôlent les agences de notation).

Depuis la crise des années 30 les gouvernements pratiquaient avec plus ou moins de succès des politiques contra-cycliques favorisant la reprise de l’activité économiques en partie financées de la création de monnaie (crédits octroyés par la banque centrale à taux d’intérêt quasi-nul et même à taux réel négatif en cas de faible inflation). Aujourd’hui, contraints, par choix politique, à emprunter à taux élevé , ils sont conduits à mener des politiques pro-cycliques, et qui plus est tous ensemble.

Ce qui ne peut que freiner l’activité économique, ralentir les rentrées fiscales, et contraindre à emprunter de nouveau et à prendre de nouvelles mesures d’austérité.

Aveuglement ou stratégie du choc ?

La crise dans ces conditions est devant nous ! ( pour reprendre l’expression de N. Klein) ? On peut se demander si le but ultime de cette stratégie n’est pas la poursuite du vieux rêve libéral de démantèlement de l’Etat Social.

A commencer par tous les mécanismes de protection sociale hérités de ce que l’on a appelé l’Etat Providence. La menace est réelle, l’enjeu considérable. On ne saurait se contenter de rendre ces mesures moins insupportables en accroissant sensiblement la pression fiscale sur les hauts revenus. Même si une véritable révolution fiscale s’impose, des mesures radicales doivent être prises pour nous débarrasser du fardeau de la dette publique.

Il convient d’abord de monétiser une partie de la dette, c’est à dire autoriser, voire obliger, la banque centrale à racheter une partie des créances souveraines. Ce qui rappelons-le est interdit ( mais déjà à faible mesure pratiqué) par les traités européens ( dont le dernier à été adopté sans que l’on demande leur avis aux peuples parce que ceux à qui on l’a demandé...je ne recommence pas l’histoire du TCE ici !).

Il faut donc s’émanciper du traité de Lisbonne : pas une mince affaire !

Refuser la rente à perpétuité pour la finance

D’autre part il convient de mener un audit citoyen de la dette publique, c’est à dire une véritable expertise permettant de savoir non seulement d’où elle vient, si une partie peut être qualifiée d’illégitime ou odieuse mais aussi qui la détient véritablement et dans quelles proportions ( banques, compagnies d’assurances, fonds de pensions, hedges funds, produits financiers présents dans les différents comptes d’épargne des ménages).

On pourra ainsi déterminer quelle partie de la dette pourra être purement et simplement annulée.

Cette question ne peut être évacuée : personne n’exige en effet le remboursement de la dette, mais le retour à l’équilibre des comptes publics pour l’empêcher de croître ; il s’agit pour les créanciers de s’assurer par le versement des intérêts une rente à perpétuité financée par l’impôt ! Insupportable !

Mais il faut aussi faire de la monnaie un bien public. La proposition de séparer les activités de gestion des comptes courants et les activités financières est un véritable serpent de mer de l’histoire du capitalisme qui se répète à chaque crise et reste très en deçà des nécessités. Il faut nationaliser les banques ! Et le plus simple est encore d’attendre que la valeur de leurs actions s’écroule , ce qui, la crise aidant et face aux menaces d’effacement d’une partie de la dette, ne saurait manquer d’arriver.

16 novembre 2011


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