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Altermondialisme, mouvements sociaux, FSM : défis, contradictions, perspectives

5 mai 2009

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=745

Dans le cadre des textes visant à susciter la réflexion sur les stratégies de "sortie progessiste de la crise" je vous invite à lire le texte suivant, reçu par le Cedetim dans le cadre de l’appel à contribution "crises et mondialisation", ce texte de Pierre Beaudet est en ligne sur http://www.reseau-ipam.org/spip.php...

Pierre Beaudet est canadien membre du réseau Alternatives internationales, dont fait partie en France le Cedetim. Alternatives internationales est un réseau actif dans l’animation du Forum social mondial.

Ce texte long (je vous conseille d’en tirer une version papier en cliquant sur format imprimable) est intéressant comme contribution à l’analyse des défis stratégiques pour l’altermondialisme et plus largement pour tous ceux qui veulent contribuer à une évolution positive de la planète.




Altermondialisme, mouvements sociaux, FSM : défis, contradictions, perspectives

Le FSM a été un processus ambitieux qui a réellement marqué l’évolution des mouvements populaires dans plusieurs régions du monde ces dernières années.

Durant ces huit ans, des avancées spectaculaires ont permis au FSM de construire un réel espace de réflexion et de dialogue impliquant des centaines de milliers d’organisations en ouvrant toutes sortes de perspectives.

Parallèlement, le processus du FSM a facilité la mise en place de mécanismes de coordination entre plusieurs secteurs du mouvement populaire. Bref tout cela représente un indéniable succès.

Pour autant il importe aujourd’hui de réévaluer la situation à la lumière non seulement des perspectives et des contraintes des mouvements populaires, mais aussi dans le contexte de la crise actuelle du capitalisme. Ou, devrait-on dire, la « crise des crises », qui change les données d’une manière assez radicale.

Quelques notes sur la « crise des crises »

Plusieurs travaux ont récemment abordé la « crise des crises », notamment ceux de Samir Amin, François Houtart, Walden Bello, Robert Brenner, Michel Husson et de plusieurs autres.

Loin d’être une « simple » crise financière, la tempête actuelle est une crise « d’accumulation », reflétant l’épuisement d’un « modèle » mis en place depuis trente ans (le néolibéralisme). La crise est également un reflet de la compétition en cours (contradictions inter-impérialistes), entre un empire déclinant (les États-Unis) et l’émergence de nouveaux pôles capitalistes, encore trop ambigus pour s’imposer (Union européenne, Chine, notamment).

Face à cela, les dominants tentent de reprendre l’initiative contre les dominés, en leur faisant accepter (hégémonie), ou en leur imposant (coercition) une « sortie de crise » qui permettrait la relance de l’accumulation. De toute évidence, ce processus sera laborieux, difficile, complexe.

Quels modèles de « sortie de crise » ?

Le capitalisme sous sa forme néolibérale a permis une formidable relance de l’accumulation capitaliste depuis les années 1980. La financiarisation, le démantèlement partiel du filet de sécurité sociale, la délocalisation des segments à forte intensité de main d’œuvre vers les nouveaux « ateliers » du monde ont permis une formidable explosion de l’accumulation.

Aussi devant la crise actuelle, le réflexe des dominants est de « réparer » ce mode en en éliminant les travers les plus criants. Dans leur optique (comme on l’a constaté au sommet du G-20 à Londres, il s’agit d’une nouvelle « régulation » qui devrait permettre de « nettoyer » les institutions financières (qui ont l’ascendant dans le modèle actuel). Bref, d’éliminer les actifs « toxiques » et les pratiques « prédatrices ».

Ce nettoyage devra être toutefois financé par les classes populaires, immédiatement (hausses de taxes et coupures de services) et à long terme (la dette), ce faisant, en érodant encore davantage ce qui reste du modèle keynésien.

Le « laboratoire » de cette opération est évidemment dans l’épicentre du système, soit aux États-Unis, où le gouvernement fédéral vise à refinancer les banques tout en imposant aux classes moyennes et populaires de sombres coupures dans leurs conditions de vie et de travail, présentées comme le seul moyen de sauver leur emploi.

Rivalités inter-impérialistes

Les dominants en Chine, dans les pays émergents et dans plusieurs pays de l’Union européenne, ne sont pas tout à fait d’accord avec cette sortie de crise qui permettrait aux États-Unis de perpétuer leur domination (notamment via leurs institutions financières et le maintien du dollar américain comme monnaie de référence mondiale), et ce, sans procéder aux « réformes » qu’ils ont eux-mêmes imposées au reste du monde durant les années 1980-90 (l’ajustement structurel).

Le non-consensus au sein des dominants porte donc sur la stratégie de sortie de crise, mais aussi sur le leadership et la cohérence de l’ensemble du système maintenue depuis 1945 sous l’égide des États-Unis.

L’Union européenne voudrait en plus d’imposer aux États-Unis de financer leur propre crise (via une dévaluation sans précédent de leurs actifs et des revenus), au lieu de la « déverser » sur les autres États à qui on demande de « faire leur part » en s’endettant et en participant au sauvetage de l’économie états-unienne.

L’Europe et les pays émergents voudraient également établir une autre architecture mondiale (réforme du FMI et de la Banque mondiale), consolider de forts « blocs régionaux » semi-autonomes (en commençant par l’UE) et revitaliser ONU, notamment pour le maintien de la « paix » (c’est-à-dire la « pacification » des peuples récalcitrants).

En bref, accentuer le virage néolibéral quitte à lui trouver des formes « accommodantes », social-libérales.

La guerre« sans fin » reconfigurée

Devant cette impasse, les dominants états-uniens disposent, avec leur indéniable supériorité militaire d’une carte-maîtresse.

C’est le résultat des énormes investissements consentis depuis la fin de la guerre froide, qui ont culminé avant même l’arrivée de George Bush au pouvoir (la stratégie dite du « full spectrum dominance »). En clair, il s’agit d’assurer, non seulement la domination états-unienne actuelle, mais l’écrasement des compétiteurs « potentiels ».

Sous la présidence Bush, cette guerre « sans fin », « préventive », « unilatérale » a été portée à son paroxysme, suscitant de graves errements tactiques et des échecs retentissants.

Mais aujourd’hui avec Obama, on envisage (« realpolitique »), de perpétuer la guerre sans fin sous d’autres formes. La « réorganisation » en cours de l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak, l’encerclement progressif de la Russie (en évitant des confrontations inutiles comme en Géorgie l’été passé), la multilatéralisation de cette guerre (avec l’OTAN au centre), sont autant d’efforts consentis pour remettre l’Empire sur les rails et de facto, assurer l’hégémonie états-unienne sur la « triade » et sur une grande partie du reste du monde. Pour arriver jusque là, les États-Unis misent sur le fait que les dominants européens (et japonais) ont traditionnellement accepté, parfois avec réticence, cette subordination.

Ainsi pourrait se structurer la « nouvelle » guerre du vingtième-et-unième siècle, contre la Russie, éventuellement contre la Chine, en passant par des confrontations avec de nombreux États « récalcitrants » (le Venezuela, l’Iran, la Corée du nord, etc.).

Cette relance de la guerre sans fin ne se fait pas sans la mise de l’avant de nouvelles tactiques et approches et n’exclut pas des négociations partielles, par à coup, comme on le voit avec Obama sur l’Iran par exemple. Mais la substance demeure la même : assurer la subordination des États, petits et grands, aux impératifs de l’Empire.

Les mouvements populaires confrontés

Regardons maintenant l’autre versant de la lutte. Depuis la moitié des années 1990, principalement en Europe et en Amérique du Sud, les dominants ont contesté le « modèle » néolibéral.

Ils ont réussi à mener et même à gagner, jusqu’à un certain point, la « bataille des idées », sans toutefois réussir (à part quelques exceptions) à déraciner le néolibéralisme qui s’est redéployé sous de nouvelles formes, tout en poursuivant son labeur de déstructuration/restructuration du capitalisme et des luttes de classes.

Un autre monde possible et-ou nécessaire

Cette effervescence a pris la forme de nouvelles coalitions impliquant des mouvements sociaux « anciens » (syndicalisme) et « nouveaux » (paysans, écolos, jeunes). Celles-ci se sont déployées comme autant de contre-pouvoirs, en capilarisant leurs structures (les réseaux).

De tout cela ont émergé de vastes alliances ou « alliances d’alliances » qui ont alors débouché sur des « réseau de réseaux » à l’échelle internationale, dont le plus important est le FSM. Ces nouvelles configurations sociales politisées se sont jetées dans un nombre incalculable de batailles, de manœuvres défensives, de blocages, en refusant souvent (mais pas toujours) de se subordonner à des agendas politiques.

Par contre elles se sont déployées en force d’appui électoral aux projets de centre-gauche, dans le sillon d’une social-démocratie profondément transformée (le social-libéralisme).

L’irruption des subalternes

Contrairement aux expériences précédentes de coalitions « de gauche », les alliances des dernières années, agissant sous la forme de réseaux, ont permis de renforcer l’autonomie des mouvements, notamment de ceux qui ont été mis en place par les classes et groupes subalternes (piqueteros-chômeurs, autochtones, paysans sans-terre, dalits).

L’horizontalité, l’action « positive » en faveur de ceux qui sont généralement marginalisés dans les mouvements (Femmes, jeunes, immigrants, autochtones, paysans), l’élaboration de nouveaux mécanismes de coordination et d’information ont été les outils de cette élaboration.

Et ainsi dans ce contexte, les réseaux ont acquis une importance inédite, non seulement comme vecteurs de la mobilisation populaire, mais également comme porteurs d’une autre utopie qu’ils n’ont pu cependant définir (à date).

Le résultat est un ensemble de contradictions de forte intensité où les classes populaires ne capitulent pas, continuent leurs mobilisations et leurs avancées, tout en étant confrontées au fait qu’elles n’ont pas la capacité de construire un projet contre-hégémonique.

Le « laboratoire » latino américain

Tout cela s’articule de manière profonde et spectaculaire en Amérique du Sud. De puissantes insurrections de masse ont renversé non seulement des régimes, mais des systèmes mis en place par le capitalisme mondialisé (Argentine, Bolivie, Équateur, Venezuela).

Ailleurs, sans réussir à vaincre, ces insurrections se sont imposées sur des espaces transversaux (géographiquement et-ou socialement). Dans la majorité des cas, les mouvements ont imposé un déplacement du mode de gouvernance de façon à élargir leurs positions.

Maintenant confrontés à ces partis dits de « centre-gauche » (social-libéralisme), ils réussissent à maintenir un niveau assez élevé de mobilisation, voire à disloquer les réseaux et les organisations des dominants (comme en Bolivie ou au Venezuela).

Ils internationalisent ou au moins régionalisent leurs luttes. Par ailleurs, les mouvements subissent de fortes tensions qui traversent les classes populaires, et les ramènent devant leurs propres contradictions, hésitations et bifurcations.

La guerre de position

Gramsci nous disait que dans la crise, lorsque le vieux tarde à disparaître et que le nouveau hésite à venir, la société est atteinte de syndromes morbides.

De très graves cassures apparaissent en laissant percevoir la capacité destructive des dominants.

Ces capacités peuvent être « transférées », si on peut dire, chez les dominés. « Pauvres contre pauvres », « tout le monde contre tout le monde », et voilà le monde facilement replongé dans l’ethnisme, la barbarie, le génocide. De la lutte de classes à la guerre raciale, le pas est vite franchi (dont les fondements sont posées dans la « guerre des civilisations »), comme on l’a vu en Europe durant une bonne partie du vingtième siècle.

Pour le moment cependant, les dominés sont encore assez forts pour éviter cette dérive.

Ils demeurent à la fois « retranchés » dans leurs espaces réels et virtuels. Ils hésitent entre la défensive (plus sécuritaire et plus avantageuse) et l’offensive (très risquée) et cette hésitation vient en bonne partie du fait qu’ils n’ont pas un projet contre-hégémonique.

Le Forum social : espace dialectique et dynamique des mouvements

Depuis 2001, un nouvel outil a été « inventé » comme passerelle et moyen d’interaction entre les mouvements populaires. Il est apparu au Brésil, non pas par hasard, mais parce qu’il est issu des avancées de longue durée marquées par les mouvements populaires de ce pays. Par la suite comme on le sait, l’initiative s’est internationalisée, tout en conservant une forte connotation brésilienne et latino-américaine.

Avancées et limites

Plusieurs travaux récents ont proposé des bilans détaillés du processus de Forum. Son élargissement (social et géographique), sa capacité d’adaptation (horizontalité, fluidité), son impact sur les mouvements sociaux et la société en général, se sont sans cesse accrus, de 2001 à 2009.

Certes, les contradictions ont été et demeurent multiples : éparpillement, routinisation, bifurcations régionales menant à des impasses, etc. En gros et sur le fonds, le FSM a été profondément modelé par les avancées et les limites des mouvements dans les espaces où il a été mis en place, tout en ayant sur ces mouvements une influence certaine.

Cause et conséquence à la fois de processus plus larges, le FSM reflète bien la principale ligne de fracture du mouvement social, entre sa capacité de résistance d’une part, et ses limites à formuler un projet contre hégémonique global et cohérent.

La bataille des idées

En gros, le FSM a été assez efficace dans la grande bataille des idées, dans la délégimitation de la « pensée unique » exprimée par les secteurs les plus arrogants du néolibéralisme.

Cette bataille s’est faite en faisant converger les perspectives radicales des luttes anticapitalistes et anti-impérialistes de mouvements de masse comme le MST avec les projections néokeynésiennes de réseaux comme ATTAC.

Elle s’est également déroulée en faisant appel à un vaste aréopage d’intellectuels plus ou moins « organiques », de Chomsky à Stedile en passant par Stiglitz et le Monde diplomatique. Elle s’est répercutée sur diverses sociétés, via non seulement les mobilisations, mais aussi par les médias « alternatifs » (notamment électroniques).

Elle a pris la forme d’une critique sévère des diverses dimensions de la mondialisation néolibérale, critique aujourd’hui validée par la crise.

Elle s’est également aventurée, quoique modestement, sur le terrain des alternatives économiques, sociales, écologiques, revitalisant et modernisant le concept du bien commun.

Enfin cette bataille des idées a brisé un certain nombre de tabous plus ou moins paradigmiques en facilitant une nouvelle « sociologie des émergences (Santos) dans les territoires traditionnellement non explorés de l’identité, des « valeurs », de l’utopie.

Les défis

Huit ans plus tard, le FSM continue d’évoluer, d’autant plus que son horizontalité et son ancrage large lui permettent d’éviter la rigidification.

Toutefois, on le constate depuis 2006 notamment, il rencontre de nouveaux défis. Le premier défi est sans doute la « banalisation » ou la ritualisation du FSM, comme un « évènement » qu’il « faut » organiser, et non comme un processus vivant et changeant. Cette routinisation guette toujours non seulement les mouvements sociaux, mais aussi les initiatives de réseautage (on pense aux Internationales du siècle précédent).

Elle relève de plusieurs facteurs dont les limites des mouvements sociaux à continuer dans l’innovation et la résistance. Il y a également le poids des « appareils » et de leur sociologie bureaucratisante, normalisante, tendant à reproduire au lieu de créer, ce qu’on constate dans les grandes organisations syndicales et certains ONG notamment.

De nouveaux paradigmes organisationnels

Le FSM et les mouvements qui en sont la base sont à un autre niveau confrontés à leurs propres limites, d’où la tendance (sociologique et idéologique) à penser ou à espérer des « raccourcis », qui sont mis sur l’agenda par des organisations, des personnalités, des réseaux charismatiques, souvent populistes (mais pas toujours) et qui se proposent comme le 10 000 FSMs « organisateurs » de la mobilisation populaire et de la transformation sociale.

Le fait que la question de l’organisation est posée, notamment face au pouvoir, qu’on veuille le transformer, le capturer ou le marginaliser.

Mais jusqu’à un certain point, l’innovation sociale des dernières décennies, y compris celle du FSM, secondarise (sans l’éliminer totalement) le concept de l’organisation-miracle, du chef-miracle, du moment « cataclysmique » de la « prise du pouvoir ».

Restent à aller plus loin que ce qui a été réalisé ces dernières années et à imaginer (comme on le voit en Bolivie) une nouvelle configuration des mouvements par rapport au politique.

Ce qui passe par au moins deux contradictions. Celle de l’autonomie d’une part, moment incontournable de l’affirmation des classes subalternes. Celle de la convergence d’autre part, par laquelle ces classes et leurs mouvement identifient les points d’intersection stratégiquement indispensables et tactiquement réalisables.

Les dix prochaines années

Construire le mouvement populaire reste au centre de l’attention de tous ceux et celles qui luttent pour un autre monde, y compris et à commencer par le FSM. Il n’y a ni raccourci ni substitut.

Et le travail est franchement à peine entamé, compte tenu de nombreux facteurs. Le fait est que dans notre monde néolibéralisé, la vaste majorité des couches populaires demeure inorganisée, dans la dislocation du monde du travail traditionnel, la bidonvillisation et la déstructuration du monde rural.

Et à côté de cette masse, ici et là, des embryons de nouvelles formes organisationnelles surgissent : elles doivent être renforcées, protégées, appuyées.

Le projet contre hégémonique

C’est dans ce bouillonnement qu’apparaissent l’ébauche du projet contre-hégémonique.

Il surgit dans les initiatives de résistance et de blocage, le refus (Que se vayan todos), la capacité de jeter de (gros) grains de sable dans l’engrenage des puissants.

Des grèves surgissent des occupations d’entreprises et de ces occupations s’élaborent de nouvelles gouvernances, encore très locales, mais porteuses.

Il surgit dans le laborieux travail des convergences, qu’on voit à l’œuvre sur des laboratoires comme la Bolivie ou le Népal, et où les classes populaires dans toute leur diversité et leurs contradictions, négocient entre elles l’étroit chemin entre la capitulation et l’aventure.

Échec à la guerre

Ce contre projet n’a pas d’avenir si il ne réussit pas à déjouer l’adversaire dont la stratégie est basée sur la militarisation du monde et l’enchaînement des classes populaires aux projets barbares (guerre de civilisation) à connotation ethniste et raciste.

Ce n’est pas évident pour tout le monde, mais dans ce contexte, la bataille de Gaza, de Bagdad ou de Kaboul n’est pas un « évènement » lointain et malheureux où on se solidarise avec l’« autre », mais un terrain de confrontation immédiat et percutant pour tout le monde, y compris à Sao Paulo, Mumbai, Paris ou Los Angeles.

Écosocialisme

Le projet contre hégémonique du vingt-et-unième siècle est définitivement en rupture avec toutes les idéologies et utopies de la « modernité », de la « croissance économique », du « progrès technoscientifique ».

Pendant des décennies, les mouvements sociaux ont été aveuglés par une idéologie des « lumières » tamisée à gauche, sans trop écouter les avertissements critiques et prophétiques de plusieurs.

Mais aujourd’hui, ce projet de la « modernité » est en phase terminale. Encore de manière ambigüe, le mouvement met alors de l’avant cette perspective écosocialiste, et où parmi plusieurs traits marquants est cette notion que la protection de l’environnement naturel est organique à toute élaboration de développement social équitable.

Le retour des exclu-es

Les paysans, autochtones, dalits et autres exclus de ce monde sont bien sûr de retour et ils n’ont pas demandé la « permission » à personne.

Mais ce retour reste encore un défi pour qu’il prenne toute sa force et sa signification. Il ne s’agit évidemment pas de dramatiser les contradictions au sein des classes populaires. Encore moins de diviser les mouvements populaires entre les « bons » (les nouveaux) et les « méchants » (les anciens).

Néanmoins, l’équation est en train de changer, non seulement sur une base théorique. Dans la pratique des masses urbaines et rurales, cette nouvelle « multitude » reconfigure les lieux et les pratiques de la lutte pour l’émancipation.

De nouvelles « boîtes à outils »

Pour permettre et accentuer toutes ses avancées, les mouvements populaires, de même que le FSM, construisent de nouveaux « outils » qui sont à la fois conceptuels et pratiques.

L’épistémologie même, -les concepts- est en transformation (Santos), ce qui ne veut certes pas dire une « tabula rasa », mais de nouveaux développements permettant de comprendre la substance des choses dans leur élaboration contemporaine, complexe, dialectique.

Parallèlement, le mouvement populaire produit de nouvelles tactiques, de nouvelles « mécaniques », visant toujours et davantage le renforcement des résistances par leur démocratisation (une « leçon » durement apprise depuis l’implosion du socialisme « réellement existant« du passé).

Les « outils » pratiques dont le mouvement a besoin impliquent de nouvelles « technicités » dans toutes sortes de domaines (gestion, communication, gouvernance, etc.).

C’est aussi une bifurcation vers le «  glocal  », c’est-à-dire la capacité d’ancrer les résistances dans un espace dense et structuré tout en les projetant et en les faisant converger à une échelle plus vaste.

Du et de la politique

Pour terminer, le mouvement populaire et ses expressions et espaces comme le FSM fait bien évidemment de la « politique » au sens de la « polis » et de l’action citoyenne sur les structures du pouvoir.

Mais plus concrètement, le défi actuel est double. À une première échelle, il faut construire (c’est une métaphore) un nouveau « front uni antijaponais », pour vaincre, ou au moins faire reculer, l’Empire.

Pour cela il faut sortir des sentiers balisés, ce qui veut dire en clair constituer, et donc même animer, les plus grandes coalitions sociales, y compris avec les expressions multiples du projet social-libéral, comme le font nos camarades latino-américains pour bloquer la droite et ses supporteurs états-uniens.

Chercher également à utiliser, sans se subordonner, les contradictions inter-impérialistes, toujours pour affaiblir l’Empire, sans servir de marche pied aux compétiteurs de cet Empire.

Simultanément, encore là dans le cadre de la métaphore du Front uni antijaponais, il faut bâtir sa propre force, marginaliser, au sein de l’alliance,

le social-libéralisme, voire, renverser l’équation au profit des mouvements populaires. C’est une opération certes très risquée !

10 000 FSM

Dans tout cela, le rôle du FSM est incontournable. Un FSM créatif, innovateur, audacieux, inclusif, un espace et en fait un espace d’espaces où se dévoilent, se discutent, s’élaborent les pluralités du mouvement populaire, dans son volet de résistance comme dans son volet de construction des alternatives.

Bien sûr ce développement implique une capilarisation, le développement des embranchements vers des pays, régions, sous-régions, territoires locaux et nationaux.

Également vers toutes les avenues que prennent les mouvements populaires, dans le syndicalisme, l’altermondialisme, l’écologie, le féminisme. Et enfin sur tous les terrains principaux de la grande confrontation et de la bataille des idées.

Au-delà de la prolifération, le FSM des dix prochaines années doit se densifier, animer des processus de réflexion et d’articulation prolongés et d’envergure.

Nous avons besoin de créer, en même temps, toutes sortes de nouveaux projets, des « universités populaires » (Santos) à la télévision altermondialiste du monde (c’est maintenant possible sur la toile) en passant par des formes inédites de débats, de dramatisations, de mobilisations.

Ce capitulannionisme des élites européennes ne date pas d’hier. On se souvient de ce qu’elles disaient dans les années 1930 : « mieux vaut Hitler que le Front populaire ». La priorité était (et demeure) de mâter les classes populaires, quitte à se subordonner à un adversaire capitaliste plus puissant.

Etienne Adam
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