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Crise du logement, une crise de société ?

 

Les informations et analyses qui suivent sont connues : elles ont fait l’objet de rapports officiels ou d’intervention publique [1]. Pourquoi alors que les analyses convergent la crise du logement n’est elle pas au centre du débat public.

La crise du logement aujourd’hui ses caractéristiques :

Il faut mesurer les différences avec « l’hiver 54 » : C’était alors une pénurie de logement forte depuis la guerre qui créera les bidonvilles. Les grands ensembles construits dans les années 60 et 70 ont supprimé la pénurie, résorbé l’habitat précaire et permis de loger classes populaires et classes moyennes. L’action publique dans ce domaine a fait la preuve de son efficacité.

Aujourd’hui nous ne sommes pas dans une situation de telle pénurie, l’ouverture de nombreuses agences immobilières montre que le marché est actif [2]

le chiffre d’affaire des agences a progressé de 54% celui des promoteurs de 55%. Après un retard le nombre de logements mis en chantier dépasse les besoins ces dernières années. [3]

Derrière ces chiffres se cachent des inégalités accrues : tout le monde n’a pas des difficultés à se loger, n’a pas les mêmes difficultés pour se loger. Pourtant le CES estime : « on est bien dans une situation de crise profonde, qui suppose des mesures d’exception, crise qui touche de plus en plus de catégories, au delà des plus défavorisés stricto-sensu et qui débouche sur une crise de société » [4]

Ce sont les plus pauvres qui sont d’abord frappés par la mal logement, l’absence de logement. C’est sur le parc social (HLM) que se concentre la crise suite à la baisse du « parc social de fait » privé avec ses logements pas chers [5]

Les demandes de HLM vont croissant (multipliées par 2 en 20 ans !), les délais pour obtenir un logement s’allongent... au moment même où la construction de logement sociaux a connu une forte décrue dans les années 80 et stagne depuis : le déficit accumulé en 25 ans s’élève à 500 000 logements [6].

Dans la vague de construction en 2005 dont se félicitent nos gouvernants la part des logements accessibles aux revenus modestes baisse [7]

La demande de logement n’est pas la seule manifestation de cette crise : la cohabitation forcée (qui forme près d’1/4 des demandes dans l’agglo), les logements insalubres concernent encore 1 million de personnes, l’engorgement des structures d’urgences, le retour de bidonvilles et la montée des SDF [8]

Une partie des phénomènes de mal logement touche les ménages modestes (la cohabitation avec des parents faute de ressources permettant l’autonomie dans le logement ; la demande de caution des agences et de leurs assurances est un obstacle au départ des jeunes).

L’augmentation des crédits, « l’exil » des jeunes ménages loin de leurs lieux de travail sont aussi des signes que la crise, si elle est principalement sensible voire dramatique pour les plus pauvres , touche aussi des ménages de salariés : surtout ceux qui ne disposent pas d’un capital initial qui permet d’acheter. [9]

La ségrégation dans le logement leur ferme une part croissante des HLM dans les quartiers dits sensible où les offices ne leur offrent pas de logement.

Le dernier signe de la crise c’est la croissance de la part du logement dans le budget des ménages, c’est le premier poste de dépense avec 20%.

La précarité, le chômage, la pauvreté à la source de la crise du logement...

Les salariés précaires occupent aujourd’hui 1/6 des emplois, les temps partiels se développent, le couple Chômage(indemnisé ou non)-RMI augmente surtout sous les formes les moins indemnisées [10], le nombre des salariés payés au SMIC augmente, de plus en plus de salaires minima de branches sont en dessous du SMIC, tout ceci génère une augmentation de la pauvreté en 2001 3 600 000 personnes vivait en dessous du seuil de pauvreté officiel [11]

Ceci ne laisse pas d’autres choix que les logements sociaux et parmi ceux ci les plus anciens parce que les moins chers. La paupérisation des HLM est une réalité de plus en plus marquée : la proportion des pauvres a presque doublée en 4 ans [12].

Dans la même période les loyers des ménages pauvres ont augmenté de près de près de 80% quand les revenus augmentaient de 30%. Ils consacrent une part croissante de leur revenu au logement (au loyer il faut ajouter les autres charges). Leur contribution est en pourcentage plus élevée que celle des ménages modestes et surtout des autres [13].

L’effort pour se loger est encore plus grand dans le secteur privé et la différence encore très forte après les aides au logement (40%).

On comprend les tensions sur ce secteur du logement où la demande est croissante du fait de la montée de la pauvreté. Les HLM connaissent à la fois à la fois l’appauvrissement des locataires en place et l’entrée de locataires plus pauvres que ceux qui partent ; c’est ainsi que se créent de véritables secteurs réservés aux pauvres, une ségrégation spatiale qui se double dans nombre de banlieues d’une ségrégation raciale.

Le CES note les difficultés pour les salariés, notamment ceux des petites entreprises, mais sans doute aussi ceux qui sont en bas de l’échelle des rémunérations pour bénéficier de logements au titre du 1% patronal.

Il ne reste aux salariés qu’à s’adresser au secteur privé..

... quand les prix du logement le rendent de moins en moins accessible

La flambée du prix des logements neufs et anciens se répercute sur les prix des loyers. La hausse la plus forte de l’indice du coût à la construction depuis 1985 (intervenue en 2002) a même obligé le gouvernement à mettre en chantier un nouvel indice.

Depuis 1998 l’immobilier à cru de 70% : en 1991 avec 3400 € le m2 à Paris on pensait avoir atteint le sommet de la spéculation, l’éclatement de la bulle immobilière cette même année est venue accréditer cette thèse. Aujourd’hui nous en sommes à 4300€ .

Les politiques libérales ont ouvert un nouveau champ à l’immobilier et ceci de plusieurs manières :

Il est évident que dans un contexte de réduction des garanties collectives (comme les retraites par exemple !) beaucoup ont envie de se constituer un capital et de ce point de vie le logement semble une valeur sûre : le problème c’est que le rendement d’un logement par son loyer doit être au moins égal aux autres placements.

La mondialisation a ouvert aussi le marché de logement à l’international et on assiste avec des nuances aux mêmes niveaux d’augmentation dans l’ensemble des pays dits développés : le prix des loyers s’établit pour partie sur une base mondialisée.

Enfin la libéralisation financière de la fin des années 80, comme en France la suppression de l’encadrement du crédit en 1987 s’est suivie de boums du crédit et de forte croissance du prix réel des logements [14] Aujourd’hui les conditions de crédit et la concurrence entre les produits bancaires jouent un rôle déterminant pour soutenir la demande de logement et par conséquent l’évolution des prix immobiliers : le rallongement de la durée des prêts permet de diluer dans le temps le coût des logements.

Jusqu’à quand ces crédits seront soutenables, même pour des ménages qui ne sont pas défavorisés ?

Ces augmentations des coûts pèsent également sur le foncier : la rareté des terrains donc leur renchérissement dans une logique de marché conduit à une modification des paysages urbains : remplacement du logement social par le haut de gamme, abandon des centres villes, dépeuplement au profit de service et de bureau : l’immobilier commercial en stérilisant des terrains habitables vient précipiter la crise du logement [15]

Les politiques publiques ont livré le logement au marché, la droite détruit tous les réglementations qui empêchent le libre marché

La fin de la pénurie de logement dans les années 70 s’est traduite par un renversement de politique sur le logement.

En 1977 l’aide à la personne s’est substituée à l ’aide à la pierre : l’Etat n’a plus de rôle spécifique à jouer dans le logement sinon d’accompagner les personnes les plus en difficultés pour avoir un logement. Les HLM cessent dêtre le bras armé de la collectivité pour le logement avec financement pour des opérations de construction.

De plus le soutien à l’accession à la propriété est devenue la priorité : dès que les revenus baisseront ce système se grippera pour une bonne partie des salariés.

C’est le secteur privé qu’on doit aider en aidant les locataires à payer leur loyer :cette politique où les aides à la personne ne suivent pas les prix, conduit à l’augmentation des loyers , à l’abandon de l’entretien de logements considéré comme non rentables.

Une variante est d’aider les propriétaire à créer du logement en subventionnant l’achat de logement locatif : la loi De Robien est caractéristique de cette conception : elle permet à des propriétaires riches de se constituer un patrimoine à louer. mais pour que ce soit rentable sur le longe terme il faut investir dans du logement d’un certain niveau ce qui contribue à l’augmentation du parc privé de son prix et du prix des loyers [16].

Cette redistribution aux profit des riches est conforme avec les autres mesures prises sur le plan fiscal.

Face à la montée de la ségrégation sociale dans le logement et spatiale dans les quartiers qui résultait de l’abandon au marché du logement, la politique de la ville avait pour objectif de réduire les inégalités sociales et territoriales.

Les politiques de développement social des quartiers n’ont pas bénéficié des moyens nécessaires (face au désastre 0.36% du PIB ont été investi dans ces quartiers) et la dégradation du contexte économique ont conduit à une nouvelle idée celle de la mixité sociale telle qu’elle est mise en oeuvre aujourd’hui.

Le Programme national de Rénovation urbaine (loi Borloo 08/2003) introduit des changements à la fois quantitatif ( une augmentation sans précédent du nombre des démolitions) mais aussi qualitatif : il faut transformer en profondeur les quartiers et leur population dans le style des opérations de démolitions des quartiers populaires des années 1960.

L’objectif n’est plus la promotion des populations et des catégories sociales les plus modestes mais des espaces urbains. elle laisse entière la question du logement des populations les plus défavorisées.

Au contraire, par la valorisation de ces espaces elle les condamne à ne plus pouvoir y vivre : ce sont les quartiers des banlieues les plus modestes qui ont enregistrées les hausses les plus fortes ( + de 20% par an) [17].

Etienne Adam

28 septembre 2006

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Notes :

[1] Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale rapport 2003-2004, Conseil économique et social national « accès au logement droit et réalités » 2004, Fondation Abbé Pierre rapport annuel 2005

[2] nombre de transactions +25% en 2004 soit 763100

[3] 400 000 logements en 2005 alors que la croissance des ménages n’est que de 290 000cfr. Le Monde du 20/09/2005, Le Particulier 02/2005 et le rapport du CES p II 37,38 et 39

[4] CES « accès au logement... » p II 36

[5] Le nombre de logements à faible loyer dont ceux de la loi de 1848 était le symbole a baissé de 3 000 000 en 1984 à 825 000en 1996 ; celui des meublés et hôtels meublés de 379 000 en 1990 à 271 000 en 1999

[6] estimation de la fondation Abbé Pierre que personne ne contredit

[7] de 70 % des constructions avant 2000 à 40% : M Mouillart le Monde cité

[8] Dont personne ne se préoccupe de savoir combien meurent dans la rue cf Observatoire p 106. A Caen cet été entre 6 et 8 sont morts sans que ces décès donne lieu à des mesures sauf la lutte contre la mendicité...

[9] la part des « primo accédant » est passée de 75% en 2000 à 60% en 2004

[10] un seul exemple de la dégradation : en 1990 le RMI = 67 SMIC horaires, en 2004 50, le RMI a perdu 25% de sa valeur par rapport au SMIC

[11] 602 € pour une personne seule, 903 pour un couple..

[12] Enquête logement : famille pauvres 1108% en 1988 à 21.3% en 2002 dans le privé de 10.6 à 11.6 %

[13] en 2002 le taux brut est de 40% pour les pauvres de 25% pour les ménages modestes et 17% pour les autres..

[14] « l’impact de la libéralisation financière sur la dynamique des prix immobiliers a été particulièrement sensible dans le cas des pays d’Europe du Nord de la France au Royaume uni » écrit le bulletin de la Banque de France 01/2005

[15] cf rapport CES p II 46

[16] l’aide de l’état par logement sous forme d’exonération d’impôts est de 22500€ la subvention pour édifier un logement vraiment social est à peine supérieure 23000 € le Monde 20/09/2005

[17] en Seine St Denis les prix o,ont augmenté de 18% en 2004 et de 75% de puis 1977


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