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Une récupération gouvernementale indigne, des gesticulations inefficaces !

à propos du drame de Chambon sur Lignon

L’instrumentalisation de l’émotion bien compréhensible créée, par ce double crime, un viol suivi d’un meurtre est inadmissible !

La recherche de dysfonctionnements imputables aux carences des fonctionaires ou des psy, la recherche de bouc-émissaires en stigmatisant les jeunes violents sous la pression de médias donneurs de leçons est un bon moyen pour éviter le débat sur les violences faites aux femmes et sur l’impossibilité du rique zéro.

L’article ci dessous met les choses au point sur un aspect : l’organisation de la prise en charge des mineurs et ses limites liées en grande partie aux politiques suivies par ce gouvernement qui se pose, à tort, comme défenseurs des victimes.

Par contre il ne répond pas sur un d’autres terrains : la prétention de certains à vouloir faire de la prédiction sur la dangerosité de certains condamnés, l’instrumentalisation de la psychiatrie à des fins sécuritaires...le refus de voir les dimensions sociales...

 

par Françoise Laroche éducatrice membre du SNPES-PJJ /F.S.U

L’évènement dramatique survenu à Chambon sur Lignon, avec le viol et la mort de la jeune Agnès, a soulevé une émotion très forte, totalement légitime devant l’horreur du geste.

Ce qui est moins légitime, par contre, c’est la récupération politique qu’en fait immédiatement le gouvernement, sans pudeur, sans aucun respect pour la douleur des parents et des proches d’Agnès, et en insultant l’intelligence des citoyens.

A peine ce drame venait-il d’avoir lieu que déjà le ministre de l’intérieur, et celui de la justice, désignaient des coupables, pointaient des dysfonctionnements... et annonçaient dans la foulée, avec le 1er ministre, une nouvelle loi qui, cette fois, ferait de la lutte contre l’insécurité et la récidive une priorité absolue... Les quatre, cinq, dix lois votées sur le même sujet ces dernières années ne servaient donc à rien ? La sécurité n’était donc pas déjà une priorité pour Sarkozy ?... Et puis, qu’est ce que c’est que ce gouvernement qui réagit à chaud, sans prendre le temps d’analyser une situation, sans distinguer les problèmes de sécurité quotidiens des crimes heureusement extrêmement rares comme celui dont nous parlons aujourd’hui ?

Aujourd’hui plus personne n’est dupe, et ces gesticulations gouvernementales, jamais suivies d’effets positifs, lassent les citoyens.

La réalité est à l’inverse de ces gesticulations : le nombre de personnels à la Protection Judiciaire de la Jeunesse a baissé ces dernières années, les mesures judiciaires ordonnées par des magistrats s’entassent dans des listes d’attente de plus en plus longues dans les services de milieu ouvert... Voilà le bilan concret de ce gouvernement et de sa « RGPP »... Quant au secteur pédopsychiatrique, il est encore plus démuni ! Un adolescent souffrant de troubles ne trouve pratiquement aucun lieu de prise en charge. Entre les établissements de soin pour les enfants plus jeunes et l’hôpital psychiatrique pour les adultes, c’est presque le néant ! Et c’est donc souvent... dans les prisons que l’on retrouve ces jeunes, prisons où ils ne bénéficieront d’aucun suivi psychiatrique réel et où le plus souvent leurs symptômes s’aggraveront.

Quant au ministre de l’intérieur, qui décidément ne s’embarrasse pas de soucis démocratiques ou de libertés individuelles, il s’insurge contre le fait que la situation judiciaire du jeune garçon coupable présumé n’ait pas été étalée au grand jour... Non, monsieur Guéant, il n’est pas normal qu’un Maire, susceptible d’être soumis à diverses pressions s’il veut être réélu, où s’il veut obtenir des subventions, par exemple, connaisse a priori le passé judiciaire de ses administrés et de leurs enfants !

Il ne va pas de soi non plus que le directeur d’un établissement scolaire soit au courant de tout. Ça peut être parfois le cas, mais cela ne peut pas être la règle. Les enseignants ne sont pas spécifiquement formés à la prise en charge de mineurs en difficultés ou délinquants, et le regard qu’ils poseront sur un jeune ayant commis dans le passé un acte grave ne pourra pas toujours avoir le recul ou la neutralité nécessaires. On le voit régulièrement dans des établissements scolaires où le simple fait qu’un jeune soit connu comme étant placé à la PJJ suffit à le stigmatiser. Ce n’est heureusement pas la règle partout, mais les lieux de réinsertion sont trop rares et trop précieux pour prendre le risque de voir leurs portes se fermer au nez de jeunes qui à un moment de leur vie ont dérapé, parfois gravement. Et puis, dans quelle situation, dans quel rôle, cela placerait-il l’équipe enseignante ? Dans ce cas précis, l’internat aurait-il accepté l’inscription du jeune ? S’il l’avait fait, aurait-il imposé à ce garçon un cadre différent de celui des autres élèves, en lui interdisant de sortir par exemple ? Les enseignants auraient-ils accepté de se voir instrumentalisés en gardiens, dans une totale confusion de place et de lieu ?

Bien sûr, si ce jeune homme n’avait pas été interne à Chambon Sur Lignon, Agnès serait toujours là. Et pour ses proches, ça fait toute la différence. Mais la société, ceux qui légifèrent, doivent se poser d’autres questions. Personne ne peut garantir qu’un placement en centre fermé aurait évité un nouveau passage à l’acte, alors que ces lieux ne disposent d’aucune structure de soins et que la récidive parmi les jeunes qui sortent de prison ou de ces centres avoisine les 70%...

Le drame aurait pu avoir lieu ailleurs, à un autre moment, mais avec toujours une victime. Et l’émotion légitime qu’il suscite ne doit pas nous faire oublier que des cas similaires se produisent moins d’une fois par an en France. Il ne serait donc pas du tout raisonnable de vouloir créer en écho une loi qui, elle, concernerait des centaines de jeunes chaque année, les privant de toute chance d’insertion durable et les révoltant un peu plus encore contre une société qui les exclut chaque jour un peu plus.

Françoise Laroche éducatrice membre du SNPES-PJJ /F.S.U

24 novembre 2011


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