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Tout va bien en France

 

Tous les journaux le répètent à l’envi, tout va bien en France. La reprise est là. Les consommateurs consomment et « ils aiment le crédit », comme le dit Ouest-France, les entreprises donnent l’impression d’investir, la crise asiatique serait derrière nous et le gouvernement n’est pas vraiment en vacances. La France, nous disent Le Monde (des 15-16 août 1999) et Jérome Jaffré, directeur du Centre d’Etudes et de Connaissance de l’Opinion Publique, a changé. Jospin serait le représentant typique de cette « nouvelle France » où la gauche accepterait le marché et la droite les différences. Ainsi les « Front National » seraient condamnés à disparaître. Analyse à la fois par trop pessimiste ­ l’acceptation du marché est marquée de trop de confusions et du bilan des pays d’Europe de l’Est ­ et optimiste, les thèmes des FN sont par trop présents dans notre vie politique et portés par d’autres organisations politiques.

Restructurations à tous les étages.

Pendant ce temps, les restructurations se poursuivent. Les fusions-absorptions touchent tous les secteurs. La banque d’abord avec cette OPE ­ Offre Publique d’Echanges ­ de la BNP sur la Société Générale/Paribas dont le feuilleton n’est pas terminé, mais qui, dans tous les cas de figure se traduira par des milliers de suppressions d’emplois quelles que soient les promesses des uns et des autres, de Pébereau, le PDG de la BNP, en premier lieu. Mais aussi le pétrole, les télécoms... A chaque fois le gouvernement refuse d’intervenir, malgré les apparences. Il laisse faire, tout en continuant les privatisations. Il est ainsi apparu nettement qu’une grande partie du capital des sociétés françaises était détenue par les fonds de pension anglo-saxons, anglais et américains, que le sort de ces OPE et OPA (Offre Publique d’Achat) [1] se décidait à Londres et à New York beaucoup plus qu’à Paris. Et ces fonds de pension s’intéressent uniquement à la rentabilité. Ainsi s’explique la promesse de Pébereau de rémunérer les actionnaires au taux de 15%, un taux reconnu par la bourse de New York. Pour ce faire, il faudra dégraisser, licencier sinon les fonds de pension vendront leur participation faisant chuter les cours...

Le capitalisme français se transforme sans pilote dans l’avion de ces restructurations, sans que personne n’ait une vision d’avenir. L’Etat ne peut plus assurer son rôle de régulateur pour des raisons idéologiques ­ l’acceptation du libéralisme ­ et des raisons pratiques, les firmes tout en gardant une nationalité développent une stratégie internationale.

Les patrons, d’une manière générale, pratiquent la lutte des classes d’une manière intensive. La baisse du coût du travail est leur carte maîtresse et ils l’utilisent même lorsqu’elle ne s’impose pas. La flexibilité en découle. Et ils la mettent en ¦uvre même là où elle n’est pas possible. Ils ont compris que la lutte des classes était aussi idéologique. En face, les réactions tardent. Le gouvernement, par l’intermédiaire des lois sur la semaine de 35 heures et des arrêtés étendant les accords de branche pris en ce beau mois d’août, ne clarifie pas les débats. Il obscurcit les enjeux en voulant satisfaire toutes les parties, patronat et salariés, aux intérêts antagoniques ­ faut-il le rappeler ? -, faisant le jeu des patrons qui en profitent pour abroger les conventions collectives ­ comme dans les banques ­ et ouvrir de nouvelles négociations qui portent sur l’extension de la flexibilité par l’aménagement du temps de travail, annualisation et changement des horaires. La souffrance au travail se développe, comme le montre tous les rapports, de même que la violence, violence qui est l’exacerbation de la mise en concurrence des salariés. Les dirigeants veulent ignorer cette situation. Les cadres se trouvent pris entre le marteau et l’enclume. La réalité vécue ne correspond pas aux schémas de la direction, et la dite direction n’entend pas les cris d’alarme. Des maladies spécifiques apparaissent très bien décrites par les ergonomes que personne n’écoute.

La précarité continue de s’élargir, touchant d’abord les femmes. A qualification égale les femmes perçoivent en moyenne 25% de moins qu’un homme, 32% des femmes salariées (et près de la moitié des salariés sont des femmes) sont à temps partiel contre 5% des hommes, ce qui renforce les inégalités salariales et la pauvreté. [2]

Et les 35 heures ?

La loi sur les 35 heures avait deux objectifs. D’une part créer des emplois et lutter contre le chômage, mais aussi permettre aux salariés de vivre mieux, d’alléger les contraintes du travail-salarié pour permettre l’épanouissement de la personnalité. Ces deux objectifs étaient indissociables. Ils permettaient la lutte commune. Ils semblent oubliés. La croissance a permis de créer des emplois, comme à chaque fois, et l’économie française crée d’autant plus d’emplois que le secteur des services est important ­ contrairement à l’économie allemande où l’industrie est prédominante -, et les 35 heures n’apparaissent plus aussi urgents. Pourtant, et comme le titre Alternatives Economiques de juin 1999, les 35 heures ça marche mal mais il faut continuer. La réduction du temps de travail est l’une des questions-clés. La mettre en ¦uvre signifierait donner la prééminence au social contre la logique de l’entreprise, manière de lutter contre la tyrannie de l’actionnaire et la domination des marchés financiers, au collectif contre les intérêts individuels pour faire renaître les liens sociaux. Elargir l’emploi est une des manières de combattre le travail-salarié. Les décisions gouvernementales actuelles risquent de sonner le glas d’une telle revendication. A vouloir trop répondre aux souhaits du patronat, qui n’en a jamais assez ­ il a intérêt à revendiquer d’un côté et de l’autre il fait ainsi apparaître le gouvernement de gauche comme étant « de gauche » et tout le monde est content, sauf les salariés et les chômeurs qui le disent [3] - le gouvernement discrédite la réduction du temps de travail. Le recul dans les consciences de l’actualité d’une telle revendication poserait des questions d’importance pour l’avenir du mouvement ouvrier et de sa refondation.

Les arrêtés d’extension des accords de branche pris dans la première semaine du mois d’août laisse mal augurer de la deuxième loi qui devrait couvrir et les entreprises de moins de 20 salariés et les fonctions publiques. Dans les 66 accords de branche couvrant près de 6 millions de salariés suivant les services du ministère du travail, le ministère a décidé de reconnaître les accords signés par des syndicats minoritaires, comme dans les banques. Dans cette branche l’accord a été signé par le seul SNB-CGC et contesté par la CFDT ­ majoritaire et « de lutte » -, la CGT, FO et la CFTC qui refusent l’élargissement de la flexibilité et l’absence d’engagements de créations d’emplois. Au moment où les restructurations et les privatisations mettent à l’ordre du jour les suppressions d’emploi, la décision gouvernementale est pour le moins mal venue. D’autant que cette branche est sans convention collective depuis que l’AFB- l’association française des banques ­ a dénoncé la précédente. Gremetz qui dénonce aussi cette situation le fait au nom... des accords d’entreprise... alors qu’il faudrait réclamer plus de droit du travail, une loi simple et claire posant une règle et non pas cette constellation d’exceptions, d’incitations fiscales, de dégrèvements de charges sociales qui remettent en cause le salaire socialisé, indirect et ne permettent pas une avancée sociale significative.

La rentrée sociale se fera sur ce terrain. Les patrons en veulent trop et tout de suite. Les conditions de travail de travail se dégradent, le pouvoir d’achat n’augmente pas au moment où tout le monde parle de reprise et d’augmentation des profits. Les luttes auront lieu. Et la lutte des classes se mènera à deux... C’est la seule façon de rappeler aux patrons l’existence des salariés et des chômeurs.

Les retraites.

L’autre terrain de lutte sera celui des retraites. Le patronat est bien décidé à baisser le salaire indirect, socialisé qu’il appelle « charges sociales » pour diminuer drastiquement le coût du travail et ainsi hausser davantage le profit en augmentant l’exploitation des travailleurs. Avec le risque, non pesé, d’aggraver les tendances à la surproduction en rétrécissant le marché final. Le crédit ne peut éternellement tenir compte de succédané à l’absence d’augmentation du pouvoir d’achat de la masse salariale.

Le « rapport Charpin » [4] développe une vision catastrophiste en se servant de la démographie. Le choc démographique ­ augmentation du nombre de retraités et diminution du nombre d’actifs relativement ­ sera tel que le régime français de retraite par répartition est menacé à moins de repousser l’âge de la retraite, en faisant passer le nombre d’annuité de 37,5 ­ encore aujourd’hui pour les fonctions publiques ­ et 40 ­ pour les salariés du privé ­ à 42,5. L’assiette ­ la base de calcul ­ passerait du dernier salaire ­ pour les fonctions publiques ­ aux 25 meilleures années représentant une énorme baisse de la masse des retraites et remettant en cause le régime particulier des fonctionnaires [5]. Nous ne discuterons pas du soi-disant choc démographique [6] qui sert à justifier l’ensemble de ces attaques... qui n’auront pas lieu. Du moins pas dans les formes dessinées par le rapport. Augmenter le temps global de travail, à 42,5 ans, n’a aucun sens dans le contexte où le chômage touche près de 3 millions de personnes suivant les chiffres officiels et plus de 6 millions si l’on tient compte du chômage déguisé et où il est question de RTT, réduction du temps de travail. Le changement d’assiette par contre est une vieille idée qui pourrait passer, dans un premier temps par la création d’une caisse de retraite pour les fonctionnaires, les faisant ainsi sortir du budget de l’Etat en obligeant les recettes à couvrir les dépenses...

Plus encore, le gouvernement envisage « l’échange » - si je peux me permettre d’employer ce terme ­ de l’allongement du temps de cotisations par... les fonds de pension. C’est là aussi une vieille idée de créer des fonds de pension « à la française » pour lutter contre les fonds de pension anglo-saxons. Ces fonds de pension français se comportant différemment des anglo-saxons... Beau rêve, ou plutôt cauchemar.

Sur ce terrain le combat sera plus difficile. Le pilonnage médiatique ayant fait son ¦uvre, les fonds de pension apparaîtront comme « moins pire » que l’allongement de la durée de cotisations. Pourtant, derrière ou devant comme on voudra c’est la vision d’une société qui fait des inégalités renforcées son mode de fonctionnement. Il y aurait donc une retraite pour les riches, ceux qui ont le moyens de se « payer » des fonds de pension et une retraite pour les pauvres qui resteraient pauvres et de plus en plus pauvre...

A nous de montrer ces enjeux de société en liant combat pour la réduction du temps de travail qui créerait des emplois donc des actifs supplémentaires et celui pour la survie et l’élargissement du système de retraite par répartition qui fait l’admiration du monde entier...

31 août 1999

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Notes :

[1] La différence entre une OPE et une OPA tient sur les modalités. A chaque fois il s’agit de prendre le contrôle d’une entreprise par la prise de participation d’une partie importante de son capital, mais l’OPE suppose que les actionnaires acceptent un échange d’actions, tandis que l’OPA est strictement un achat. La deuxième se traduit le plus souvent par une importante sortie d’argent et un endettement important. La première appelle une grande campagne de pub pour convaincre les actionnaires...

[2] Chiffres tirés de l’enquête de la DARES, Ministère du travail.

[3] Le baromètre de l’Expansion (publié dans le n° du 8 juillet 1999) fait état d’un rejet massif de la politique sociale du gouvernement à raison de 74% d’opinions négatives de chômeurs. Par contre 57% des sympathisants de l’UDF approuvent la politique de Lionel Jospin...

[4] L’avenir de nos retraites, La Documentation française, 80 francs.

[5] Tout ceci s’inscrivant dans la politique d’austérité, de la baisse des dépenses de l’Etat.

[6] Nous renvoyons à l’excellent petit livre collectif publié par les éditions Syllepses, « Les retraites au péril du libéralisme ».


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