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La grève du 17 : pas si simple

 

Un enjeu de taille

Bernard Thibault a fixé haut la barre pour le 17, je trouve cela imprudent au vu des incertitudes et des divisons qui pèsent sur cette journée.

Le projet de loi du gouvernement sur le temps de travail est une mise en cause de la notion même de durée légale car elle permet de vider celle ci de tout contenu en autorisant par entreprise une gestion des heures supplémentaires.

Au delà des aspects techniques, il s’agit d’un recul social et politique d’une extrême gravité .

Contrairement à tout le développement depuis 1831 du droit du travail (la première loi dans ce domaine est celle sur le temps de travail des enfants), il est affirmé que désormais le terrain de l’entreprise échappe à la compétence de l’autorité publique qui ne doit pas y intervenir même pour sauvegarder les droits élémentaires des salariés.

La négociation, même si elle garde encore une dimension collective, doit se substituer à la loi dans l’élaboration des nomes sociales. Nous voici revenus très loin en arrière.

Il est normal que le mouvement syndical réagisse face à une telle attaque et de ce point de vue il faut appeler le 17.

Mais reconnaissons que ce qui s’engage là ne se fait pas dans les meilleures conditions et le manque d’unité est catastrophique de ce point de vue.

La fausse colère de Chérèque

Je ne reviendrait pas sur la CFDT qui signe là un nouvel accord liquidateur des droits selon ce qui devient maintenant une constante de cette organisation. cet accord est parfaitement logique dans la ligne sociale-libérale de ces dernières années (depuis 10 ans).

Il serait d’ailleurs temps de retravailler sur l’analyse de l’évolution de cette organisation et de mettre à jour un ouvrage que nous avons écrit il y a 10ans en le renommant « CFDT le péril du social libéralisme ».

Si Chérèque s’agite aujourd’hui ce n’est pas pour un désaccord de fond mais parce qu’une fois de plus (comme pour les retraites) il doit avaler des couleuvres de la part d’un gouvernement qui comme dirait Raffarin devrait faire un peu plus attention à la CFDT qui est si utile... du coup, un petit geste du gouvernement suffira pour que Chérèque crie victoire.

Mais la CGT ?

L’attitude de la CGT dans cette affaire me semble plus importante, et plus nouvelle dans ses conséquences. Est ce une vraie rupture dans l’histoire de la CGT comme le dit Groux ?

Certes Thibault a beau jeu de mettre en cause les syndicats qui ne participent pas : les désaccords sur l’aspect « représentativité » de la déclaration commune CFDT-CGT-MEDEF-CGPME ne peuvent justifier le refus de l’action sur un sujet aussi central pour les salariés. Mais le refus de toute critique de cet accord atteint la crédibilité de cette action du 17.

Ce que dit Mailly est juste sur l’article 17 qui est la porte ouverte à la fin de la durée légale. En acceptant les accords dérogatoires entreprise par entreprise sur le contingent d’heures supplémentaires les signataires ont permis une mécanique qui est dangereuse : ce type d’accord (que nous devons aux socialistes) conduit à multiplier les exceptions et à rendre caduque la norme. [1]

Certes le CGT répond à juste titre qu’elle a obtenu des limitations, le caractère exceptionnel et expérimental de tels accords et c’est vrai. Mais ces verrous pouvaient ils vraiment tenir à partir du moment où l’accord reconnaît qu’il peut y avoir des raisons économiques valables pour justifier une telle dérogation ? Je crois que la CGT a eu dans cette affaire une appréciation trop technique : après, dans le débat public, exiger d’écrire la loi à la place du législateur ne tient pas, c’est accepter la logique de la loi de janvier 2007 qui donne la prééminence aux "partenaires sociaux" dans l’élaboration des normes sociales. il ya là un bouleversement des positions traditionnelles de la CGT.

Un autre argument dans l’Huma du 5 juin : un dirigeant national de la CGT fait une réponse surprenante : à la question « des syndicats vous reprochent d’avoir facilité l’offensive du gouvernement en acceptant de négocier dans l’entreprise des dérogations sur les heures supp.. » la réponse est : « on a fermé la porte a ce que demandait le gouvernement par une position commune avec le MEDEF et la CGPME ».

Et Thibault de préciser (d’après l’Huma du 6) que l’évolution du MEDEF s’explique parla modification du rapport de forces au sein du patronat et par le scandale de l’UIMM. 

Ainsi aujourd’hui le MEDEF pourrait être un allié du syndicalisme ouvrier contre la majorité politique : cette évolution du MEDEF, son affaiblissement mérite pour le moins discussion. tel que on dirait du Chérèque [2].

Les déclarations de Parisot sur l’attitude du gouvernement ne peuvent être que double langage, et si l’on ne peut que se réjouir des déboires de l’UIMM rien ne permet de dire que les secteurs qui assurent la direction du MEDEF soient sur une position différente de la refondation sociale inventée par Kessler du secteur des assurances.

Article 17 - Des accords d’entreprise conclus avec des organisations syndicales représentatives et ayant recueilli la majorité absolue des voix aux élections des représentants du personnel peuvent dès à présent, à titre expérimental, préciser l’ensemble des conditions qui seront mises en oeuvre pour dépasser le contingent conventionnel d’heures supplémentaires prévu par un accord de branche antérieur à la loi du 4 mai 2004, en fonction des conditions économiques dans l’entreprise et dans le respect des dispositions légales et des conditions de travail et de vie qui en découlent. Les entreprises transmettront les accords qu’elles auront conclus dans le cadre du présent article à la branche dont elles relèvent, lesquelles en feront une évaluation paritaire.

Une anticipation du nouveau paysage syndical ?

Faire l’union avec la seule CFDT (dont on sait qu’elle ne veut pas affronter le gouvernement) est-ce une nouvelle conception du « syndicalisme rassemblé » ? Qui préfigure un paysage syndical renouvelé par l’accord sur la représentativité ?

Car cette position commune sur la représentativité va bien au delà de la défense d’un pré carré, bien au delà des accusations de charcutage électoral dans lesquels s’enferment les autres syndicats.

Il n’en est pas moins vrai que les solutions adoptées dans la position commune auraient mérité un vrai débat public auquel participent toutes les composantes et non une discussion de sommet restreint : l’émiettement syndical français a des raisons de fond qui ne peuvent se régler par des décisions administratives qui ne régleront pas la question de la représentativité du syndicalisme ce d’autant plus que dans le public les règles ne sont pas les mêmes.

La "position commune" est ce un simple accord ?

Cet accord se situe dans le cadre de la loi du 15 janvier 2007 sur le dialogue social, et mériterait un minimum de réflexion sur la production et la nouvelle hiérarchie des normes sociales qui en est issue. mais la CGT a fait le choix de ne plus se mettre à l’écart des négociations interprofessionnelles et elle était de ce fait obligée de participer à cette négociation, nul ne pourrait lui reprocher ( l’ensemble des organisation syndicales ont d’ailleurs participé et signé dans la fonction publique où il est vrai il n’y a pas eu d’exclusion des organisations hors bande des 5).

Mais signer la position commune est une toute autre décision.

Ne faisons pas de procès d’intention : dans la mesure où la loi est votée il est du rôle d’une organisation syndicale d’essayer d’en limiter les effets négatifs pour les salariés.

De ce point de vue viser à obtenir un changement dans la validation des accords et la fin d’un système qui permettait à des syndicats minoritaires voire quasi inexistants de rendre valables des accords paraît positif.

De ce point de vue et tactiquement l’obligation de réunir des syndicats représentant plus de 30% du personnel est peut être une étape nécessaire (encore que laisser une partie minoritaire du personnel décider peut s’avérer aussi dangereux que les anciens accord minoritaires).

Mais c’est aussi idéologiquement quelque chose d’inacceptable : la démocratie sociale que nous appelons de nos voeux ne peut pas être une démocratie au rabais où une minorité de salariés peut valablement décider pour tout le monde.

Nous dénoncons les limites d’une démocratie politique représentative fondée sur 50%+1, nous ne pouvons nous contenter d’un droit d’opposition pour les plus de 50% !

La CGT aurait pu - au nom de ses propres principes- mettre en avant pour permettre une unité plus large pour le 17 ses réserves sur un tel mécanisme au lieu de paraître se crisper sur l’accord. Elle donne ainsi l’impression de ne pas vouloir se priver d’accords minoritaires qu’elle pourrait signer ; c’est dommage parce que de nature à susciter de la suspicion chez les autres.

Une position commune qui met à mal l’indépendance syndicale ?

Une autre partie de la position commune est aussi de nature à créer des interrogations voire des suspicions car elles sont des modifications substantielles du syndicalisme français. Elles concernent l’indépendance des syndicats. La première sur la nomination des Délégués Syndicaux qui est aujourd’hui de la compétence des adhérents du syndicat. Avec la position commune, le syndicat ne pourra plus désigner de DS avec la capacité de négocier que parmi les élus du personnel. Outre le cumul, c’est s’engager sur la confusion des tâches et c’est priver les adhérents de leur pouvoir. On comprend que ceci puisse susciter des craintes légitimes.

10-1- Dans les entreprises de 50 salariés et plus, elles peuvent désigner un représentant de la section syndicale remplissant les conditions exigées par le Code du Travail pour être désigné comme délégué syndical mais qui n’exerce pas ses attributions en matière de négociation collective. Ce salarié bénéficie de la protection contre les licenciements. Il dispose d’un crédit mensuel d’heures de délégation de 4 heures au titre de cette fonction.

10-3 - Les organisations reconnues représentatives dans les entreprises de 50 salariés et plus peuvent désigner un délégué syndical qui est choisi parmi les candidats ayant recueilli individuellement au moins 10 % des voix aux dernières élections.

La seconde c’est toute la partie « Représentativité et développement du dialogue social » qui ne peut se résumer à la garantie des droits des représentants et à la non-discrimination ce dont on ne pourrait que se féliciter.

Un alinéa de l’article 13 prévoit la création d’une fondation commune pour faciliter le retour au travail des « salariés ayant eu un engagement syndical de longue durée ». Si c’est un problème réel, et je suis bien placé pour en parler, pourquoi avoir choisi cette forme là ?

Voilà de quoi alimenter tous les discours sur la collusion patronat-syndicat et sur l’arrivisme des permanents syndicaux. Mais surtout c’est l’acceptation d’un intérêt commun aux signataires patronaux et syndicaux que cette fondation présuppose.

Et l’on en revient à l’idée que le MEDEF aurait suffisamment changé pour permettre une telle évolution ce qui je l’ai dit est bien loin d’être évident.

Une position commune qui ne concerne qu’une partie des salariés

Enfin il y a un manque grave dans cet accord, que seul l’UPA a dénoncé : rien pour les petites boites à part de vagues projets (des commissions et des groupes de travail), rien pour les précaires, rien au niveau territorial sauf un indigent art 14 qui fait des COPIRE le seul lieu d’échanges étant entendu que « ce dialogue social interprofessionnel territorial, qui ne saurait avoir de capacité normative ».

Rien n’a été repris sur de vieilles revendications pour les petites entreprises comme les délégués de sites ou sur la sous-traitance. Quand on sait la place de ces secteurs c’est une faute.

La journée du 17 et surtout ses suites seront déterminantes. Un succès est sans doute la condition d’une dynamique qui puisse dépasser les difficultés évoquées ici et sortir par le haut des ambiguïtés et des divisions actuelles.

9 juin 2008

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Notes :

[1] l’UNSA avance un autre argument fondé sur le mécanisme de la loi sur le dialogue social qui oblige le gouvernement à laisser les "partenaires sociaux" négocier avant de légiférer : sans ouverture d’une négociation patronat-syndicat, le gouvernement ne pouvait légiférer sur cette question du temps de travail...

[2] interview à la Tribune du 8/6 :"Au passage, je ferai remarquer que c’est le projet du MEDEF, sauf que Laurence Parisot a signé un accord et demande à le respecter"


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