Accueil > Agir Local > Basse Normandie

Pour Dom

Changez la politique c’est aussi savoir dire adieu à un ami qui a pris sa place dans nos luttes. C’est aussi reconnaitre la place des personnes dans le combat commun : il n’est pas abstraction il est fait d’itinéraires... C’est le sens à donner à la publication des textes ci-dessous.

 

La nouvelle nous est venue mardi, un jour de manif, bien sûr, d’une manif que tu aurais aimé.

Dans nos rangs elle s’est propagée vite nous laissant un peu décontenancés, lisant dans les yeux des autres la même incrédulité...

Nous avions fini par ne plus voir l’état où t’avais conduit une vie de galère. Tu faisais tellement partie de notre paysage militant, et personnel, avec cette allure qui n’appartenait qu’à toi et qui semblait défier le temps.

Alors c’est vrai, mardi, tu nous a gâché notre plaisir à partir comme ça. Je l’ai ressenti aussi bêtement que ça, comme la révélation que tu comptais pour nous. Je dit « nous » parce que je ne suis pas le seul à penser ainsi. Alors, comme tu me le disais parfois « on t’a élu pour ça » laisses moi me faire l’interprète de ceux qui sont ici, et des autres, les amis qui ne peuvent être là.

De ceux qui t’ont rencontré dans les mouvements des chômeurs, de la marche d’AC ! aux dernières actions . Je sais la place qu’à eu pour toi ce combat pour la dignité, pour la reconnaissance. Je sais, nous savons tous aussi la passion que tu y a mis, avec ton coeur, tes tripes et ta raison. La même passion que tu as mis dans la lutte des intermittents où tu étais aussi « chez toi ».

De ceux qui t’ont connu à ATTAC avec tes interventions au CA pour mettre les pieds dans le plat : ce n’était pas toujours bien reçu, mais tes ouvertures originales, décalées, sur le monde n’était pas inutiles.

De ceux qui t’ont connu dans nos tentatives de changer la gauche et la politique : curieusement le fort en gueule des années 70, le pourfendeur de petits chefs, apportait sans bruit sa contribution (ah, les 300 pages d’un rapport sur les risques industriels près AZF !), ses coups de gueule, sa fidélité à ses engagements, ses idées et ses amis.

Tu as su agacer par ton style parfois abrupt ou provocateur, mais aussi mettre le doigt là où il le fallait, soulever des lièvres, rappeler la dureté de la vie dans ce monde là, donner aussi espoir d’un autre : le regard attentif, curieux que tu posais sur le Monde nous manquera.

Ce que toutes et tous retiennent aujourd’hui, c’est ta disponibilité à faire les tâches quotidiennes, ingrates, du militantisme ordinaire, celles qui ne gratifient pas mais qui sont indispensables.

Tu étais là quand il le fallait, c’est tout et c’est beaucoup. Ton absence va se voir.

Je m’arrêterai là, pour ne pas tomber dans l’éloge funèbre, ce serait vraiment un mauvais coup à te faire.

Adieu camarade, et merci.

Salut Dom,

Je ne suis même pas là pour le dernier voyage. Retenu de l’autre côté de l’atlantique. Un endroit que tu as visité, et où tu disais souvent avoir envie de retourner. Pour y reprendre des photos, cette passion de l’image que tu avais, et qui depuis des années te glissait entre les doigts.

On s’est connu quand tu faisais la fac de socio. L’école normale, la tnsmission d’un père cheminot à un fils instit... tu y a trempé le doigt de pied, mais ce n’était pas pour toi. Tu as préféré recommencer socio pour comprendre le monde du haut des amphis et à l’arrière salle de l’Olympe.

Pour refaire le monde. Et chicorer la maréchaussée quand l’occasion s’en présentait. En ces années là, c’était un passage obligé. Lacrymo, courses, pavés et contre-courses.

Il fallait dessouder le vieux monde.

Et voyager. Rêver dès maintenant cette autre vie et en respirer les bribes dans la bougeotte.

Et la musique. Ce festival de Montreux dont tu parlais si souvent comme un moment éclairant.

Mais il y a eu les désenchantements des années de la "bof génération". Les retours de bâton de la défonce, des boulots trop brefs, de l’installation dans les immeubles délabrés...

Heureusement il y avait la bibliothèque des beaux-arts, les avant-gardes artistiques, les livres pleins de l’imagerie d’une révolte incandescente.

Toujours dans ton petit cartable un livre à montrer. Une revue.

Tu as fait dans le spectacle vivant, en haut des perchoirs à lumière, à charrier des caisses en fin de nuit.

Puis tu n’as plus trouvé le goût, tant la précarité noircit l’avenir et empêche de vouloir vraiment quelque chose. Précaire, on vit au jour le jour, quand les autres, des employeurs aux agents de l’ANPE, appellent à la "mobilisation personnelle", à l’"énergie"...

Qu’en savent-ils de la longue descente ?

Pour la mobilisation, tu préférais celle de la rue.

Tu avais repris l’activité avec la marche des chômeurs d’AC en 97. De l’organisation au déroulement. Et la montée sur Amsterdam, en passant par ce moment magique de rencontre sur le Pont de Normandie.

Après, tu avais été sur tous les coups. La construction de ATTAC, les élections municipales de 2001, le mouvement des intermittents....

T’hésitais pas à ramener tes remarques acerbes et tes réflexions au milieu de tous les débats, dans tous les états.

Ces derniers temps, on sentait bien que tu te faisais du mouron. Mais quand donc vont-ils bouger. Est-ce que ce trou noir va durer longtemps ? La situation globale entrait en écho avec ta situation personnelle, les ravages de l’alcool et de l’hépatite. Et la déprime.

Tes cheveux devenaient cassants et de plus en plus rare. u venais régulièrement pour que j’y passe la tondeuse. Ton coiffeur va être sans emploi.

Reste que tu avais la rage au coeur, et le cynisme. Deux fois plutôt qu’une, et jusqu’au dernier moment. Y’en a plus d’un, plus d’une, qui vont s’étonner de ne plus te voir dans les manifs.

Tu ne sera pas là le premier mai, quand je vais rentrer.

C’est mon tremblement de voix à distance que tu entends là quand je dis ça.

Tchao Dom. Repose toi, toi qui ne dormais plus.

Et merde à tous ceux qui oublient que la vie d’un chômeur, même averti et cynique comme toi, c’est la galère au quotidien.

Hervé

11 mars 2006


Format imprimable

Format imprimable