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Monsieur Vengeons persiste et signe... moi aussi

Sa réponse et la mienne

Christian Vengeons, directeur du service d’action préventive, a répondu à notre article sur le site.Guerre préventive contre les potentiels délinquants ou faillite du (travail) social

Il nous demande un droit de réponse : nous ne lui donnerons pas.

Le droit de réponse est une disposition qui permet à quelqu’un qui est diffamé ou insulté de faire valoir son point de vue. En relisant le premier article,,tel n’est pas le cas sauf la phrase « je suis quand même surpris de vous retrouver Sarkosyste ! » qui pour moi serait une insulte mais pas pour Mr Vengeons qui écrit « Mr Sarkosy est, comme tout homme politique, porteur d’un projet et d’ambition .. ».

Bref Sarko ne serait pas un libéral liberticide et je serai guidé par ma vision manichéiste du libéralisme...

Par contre, je crois qu’il est important de porter à la connaissance de tous la réponse de Mr Vengeons qui vient confirmer ce que je disais dans l’article précèdent.

 

Réponse de Christian Vengeons directeur du Service d’Action Préventive à Etienne Adam

Monsieur,

J’ai appris, par hasard, qu’une lettre ouverte me concernant était sur votre site internet. J’en ai pris connaissance ce jour.

J’ai été un peu surpris par celle-ci reprenant les propos de l’article d’Ouest France du 12 mars 2006 pour deux raisons :

La première du fait que cette lettre ouverte ne m’a pas été adressée.

La seconde est que vous m’attribuez des positions politiques sans que nous ayons pris le soin d’en échanger.

« Si ces lois sont en train de prendre forme, c’est qu’on n’a pas été capable à un certain moment d’agir et de s’interroger » l’article

Cette remarque faisait suite à un constat sur la situation des quartiers sensibles et des conditions de vie des populations qui y habitent au quotidien. Cette remarque signifiait que les travailleurs sociaux ne pouvaient pas ignorer la légitime aspiration à la tranquillité des habitants de ces quartiers. Nous devons, par là même, nous préoccuper du vivre ensemble dans un état démocratique et dans un souci de cohésion de ces territoires.

Il s’agit là d’un positionnement politique qui consiste à « faire société » [1], mais surtout, pour les travailleurs sociaux de la Prévention Spécialisée, aider à faire société, agir pour que les aspirations au vivre ensemble des habitants puissent prendre forme.

Cette posture signifie qu’une priorité est donnée à l’intervention sociale pour favoriser l’expression des habitants dans le respect des règles démocratiques et des missions de chacun.

Nous étions dans un débat « travail social et police : regards croisés sur des pratiques innovantes » où mon intervention s’est attachée à distinguer ce qui relève des pratiques éducatives et ce qui relève des pratiques de sécurité. J’ai réaffirmé, pour ce qui nous concerne, l’importance de la mission éducative en insistant sur le devoir d’avenir que nous avons auprès de la génération des 16-25 ans. J’ai, parlé des nécessaires complémentarités entre les services au sein d’instances de régulation dans le strict respect des missions de chacun en garantissant les libertés fondamentales.

Ces instances de régulation ont bien fonction de faire société et de coproduire, dans des «  lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale » [2] un vivre ensemble garant de la paix civile.

Cette rencontre avait pour objectif de faire débat sur une question qui interroge le travail social. Vous auriez pu participer à ce débat. Vous avez préféré retenir une formule d’un article de presse, sortie de son contexte, vous n’avez pas pris le soin de me contacter avant de diffuser cette lettre sur internet. Vous l’avez cependant émaillée de procès d’intention.

Pour nous travailleurs sociaux « faire société » n’est pas obligatoirement réglé sur le tempo du politique avec tout le respect que je porte à la politique dans son ensemble.

Quant au débat sur l’action du ministre de l’intérieur, qui occupe la moitié de votre lettre ouverte, je n’ai pas de commentaires à y apporter. Mr Sarkozy est, comme tout homme politique, porteur d’un projet et d’ambitions qui seront soumis, par le vote, aux règles démocratiques.

En tant que travailleur social, engagé depuis de nombreuses années auprès des populations pour les accompagner, je ne peux pas partager votre analyse manichéenne sur le libéralisme et le constat d’impuissance que vous attribuez au travail social.

Dans les années 70, on parlait du travail social comme moyen de contrôle des « populations laborieuses » considérées comme « populations dangereuses ». Vous parlez aujourd’hui de « gérer la normalisation de tous les inutiles du monde » [3].

Mon éthique professionnelle me fait penser que la collectivité, les collectivités (car les centres de pouvoir et de décisions sont plus complexes que la simple Place Beauvau) assignent au travail social des missions qui se référent à des politiques publiques démocratiquement décidées.

Celles-ci se mettent en œuvre dans une régulation complexe entre les différents échelons nés de la décentralisation, avec la contribution des associations, des institutions et des professionnels qui y sont rattachés.

Les professionnels ont une déontologie à défendre, les travailleurs sociaux ont construit progressivement leur code déontologique et c’est une nécessité. Il y a des instances prévues à cet effet, pour co-construire, en lien avec le politique, les institutions et les professionnels le code déontologique de demain. Ils doivent comme le ferait un médecin, d’abord soigner, car que dirait-on d’un médecin qui ne s’intéresserait au chevet de son malade que de son code déontologique ? Vous l’évoquez : devant la massification des difficultés sociales, devant l’augmentation de la pauvreté et de la précarité, comment l’intervention sociale peut-elle favoriser l’aide et la promotion des personnes ?

Le travail social doit d’abord agir avec la population. Le positionnement exclusif dans le champ du politique me semble extrêmement dangereux pour ce dernier.

Comme je le disais précédemment, le travail social au cours des 30 dernières années, a connu des mutations considérables (décentralisation, RMI, territoires relégués, exclusion massive, etc.).

L’agitation autour d’un projet de loi de prévention de la délinquance me semble disproportionnée par rapport aux défis que les travailleurs sociaux doivent relever au quotidien.

S’il y a des risques d’atteinte aux libertés individuelles (ce qui peut être le cas) ou des risques de dérive sur le respect de la confidentialité et de la vie privée des personnes. Il existe des instances représentatives, des associations et des partis politiques pour instaurer le débat et le trancher dans une démarche démocratique. Chaque acteur dans ce débat public joue son rôle en respectant sa place et ses responsabilités.

Pour conclure sur un dernier étonnement, je n’ai pas compris les accusations qui sont en filigrane de votre courrier public.

Nous sommes dans un monde en profonde mutation, il peut se construire sur un mode totalitaire et sécuritaire, il peut aussi se construire à partir d’un ancrage, sur des valeurs humanistes qui rejettent les analyses simplistes et manichéennes des situations.

Puisque, dans votre texte, vous parlez de l’expérience du fascisme et de la déportation ; je me permet de citer « Le grand voyage » de Jorge Semprun, qui raconte l’histoire d’un jeune homme dans un train en route pour Buchenwald. Un homme meurt dans ses bras en disant « Vous vous rendez compte ! ».Il voulait probablement lui dire, dans une dernière lueur de vie et dans le train de l’enfer : «  vous vous rendez compte où va l’humanité ! ».

Je vous invite, puisque responsable politique et travailleur social, « à vous rendre compte » et à vous interroger sur vos formes de communication, consistant à diffuser sur internet des procès d’intention non fondés. Avec ce type de méthodes, vous glissez dans des dérives sournoises qui s’éloignent de l’humanisme dont vous, vous réclamez.

Rendez-vous compte, le commissaire du peuple qui s’ignore demeure toujours dans chacun d’entre nous.

Pour moi, la seule vertu qui vaille d’être défendue, c’est la tolérance et le respect des personnes dans leurs droits et leur dignité.

Ce sont les valeurs que je porte dans la gestion du Service d’Action Préventive et dans la manière qu’il a d’accomplir sa mission par un investissement réel auprès des populations.

A part quelques rares initiés, il n’y aura probablement pas beaucoup de lecteurs à l’honneur que vous me faites de m’adresser une lettre ouverte. Je souhaite cependant qu’ils puissent lire ma réponse.

Christian Vengeons


Réponse à une réponse

Monsieur,

Je ne reviendrai pas sur ce qui occupe une bonne partie de votre lettre : la publication d’une lettre ouverte avant la réponse du « destinataire ».

Votre intervention était publique, elle justifiait une réponse publique : la lettre ouverte est une forme qui ne s’adresse pas au destinataire mais au débat public. Alors dispensez vous des leçons de morales truffées de procès d’intention !

Votre réponse me confirme dans ce que j’avais tiré de votre intervention publique : vous acceptez le glissement du social au pénal dans le travail social et derrière un apolitisme de bon aloi vous cautionnez l’évolution politique actuelle.

Tout est contenu dans la phrase suivante qui indique votre position professionnelle et politique : « l’agitation autour d’un projet de loi de prévention de la délinquance me semble disproportionnée par rapport aux défis que les travailleurs sociaux doivent relever au quotidien ».

Il y a là une sous estimation de la rupture que traduit le projet en question : que pèsera la déontologie professionnelle face à une loi qui modifie très profondément la notion de respect de la vie privée des personnes en difficultés par la fin du secret professionnel des travailleurs sociaux ?

Vous allez jusqu’ nier les risques d’atteinte aux libertés individuelles - « ce qui peut être le cas » dites vous- et à penser que les risques de dérive sur le respect de la confidentialité et la vie privée peuvent être encore sauvegardés par les instances représentatives, les associations !

Comment la négociation collective, les associations peuvent-elles ne pas appliquer la loi ?

Est ce un appel des associations gestionnaires à la désobéissance civique si la loi dite prévention de la délinquance est votée ? Dites le plus clairement, nous serions tous rassurés.

Si cette loi passe, nous changeons de relation entre le social et le pénal.

Le pénal c’est d’abord une police d’ordre public et de moins en moins un espace de droit.

La justice est de plus en plus instrumentalisée au service de la lutte policière contre les classes dangereuses.

La prééminence de la police sur la justice se vérifie dans cette loi qui a pour fonction de privilégier un agent de police administrative - le maire responsable de l’ordre public- sur le judiciaire ou le social.

Dès lors le rôle des travailleurs sociaux est clair : il doivent participer à la guerre préventive contre la délinquance en fournissant les renseignements que la police ne peut obtenir par ses moyens à elle.

Notre déontologie , notre identité professionnelle est niée.

Sa négation est la condition pour faire rentrer le travail social dans le dispositif d’ordre public.

Dans ces condition comment pouvez vous parler des « nécessaires complémentarités entre les services au sein d’instances de régulation dans le strict respect des mission de chacun en garantissant les libertés publiques » ?

Pour éviter les procès d’intention je vous laisse le choix : ou c’est de la naïveté, mais c’est gênant de la part d’un responsable, ou c’est de la complicité...

Vous persistez à prendre position politiquement : vous ne partagez pas ma « position manichéenne » sur le libéralisme.

C’est votre droit en tant que citoyen, mais vous ne pouvez pas en tant que professionnel n’avoir rien à dire sur les dégâts du libéralisme dans le domaine de l’Etat social, de la protection sociale et les conséquences sur les populations qui sont par pénalisées par le fonctionnement des entreprises.

Comment faire silence là dessus quand on veut « faire société » ?

Peut on se contenter de la constatation suivante « nous sommes dans un monde en profonde mutation » ?

C’est précisément ce que nous disent depuis des années les partisans de ce libéralisme masquant derrière ce terme flou de mutation les choix sociaux et politiques effectués.

C’est en quoi votre discours est une prise de position politique parce qu’il se présente comme apolitique et purement technicien.

Le choix de la défense du respect des personnes n’est pas un choix technique, un choix déontologique mais un choix politique au sens le plus large.

C’est bien pour cela que nous devons défendre une conception politique que j’appelais humaniste ou progressiste du travail social aujourd’hui mise en cause par la montée de l’idéologie libérale de la faute individuelle avec le secours des comportementalistes détecteurs de bébés délinquants.

Vous l’écrivez vous même : « il existe des instances représentatives, des associations et des partis politiques pour instaurer le débat et le trancher ».

Tous ont la responsabilité d’éclairer le débat public et ne pas laisser aux seuls politiques professionnels (qui sont souvent des experts de la haute administration) l’élaboration de politiques publiques .

Un dernier mot de circonstance : nous venons de voir avec le mouvement des jeunes que ce système politique est en crise, qu’il est incapable d’entendre le pays et qu’il faut lui imposer par la force de remettre en cause des mesures massivement refusées.

Les populations visées par la loi dite «  de prévention de la délinquance » n’ont pas les mêmes moyens de défense.

Il est de la responsabilité des professionnels et de leurs associations et syndicats d’être à leur cotés dans ce combat pour les droits de tous : ils le font par des actions comme le 22 mars dernier et par des pétitions comme non au zéro de conduite.

Les associations gestionnaires du secteur social, les directions d’établissements et de services vont elles se positionner clairement avant le vote de la loi et contre cette loi. ?

Ou vont elles penser, comme vous sembler le faire, que dans « une régulation complexe entre les différents échelons nés de la décentralisation, avec la contribution des associations des institutions et des professionnels qui y sont rattachés" il sera toujours temps d’essayer de sauver quelques meubles, et lesquels ?

Vous rendez vous compte, vous même, où va l’humanité ?

Etienne Adam

5 avril 2006

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Notes :

[1] Muccheli Laurent : « Repenser la prévention pour faire société » paru dans Hommes & Liberté, 2002, n° 120

[2] Arrêté du 4 juillet 1972 relatif aux Clubs et Equipes de prévention spécialisée.

[3] j’ai écrit les inutiles au monde pour citer Robert Castel ; note d’Etienne Adam


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