Ces derniers jours, la télé s’en est donné à coeur joie dans la politique spectacle.
Bien sur la mort de Ben Laden a volé la vedette à la montée de Marine Le Pen.
Il faut dire que celui qui sert depuis 10 ans de vedette du terrorisme méritait bien un hommage de ceux pour qui la guerre des civilisations était le nec plus ultra de la compréhension du monde.
Incapables de voir que Ben Laden était déjà mort avec la révolution tunisienne (qu’il ont eu dèjà bien du mal à voir !), les grands médias en font un évènnement "historique" pour les besoins de la vente.
Mais ce faisant, ils n’hésitent pas à faire l’éloge de la vengeance qui se substitue à la justice : ils contribuent ainsi à une perte des répères démocratiques élémentaires, qui fait le jeu de ceux pour qui la politique est affaire d’utilisation d’émotions.
Les petits rappels de la lettre ci-dessous sont bien utiles.
Lettre n° 129 (le 3 mai 2011)
Après concassage et tamisage du réel par les grandes
machines médiatiques, nos yeux et nos oreilles se trouvent
gavés, saturés par des personnages douteux, repoussants ou
sans intérêt.
En vrac depuis des jours et des semaines, il
n’y en a eu à la radio et à la télévision que pour Ouattara,
Gbagbo, Jean-Paul II, Marine Le Pen, Sarkozy, Kadhafi,
William et Kate, le dérisoire et néanmoins coûteux couple
princier, et à présent le « bon client » médiatique est le
défunt Oussama Ben Laden.
On appelle cela traiter l’actualité, ce qui aboutit à maltraiter les auditeurs et les spectateurs. Les noms et les images de ces gens-là
circulent à cadence rapide, nous envahissent le cerveau,
s’effacent soudain pour prendre la place d’autres du même
acabit. Mais certains reviennent au galop et pour longtemps,
Sarkozy, Marine Le Pen, etc.
Ce n’est pas seulement parce
qu’on parle en abondance de ces gens-là que notre perception
du monde s’en trouve obscurcie. C’est parce qu’ils occupent
trop de place. C’est parce que les mensonges sur eux sont
massifs, arrogants ou subtils, qu’il s’agisse de les
encenser ou de les pourfendre. Le mensonge par omission est
en particulier une arme de déformation massive de la réalité
passée et présente.
Prenez Jean-Paul II et sa béatification le 1er mai à Rome
(en présence de Fillon, Juppé et Guéant, bonjour « la
laïcité à la française » !). Les grands médias semblent
avoir oublié que ce personnage papal a couvert avec
obstination pendant des années les agissements des prêtres
pédophiles et qu’il a été moralement responsable de la mort
de milliers victimes du sida dans le monde par son
acharnement à combattre la contraception.
Prenez Allassane Ouattara. C’est celui qu’on nous a présenté
comme « le bon » face au méchant Gbagbo. Les grands médias
ont fait l’impasse sur les états de service de Ouattara
comme mercenaire au service du FMI y compris comme premier
ministre, sur son coup d’Etat raté et sur les exactions
passées et actuelles de ses bandes armées qui ne sont pas
moindre que celles commises par les bandes de Laurent Gbagbo.
Prenez Ben Laden. On glisse en souplesse sur son passé d’ami
de la CIA, de mercenaire au service des États-Unis dans la
guerre en Afghanistan contre l’armée dite soviétique.
Parallèlement on encense Obama alors qu’il n’a toujours pas
fermé le centre de Guantanamo où des centaines d’hommes,
dont bon nombre d’innocents, ont été détenus sans droits,
dans des conditions inhumaines. On le félicite alors qu’il
va poursuivre avec ses collègues occidentaux la guerre en
Afghanistan qui martyrise les populations de ce pays, sans
affaiblir les Talibans.
D’un autre côté, les gens de qualité
et de générosité ne peuvent pas faire l’actualité des grands
médias ou alors de façon extrêmement réduite et furtive. Ils
trouvent parfois refuge dans des médias plus modestes,
radios, sites ou revues. C’est ainsi qu’on a pu entendre ce
2 mai à l’émission « Les Pieds sur terre » sur
France-Culture, une femme ivoirienne, Oumou Kouyaté,
militante des droits de l’homme, vivant à Paris, se ranger,
ni du côté de Gbagbo, ni du côté de Ouattara, mais du côté
du peuple ivoirien qui aspire à la paix.
C’est ainsi qu’on peut découvrir dans le dernier numéro de
« Courrier international » en page 56, le portrait de Tsutomu
Yamaguchi, un poète japonais décédé l’an dernier qui
dénonçait courageusement au soir de sa vie l’abomination du
nucléaire. Il avait été irradié à Hiroshima et quelques
jours plus tard à Nagasaki en août 1945. Un New-Yorkais de
30 ans, Chad Diehl, avait fait sa connaissance et a décidé
de poursuivre son combat et de faire connaître ses poèmes.
Les inconnu(e)s des grands médias, ce sont par exemple les
gens au Nord de Moscou à Khimki qui luttent avec
détermination contre la destruction d’une forêt par un
chantier autoroutier franco-russe, et ce sont les
Tunisiennes qui luttent ardemment pour le droit des femmes
dans un contexte à la fois menaçant et exaltant depuis la
chute du régime de Ben Ali.
Les gens qui comptent et qui
luttent sur cette planète ne passent pas à la télé. Mais ils
façonnent vraiment un autre monde.