Alors que la situation dans les quartiers et banlieues est bien loin de se dégrader, le gouvernement jette de l’huile sur le feu en reconduisant pour une longue durée l’ état d’urgence.
Court-circuitant les actions citoyennes des élus et des habitants pour rétablir un climat de dialogue, il réactive un texte de guerre civile qui autorise outre le couvre feu, l’assignation à résidence, l’interdiction de séjour, les perquisitions à domicile de jour et de nuit à l’initiative de l’administration, la fermeture provisoire des lieux de réunion...
Nous ne faisons pas confiance à ce gouvernement, délégitimé par le suffrage universel, pour rétablir la vérité, la justice, l’égalité et le respect.
Seul redonner la parole à ceux qui subissent la situation, sans décider à leur place de ce qui est bon, pour eux peut permettre de restaurer vraiment un état de droit et d’égalité mis à mal par des années de politique libérale.
L’Alternative Citoyenne se félicite de la démarche initiée par une trentaine d’organisations politiques syndicales et associatives pour substituer à l’état d’urgence policier un état d’urgence sociale
Caen le 14 novembre 2005
déclaration commune
Banlieues : les vraies urgences
On ne répond pas à une crise sociale par un régime d’exception. La
responsabilité fondamentale de cette crise pèse, en effet, sur les
gouvernements qui n’ont pas su ou voulu combattre efficacement les
inégalités et discriminations qui se cumulent dans les quartiers de
relégation sociale, emprisonnant leurs habitants dans des logiques de
ghettoïsation. Elle pèse aussi sur ces gouvernements qui ont mené et
sans cesse aggravé des politiques sécuritaires stigmatisant ces mêmes
populations comme de nouvelles « classes dangereuses », tout
particulièrement en ce qui concerne la jeunesse des « quartiers ».
Ce sont des années de politique centrée sur le tout sécuritaire qui sont
en cause. Le sabotage des actions de prévention, l’asphyxie du monde
associatif, la démolition de la police de proximité, la tolérance à
l’égard des discriminations quotidiennes, notamment à l’égard des
personnes étrangères ou supposées telles en raison de leur faciès,
l’état d’une école qui ne peut réduire la ségrégation nous font mesurer
aujourd’hui non seulement l’échec mais la redoutable nocivité de cette
politique. Ce n’est pas seulement le langage du ministre de l’Intérieur,
ce sont les actes de l’ensemble du gouvernement qui relèvent d’une
logique d’apprenti sorcier.
Au-delà, c’est aussi l’incapacité des gouvernements successifs depuis
des décennies à faire reculer le chômage massif, l’explosion de la
précarité, la systématisation des discriminations racistes et
territoriales, comme la politique d’affaiblissement des services publics
et le recul des droits sociaux qui apparaissent en pleine lumière
aujourd’hui.
Les violences sont auto-destructrices. Elles nuisent essentiellement à
ceux dont elles dénoncent l’exclusion. Faire cesser les violences, qui
pèsent sur des populations qui aspirent légitimement au calme, est
évidemment nécessaire. Dans ce contexte, l’action des forces de l’ordre,
qui doit s’inscrire dans un cadre strictement légal et ne pas conduire à
des surenchères, ne saurait être la seule réponse. D’ores et déjà, nous
devons ouvrir un autre chemin si nous ne voulons pas que se poursuivent
ou se renouvellent les violences qui viennent de se produire. Seule une
action collective permettra de définir les conditions d’une autre politique
En premier lieu, nous n’acceptons pas que se poursuive l’état d’urgence.
Recourir à un texte provenant de la guerre d’Algérie à l’égard, souvent,
de Français descendants d’immigrés, c’est leur dire qu’ils ne sont
toujours pas français. User de la symbolique de l’état d’urgence, c’est
réduire des dizaines de milliers de personnes à la catégorie d’ennemis
intérieurs. Au-delà, c’est faire peser sur la France toute entière et
sur chacun de ses habitants, notamment les étrangers que le gouvernement
désigne déjà comme des boucs émissaires, le risque d’atteintes graves
aux libertés.
Nous affirmons solennellement que si ce régime d’exception devait être
prolongé, nous mettrions en œuvre tous les moyens démocratiques dont
nous disposons pour nous y opposer.
Nous souhaitons ouvrir une autre perspective que celle qui a conduit à
l’impasse actuelle. Cela passe par la mise à l’ordre du jour de quatre
exigences fondamentales : la vérité, la justice, l’égalité et le respect.
Ni le recours à des procédures judiciaires expéditives, voire à une
« justice d’abattage », ni le marquage de zones discriminées par une
carte de l’état d’urgence ne sont conciliables avec l’objectif du
rétablissement de la paix civile et du dialogue démocratique.
La République doit reconnaître, publiquement et par ses plus hautes
autorités, que le sort de ces populations, les discriminations qu’elles
subissent, sont de notre responsabilité collective et constituent une
violation de l’égalité républicaine.
Cette exigence implique aussi que la vérité soit totalement faite sur
les conditions dans lesquelles deux jeunes hommes sont morts à
Clichy-Sous-Bois.
Restaurer la situation dans ces quartiers, c’est d’abord restituer la
parole à leurs habitants. Des cahiers de doléance doivent être discutés,
ville par ville, selon les principes de la démocratie participative
entre représentants des habitants, associations, syndicats, élus locaux
et représentants de l’Etat. Ils doivent être rendus publics.
C’est ensuite ouvrir une négociation collective, regroupant les mêmes
participants, pour programmer des actions de rétablissement de l’égalité
ce qui implique que la représentation nationale soit saisie d’une
véritable loi de programmation et que cessent les mesures de saupoudrage
ou pire encore les marques de mépris comme la transformation de
l’apprentissage en mesure de relégation scolaire précoce. Une solidarité
nationale authentique doit être au rendez-vous de la reconstruction du
tissu social dans les banlieues.
C’est, surtout, mettre en œuvre, dans la réalité, une réelle politique
nationale de lutte contre les discriminations et pour l’égalité des
droits. Il doit être mis un terme sans délai à tous les discours
insupportables et dévalorisants qui font des habitants de ces quartiers,
des « racailles », des « barbares », des « sauvageons » ou des
« fantassins d’un complot intégriste ».
Nous affirmons qu’il y a là une véritable urgence nationale : il faut
substituer à l’état d’urgence policier un état d’urgence sociale, afin
que les actes des gouvernants cessent de contredire la devise de la
République.
Signataires :
Les Alternatifs, Alternative citoyenne, Association des Tunisiens en
France, ATTAC, ATMF, Cactus républicain/La gauche, CEDETIM-IPAM, CGT,
Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie
(CRLDHT), Droit Solidarité, Fac Verte, FCPE , Fédération anarchiste,
FIDH, FSU, FTCR, GISTI, Les Oranges, Les Verts, LDH, Lutte ouvrière
(LO), Mouvement pour une alternative républicaine et sociale (MARS),
Mouvement des jeunes socialistes (MJS), Mouvement National des Chômeurs
et des Précaires (MNCP), MRAP, PCF, Rassemblement des associations
citoyennes de Turquie (RACORT), Réseaux citoyens de Saint-Etienne,
Réformistes et Solidaires (Re-So), Syndicat des Avocats de France,
Syndicat de la Magistrature, Union démocratique bretonne (UDB), UNEF,
Union nationale lycéenne (UNL), UNSA, Union Syndicale Solidaires.
La LCR se joint à la démarche de ce texte, mais est en désaccord avec
son quatrième paragraphe.