Comme l’a clairement démontré la Conférence de Copenhague sur le changement climatique, en
décembre 2009, et ce, malgré l’activisme des climato-sceptiques, la prise de conscience de la
crise écologique planétaire fait son chemin. Reste qu’il n’est pas toujours évident de bien saisir ce
que sont les inégalités écologiques et comment elles s’articulent aux inégalités sociales.
Au Nord comme au Sud, ce sont les populations défavorisées qui vivent dans les endroits
les plus pollués, dans les zones à risques
On estime aujourd’hui que 20% de la population mondiale, et principalement celle des pays dits
« développés », consomme 80% des ressources naturelles actuelles. Cette statistique ne suffit
pas, cependant, à définir ce que sont les inégalités écologiques entre les pays. D’abord parce que
les ressources naturelles sont en quantité finie et qu’il est impossible d’imaginer que chaque
habitant de la planète puisse consommer autant de ressources qu’un Américain, un Européen ou
un Japonais. Quatre planètes comme la nôtre seraient alors nécessaires pour assouvir ces
besoins. Autrement dit, « l’empreinte écologique » [1] des pays du Nord n’est pas soutenable.
Paradoxalement, une bonne part des ressources naturelles disponibles (pétrole, gaz, minerais,
bois précieux...) est géographiquement située dans les pays peu développés. Mais, en raison
d’une exploitation régentée par les intérêts des multinationales et des Etats les plus puissants, leur
utilisation se révèle inégalement répartie. Ce pillage n’est pas nouveau. Depuis la colonisation, les
pays du Sud fournissent les sociétés industrialisées en matières premières exportées à bas prix,
tout en faisant abstraction des coûts environnementaux. Le tout bien souvent pour rembourser la
dette extérieure contractée envers ces mêmes pays riches. Cette conjonction de facteurs favorise
l’érosion et la pollution des sols, l’épuisement des nappes phréatiques, la déforestation...
Dette écologique
Au Nigeria, la communauté Egie subit de plein fouet les pollutions de l’eau, de l’air et des terres.
En cause, l’extraction d’un pétrole qui ne lui est pas destiné. Alors que ce pétrole alimente les
besoins insatiables des pays riches et émergents, les fuites des oléoducs et le torchage de gaz ne
cessent d’affecter les populations les plus démunies. L’inégal accès aux ressources naturelles se
double donc d’une inégale exposition aux conséquences environnementales de l’exploitation de
ces ressources. Certains chercheurs utilisent, pour décrire ces inégalités, le concept de « dette
écologique », entendu comme le « maintien d’une situation d’injustice environnementale globale
dans laquelle une minorité s’approprie les ressources de la Terre tout en exportant les
conséquences de la dégradation planétaire sur la majorité pauvre de l’humanité » [2]. Dans le cas
des dérèglements climatiques, où plus des deux tiers des gaz à effet de serre ont été émis par les
pays du Nord, les populations des pays du Sud sont les premières victimes de l’augmentation des
sécheresses, du décalage des saisons des pluies, etc.
Conséquence directe de ce modèle de développement : la production de déchets toxiques que les
pays développés et émergents, ainsi que leurs multinationales, cherchent à exporter vers les pays
du Sud où les législations sont beaucoup moins strictes. En profitant d’un « traitement » des
déchets beaucoup plus « rentable », ces entreprises pratiquent une forme de dumping
environnemental. Et si les régulations internationales s’améliorent lentement, elles restent
largement insuffisantes. L’affaire du Probo Koala va ainsi marquer la Côte d’Ivoire pour des
générations. Ses 580 tonnes de déchets toxiques stockés dans les soutes du bateau et déversées
en 2006 dans plusieurs décharges du district d’Abidjan, ont causé la mort de 16 personnes et
l’intoxication de plus de 100000 Ivoiriens [3].
Exposition aux risques
La survie d’une bonne part des populations pauvres des pays du Sud est directement dépendante
d’un accès sécurisé à des ressources naturelles. Malheureusement, ces populations sont les plus exposées aux risques environnementaux et ne disposent que de peu de moyens pour s’en
protéger. Ces dégradations de l’environnement sont d’autant plus préoccupantes qu’elles
aggravent la vulnérabilité des populations concernées. Plus généralement, au Nord comme au
Sud, ce sont les populations défavorisées qui vivent dans les endroits les plus pollués, dans les
zones à risques, dans les quartiers insalubres, sans eau potable ou sans assainissement. Cette
exposition aux risques et aux nuisances environnementales, aussi bien que l’accès aux ressources
[4] est donc fonction de la position sociale occupée dans la société.
Malgré ces constats aujourd’hui largement établis, les dirigeants de la planète continuent d’agir
comme si de rien n’était : l’exploitation des ressources naturelles du Sud par les multinationales du
Nord est facilitée par une libéralisation croissante du commerce international sans qu’en
contrepartie ne soient créées de véritables réglementations écologiques contraignantes. Si le
mode de vie occidental est en cause, la redistribution des richesses à l’échelle mondiale doit être
repensée à travers une réduction de la quantité des ressources naturelles utilisées dans nos pays.
La transformation de notre modèle de développement, jusqu’ici néolibéral et productiviste et
source de ces profondes inégalités écologiques et sociales, est donc à l’ordre du jour. C’est tout
l’enjeu des prochaines négociations internationales sur la biodiversité à Nagoya (Japon), du 18 au
29 octobre, et sur le climat à Cancun (Mexique), du 29 novembre au 11 décembre.
Maxime Combes et Fanny Simon - AITEC (Association Internationale des Techniciens, Experts et Chercheurs