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C’est la rentrée ...

Pour les théâtres des saisons riches et variées et pour les artistes petits et grands beaucoup d’inquiétudes et de problèmes !

 

C’est la rentrée et les théâtres déclinent à l’envie leurs propositions de saison. Il y en a pour tous les goûts et les nourritures sont abondantes dans toutes les disciplines. Le syndicat des Arts Vivants se réjouit de cette situation qui voit se multiplier les offres de spectacles et le premier constat c’est que cette démultiplication de l’offre rencontre un public comme en témoignent les saisons passées. Cependant il y a quelques ombres au tableau et de nombreux problèmes persistent... Les dernières manifestations des intermittents sont encore présentes à nos mémoires.

Jean-pierre Dupuy secrétaire régional du Syndicat National des Arts Vivants s’est prêté au jeu de l’interview ; il évoque sans fard et sans langue de bois et donc sous un angle personnel, quelques-uns des douloureux problèmes qui affectent la vie d’artiste.

Question : alors cette saison qui s’annonce répond-t-elle à vos vœux ?

JP Dupuy : Mais oui bien sûr ! on ne peut constater qu’avec plaisir la richesse et les multiples propositions qui sont faites au public. En particulier à Caen, que ce soit le Théâtre Municipal, le CDN, le CCN, Vilar à Ifs ou la Renaissance à Mondeville, sans oublier le Zénith ou maintenant le Cargo... Vraiment l’offre est phénoménale. Mais bon, par-delà les apparences, quelques problèmes demeurent... .Malherbe notamment occupe la dernière place en ligue 1 ; c’est préoccupant... Non, je plaisante...

Question : Vous dites problèmes... De quel ordre ?

JP Dupuy : Je parle de la misère et de la précarité... Par-delà les paillettes, la situation des artistes reste préoccupante. Dans la région, on dénombre 1500 demandeurs d’emploi et autres RMISTES...C’est un chiffre énorme... Le problème de l’intermittence n’a pas été résolu... De plus en plus d’artistes viennent grossir les rangs des nouveaux pauvres...Ce n’est pas la peine de se voiler la face, c’est la triste réalité et, s’il est vrai que l’intermittence sauve les meubles, ce n’est même pas vrai pour les peintres par exemple qui n’ont que le RMI le plus souvent.

Question : Est-ce que les artistes ne sont pas les premiers responsables de cette situation ?

Réponse de normand, pardonnez-moi : oui et non. Oui parce que beaucoup s’engagent dans la profession sans trop s’inquiéter des débouchés. Non, parce que c’est un ensemble de facteurs qui concourent à l’inflation d’artistes et non les artistes eux-mêmes.

Question : Pouvez-vous illustrer votre propos ?

Volontiers. Prenons la question sensible de l’éducation artistique. Le Président de la République prétend en faire une de ses priorités. Il a raison quand on sait qu’à peine 3% des enfants a bénéfice d’une telle éducation. Éducation dispensée -soit dit en passant- dans des milieux, culturellement déjà privilégiés...De nombreuses expériences ont été conduites dans les écoles, collèges et lycées avec le concours d’artistes et enseignants travaillant en binôme. Ces expériences ont été un succès apportant des satisfactions d’abord aux enfants qui, par ce moyen, améliorent leur cursus scolaire, aux enseignants et parents... Bref tout le monde y trouve son compte...

On peut donc penser qu’une telle expérience doit pouvoir se généraliser ? Et donc qu’il y a là un fort bassin d’emplois pour les artistes si une telle généralisation se mettait en place... Eh bien, non ! on supprime les ateliers artistiques à tous les échelons de la scolarité ... Plutôt non, on ne les supprime pas...On organise un « turn over » détestable pour que chacun puisse avoir une miette du gâteau !

Parce que l’Education artistique, j’insiste, c’est pain béni pour nos enfants...Ça les « décoince » du système scolaire si besoin est ...C’est une des solutions majeures pour une heureuse scolarité ... Alors il est incompréhensible qu’on la néglige et que l’on laisse tant d’artistes sans emploi, alors qu’avec un minimum de formation, ils -je parle de tous les artistes de toutes les disciplines- ils pourraient rendre d’immenses services. Ce ne sont pas les artistes qui sont responsables de cette situation ...Eux, ils ne demandent qu’à travailler !

Travailler plus ! ça ne vous dit rien ?

Savez-vous que le régime de l’intermittence les autorise à faire seulement 55h dans les écoles ! 55h sur une année ! Dérisoire... N’est-ce pas dérisoire ? Ah bien sûr l’artiste peut en faire plus mais alors il devient professeur et perd sa qualité d’artiste !

Question : vous dites ; les théâtres sont remplis, et que le public répond présent... Mais est-ce que la culture touche tous les publics ?

Bon ! Evitons les clichés éculés qui voudraient que la culture soit l’affaire d’une élite. Mettons les choses au point. D’abord de quelle culture parle-t-on ? De celle que dispense la télévision ? des industries culturelles de masse ? du spectacle vivant ?

Il y a une acceptation étroite de la culture comme relevant exclusivement des beaux-arts. Celle-là ne concerne pas une élite mais, c’est vrai, une minorité !

Le stade malherbe aussi concerne une minorité, dans une agglo de plus de 200000 habitants ! parle-t-on, à son propos, d’une élite qui se rendrait au stade ? Eh bien, on devrait ... Non, je plaisante !

Ce que je veux dire c’est qu’à une définition étroite de la culture, on peut lui préférer une conception plus ouverte, plus large ... La culture comme art du vivre ensemble et alors, la télé fait partie de cet art de vivre comme la sortie au cinéma ou au théâtre. Parler alors d’une élite n’a plus de sens. Alors bien sûr, d’anciens clivages sociaux persistent, nous en reparlerons, mais on ne peut ignorer la présence partout d’élèves en grand nombre, -élèves venus de tous les milieux- aux spectacles vivants comme dans les musées ou au cinéma !

On le doit souvent à des enseignants aussi dévoués que généreux ! On le doit à ce que 80% de nos enfants poussent aux études !C’est aussi une réalité qu’il faut reconnaître et cette réalité met à mal le cliché d’une élite ; il reste qu’une minorité ne reçoit pas cette manne éducative et qu’il faut s’en préoccuper. Explorer d’avantage de nouveaux territoires de l’art et le métissage des cultures, c’est la belle aventure des musiques actuelles ... A l’opposé, Il reste, c’est vrai, un reliquat de mondanité dans l’accès à l’art qu’il faut dénoncer.

Question : Mondanité concernant la culture ? qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Je voudrais aborder le sujet sans déclancher de polémiques, mais le sujet est sensible. Il existe encore des privilèges sinon des privilégiés... J’ai parlé de reliquat... C’est la queue d’une comète... Il y a encore des gens qui vont au théâtre pour se montrer... Il y a des arts qui sont encore plus ou moins des vecteurs de mondanités : l’art lyrique, la musique, la danse... Bien sûr les arts comme les artistes n’y sont pour rien ! C’est une vieille histoire... Encore bien présente à Caen d’une certaine manière ! Il suffit de voir comment la ville dote son théâtre à vocation lyrique (Ce qui ne m’empêche pas de trouver sa programmation formidable ! et d’en féliciter à son directeur !) et le sort réservé au CDN !

On a fait scandale récemment de ce que le CDN avait eu un déficit monstrueux mais, il ne dispose globalement, que d’un budget de 3 millions d’euros quand, dans le même temps, le théâtre municipal navigue sur une base de 6 millions... 2 fois plus ! Le différentiel est un peu trop élevé quand même !

Deux poids, deux mesures : ça fait 40 ans que ça dure... Depuis la liquidation de la Maison de la Culture ; Les anciens dont je suis, se rappellent que tous les ans, on « chippotait » le budget à Jo Tréhard.. Bagarre permanente : j’en étais. Comme si pour une certaine culture c’était toujours trop d’argent à dépenser tandis que pour une autre (plus mondaine) on dépense sans compter... Nous en sommes toujours là, et ça c’est un héritage de la culture comme mondanité bourgeoise et provinciale.

Nous avons à Caen du grand et du beau monde... Grand, grand bien leur fasse, c’est une minorité en voie de disparition et l’on espère que Malherbe se maintiendra avec des résultats plus « florissants » en ligue 1, coaché par William Christie...Non, je plaisante.

Question : vous avez interpellé le Directeur régional des affaires culturelles sur la situation de la danse ? Pourquoi ?

Oui, le Synavi vient d’écrire une lettre à Monsieur Gérald Grunberg, Directeur régional des affaires culturelles, pour attirer son attention sur les problèmes que rencontre cette discipline.

En effet, il faut savoir que la danse reste fondamentalement un parent pauvre en dotation financière de la part de l’Etat. Il y a eu en 2005 un léger rattrapage, mais il s’était accumulé un tel retard depuis des années que... ce rattrapage n’a pas changé grand chose.

Ce n’est pas moi qui le dit c’est un rapport de l’inspection générale des Affaires Culturelles ! Ce qui est vrai aussi c’est que la Basse-Normandie est en queue de peloton des Régions françaises pour la danse. Là encore, ce sont les chiffres de l’administration centrale de la culture qui en témoignent. Bon me direz-vous, il faut bien un dernier ... Je réponds nous l’avons déjà... Avec le stade Malherbe... Non, je plaisante. Je réponds que la situation de la danse dans notre région est inacceptable !

C’est pourquoi, nous avons demandé au Président de Région, en Mai dernier, de faire un effort et de considérer qu’il y avait urgence... Comme nous nous sommes permis d’alerter la Drac ! laquelle n’est pas restée insensible à notre alarme. Maintenant, on attend des mesures concrètes et surtout des moyens accrus.

Il faut bien se rendre compte que les danseurs ont une vie professionnelle qui peut être courte et que cela demande des dispositions particulières (C’est si vrai qu’elles existent en termes de reconversion et de formation continue)... Bref, les danseurs et les chorégraphes sont loin, très loin, d’être des privilégiés ... Ils sont les plus mal lotis de nos artistes, exception faite encore de nos malheureux peintres (en prise eux, hélas, aux lois sordides et spéculatives du marché de l’art).

Puis-je ajouter un mot concernant la danse, le public et la saison à venir ?

Eh bien, je dis au public : allez voir de la danse ! de la danse contemporaine... Nietzsche ne pouvait concevoir un dieu qui ne danserait pas... Eh bien ! on ne peut concevoir un public d’aujourd’hui qui ne soit pas amateur de la danse ! On vit dans un monde de vitesse et de mouvements, nous subissons un véritable bombardement d’images, d’informations, de sollicitations qui nous aliènent profondément. Le temps et l’espace ne sont plus à mesure humaine ; le grand chef indien Géronimo je crois disait « la mesure de la terre et la mesure de nos corps sont les mêmes » ...comment donner une juste mesure à sa vie ? Alors je crois que la danse d’aujourd’hui c’est se reconnaître indien ! Le meilleur des antidotes ! Ce qui nous donne la mesure de nos corps et de la terre où nous vivons, une vraie respiration, une vraie source d’intelligence. Aller voir de la danse pour ne pas mourir idiot si vous me permettez ce lieu commun.

Notre liberté de penser passe par la danse, c’est ma conviction profonde ... Je le dis tout net, tout homme de théâtre que je sois !

Donc ! aller à la danse encore et encore... Cela n’empêche qu’il faut aussi aller découvrir les propositions de notre nouveau directeur de CDN : Jean Lambert-Wild et tout autant aller au-devant de tout ce qui peut naître ; nourrir sa curiosité et son appétit de découverte... Bref ne pas rater de fréquenter des petites salles, de dénicher des talents nouveaux !

La fréquentation des artistes c’est la plus chouette des écoles buissonnières...

C’est avec la carte jeune que...Le stade Malherbe s’en sortira !... C’est certain ! Allez, Oui ! je plaisante...

Question Est-ce que il n’y a pas une trop forte concentration d’offre de spectacles à Caen ?

Non je ne crois pas... Je crois qu’au contraire, il manque quelques dispositifs.

Il n’y a pas de lieu alternatif à Caen du style fabrique ou réhabilitation d’entrepôt à vocation artistique : ça manque. On en trouve partout et souvent ils apportent un souffle nouveau.

L’offre en matière scientifique reste très pauvre...Il semble que le CDN veuille s’emparer de la question en accueillant l’université populaire de Michel Onfray et le Ganil ...

Pour en revenir à Caen, Caen est une ville siège, une capitale et de ce fait elle attire beaucoup de structures ?

Sans doute, beaucoup trop...Alors comment doit-on s’y prendre ?

À mon avis, il faut prendre le problème à bras le corps ! Faire l’autruche ne sert à rien.

Il faut donc d’abord examiner sans tricher le problème dans sa globalité et dans cet examen, inviter la communauté d’agglo à jouer un rôle. Hérouville aussi, a sa partition à jouer.

Bref, il me semble que l’on ne peut s’en sortir que par une concertation globale des élus et des professionnels. Quitte à inventer l’outil nécessaire. Mais il existe une Fédération des professionnels du spectacle qui peut répondre à cette attente. Enfin un vrai souci de justice doit animer les décideurs. Il faut donc des évaluations plus instruites et plus contradictoires de ce que proposent les structures de créations.

Il faut mettre un terme au lobbying effréné par exemple, à quoi, en sont réduits les artistes, en finir avec des procédures archaïques... du style fait du prince !

Au plus fort la poupe comme on dit ! bref, poser des règles du jeu, en discuter avec les professionnels compétents, n’exclure personne... C’est cela que nous sollicitons de Madame le Maire de CAEN à qui nous avons écrit récemment. La polémique ne nous intéresse pas. Il y a de réels problèmes ; alors discutons et ensemble élaborons des solutions.

C’est ce que demande le Synavi sans avoir la prétention de répondre à tout et sans méconnaître que les problèmes sont difficiles.

Question : Jean-Pierre Dupuy, vous animez une organisation, le Synavi, omniprésente sur le terrain. On vous voit partout, on vous a vu même rencontrer l’ancien Ministre de la Culture et lui faire quelques misères... Lors de sa visite à Caen !

Pas du tout ! Excusez-moi de vous interrompre ! nous avons rencontré le Ministre, à sa demande, et je vous promets que l’entretien a été cordial, même si, nous n’avons pas mâché nos mots. C’est vrai que pour nous, les beaux discours, ça ne suffit pas...

Le synavi est né de la lutte des intermittents du spectacle et entend rester fidèle à ses origines mais nous sommes une organisation d’employeurs ( précaires voir intermittents mais patrons quand même) ; ce qu’on ne sait pas assez !

Une organisation patronale responsable qui travaille à la bonne marche des entreprises dont elle défend les intérêts. Ce n’est pas parce que nos entreprises sont de petites dimensions qu’elles ne sont pas précieuses et souvent indispensables pour ne pas dire vitales.

Notre problème d’employeurs, c’est que nous sommes confrontés à une législation qui n’est pas adaptée et quasiment impraticable ! Nous ne sommes pas les seuls à nous plaindre de l’inflation bureaucratique et du maquis de la réglementation... L’économie solidaire devrait nous permettre une meilleure insertion dans le monde économique ! C’est la meilleure solution.

Pensez... Que le secteur culture pèse aussi lourd que le secteur automobile en France mais, nos entreprises sont régies de manière empirique et archaïque ! C’est terrible le fossé qui nous sépare d’un sain recours à la légalité, quoique l’on fasse.

Les lois du marché ne nous conviennent pas, c’est une affaire entendue, mais alors... Quelles lois devraient nous régir ?

Regarder l’intermittence c’est un « foutoire » incroyable, tellement c’est compliqué Je vous mets au défit de maîtriser la bête !

Celui qui arrive à maîtriser les règles, les assimiler, bien les comprendre, doit y mettre une telle ardeur qu’il y perd sa qualité d’artiste...C’est-à-dire son latin personnel ! Avec un peu de chance, s’il y parvenait, il pourrait postuler à un emploi ...Aux Assedics ! ou à l’ANPE...Bon au train où vont les choses ce sont bientôt les joueurs du stade Malherbe qui vont pointer aux assedics et bénéficier du régime de l’intermittence ! Excusez-moi je plaisante...

Nous avons nous artistes employeurs nous aussi à prendre nos responsabilités et à nous structurer pour avoir de vrais comportements professionnels... Prenons exemple sur le professionnalisme des joueurs du stade Malherbe ! Non je plaisante.

Nous sommes conscients de nos carences et de nos limites, et nous discutons intensément avec nos amis du SYNDEAC (autre syndicat d’employeurs du secteur) pour mettre au point des solutions fiables. Nous réclamons notamment, la mise en place d’un Comité Régional du Spectacle Vivant en Basse-Normandie. Nous voulons partager un tel outil avec les gens disposant d’un pouvoir décisionnaire dans notre secteur. Il y a urgence, urgence, urgence...On va finir par imploser si on n’y prend pas garde. Il est vraiment urgent de doter la profession de dispositifs et d’outils efficaces.

Entretien avec Jean-Pierre Dupuy secrétaire Régional du SYNAVI 25 septembre 2007

PS Bien sûr je brocarde le stade Malherbe en toute amitié et quelques soient ses difficultés présentes on ne peut que soutenir et aimer un club qui porte le nom d’un poète ... Ce qui doit bien être unique au monde, en France, en tout cas. Se rappeler qu’un de nos poètes locaux François De Cornière a écrit un jolie petit bouquin sur la question FOOT. C’est ça la culture que nous aimons : celle qui allie l’art de vivre et la vie de l’art .

4 octobre 2007


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