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des propositions concrètes pour sortir de l’impasse

Etats généraux des chiffres du chômage et de la précarité

1 Communiqué de presse, 30/05/2007

 

A l’appel de la plupart des organisations syndicales de l’Insee, de l’ANPE, du Ministère de l’emploi et du Centre d’Etudes de l’Emploi, ainsi que des associations de chômeurs et précaires et du collectif ACDC, les Etats généraux des chiffres du chômage et de la précarité ont réuni mardi 29 mai plus de 250 personnes.

Trois tables-rondes ont permis aux chercheurs, experts et acteurs sociaux présents, issus d’horizons et de champs variés, de onfronter leurs points de vue et de formuler leurs propositions pour sortir par le haut de l’actuelle polémique autour des chiffres du chômage.

Ces Etats généraux ont mis en évidence de très fortes convergences dans la critique des indicateurs proposés aujourd’hui au débat public en matière de chômage. Les débats ont aussi permis d’identifier un ensemble de propositions innovantes qui ont rencontré un large consensus parmi les participants.

Non seulement les indicateurs statistiques du chômage souffrent aujourd’hui d’une perte de crédibilité sans précédent ; mais ils ne permettent plus de fournir les repères nécessaires pour engager des politiques publiques efficaces contre le chômage et la précarité.

Les propositions qui ont été débattues visent à lancer le débat nécessaire pour surmonter ces difficultés.

1. Un système à bout de souffle

Le diagnostic dressé n’est pas nouveau, mais la faillite du système actuel ne peut plus être ignorée.

Un système statistique hybride utilisé à contre emploi.

L’actuel système d’indicateurs repose principalement sur une statistique administrative (la liste des demandeurs d’emploi de l’ANPE) qui n’a pas été conçue pour suivre les évolutions du chômage et ne fait référence à aucune définition reconnue du chômage.

La statistique mensuelle isole artificiellement une catégorie de demandeurs d’emploi (« DEFM 1 ») pour dénombrer les « chômeurs ». Mais elle s’appuie sur l’évolution d’autres catégories de demandeurs d’emploi pour actualiser au mois le mois le taux de chômage au sens du BIT. En d’autres termes, le chiffre présenté comme « le » chiffre mensuel du chômage n’est pas celui qui sert pour calculer l’évolution mensuelle du taux de chômage.

Cette incohérence traduit le fait que les catégories de demandeurs d’emploi définies par l’ANPE ne reposent sur aucune définition stable et reconnue du chômage.

La source administrative ne peut donc prétendre donner une mesure rigoureuse du niveau et de l’évolution du chômage.

D’autant moins que l’évolution du nombre d’inscrits à l’ANPE est inévitablement sujette à des variations liées non pas au chômage mais aux modes de gestion de l’Agence. Ce phénomène s’est considérablement aggravé dans les années récentes avec la multiplication des réformes renforçant la pression sur les demandeurs d’emploi.

Seule l’enquête Emploi de l’INSEE fournit un repère stable, fondé sur un gros échantillon, des procédures constantes et rigoureuses, et une définition du chômage établie par le BIT (Bureau international du travail). Paradoxalement cette source, utilisée dans tous les pays européens pour mesurer le chômage, est loin de jouer tout son rôle dans le débat social en France.

En refusant de valider les résultats de l’enquête de 2006 alors qu’aucun argument technique ne le justifiait, sous prétexte que ses résultats en matière d’emploi et de chômage ne confirmaient pas les sources administratives, la direction de l’Insee a encore aggravé cette situation.

Un suivi mensuel factice et source de confusion

La publication mensuelle d’un chiffre du chômage ne peut avoir de sens que si l’évolution de cet indicateur peut être correctement interprétée et nourrir utilement le débat public. Or ce n’est aujourd’hui pas le cas.

D’une part, parce qu’on ne dispose pas à l’heure actuelle des outils statistiques pertinents et fiables pour analyser les évolutions mensuelles du marché du travail, comme l’avaient montré les discussions organisées dans le cadre du CNIS au début de l’année 2006.

D’autre part, parce que le chiffre du chômage est au coeur d’une confusion des genres entre outil d’aide à la décision et indicateur de performance des politiques publiques.

Dans ces conditions, la publication mensuelle d’un chiffre du chômage entretient inévitablement des controverses stériles que les informations disponibles ne permettent pas de trancher. Ce bruit médiatique, qui peut parfois servir la communication gouvernementale, n’apporte rien au débat démocratique qui devrait être organisé dans une plus grande sérénité sur des bases statistiques précises et incontestables.

Sur bien d’autres domaines au moins aussi importants - comme par exemple en matière de revenus, de pauvreté, d’inégalités... - on ne dispose pas d’un suivi mensuel qui serait sans doute, par ailleurs, tout aussi factice. Cela n’interdit pas, heureusement, de débattre de ces questions ni des politiques qui devraient être conduites dans ces domaines .

Il n’est plus possible de continuer à focaliser le débat public sur un chiffre aussi fragile au seul motif qu’il est disponible mensuellement.

Une représentation rigide et de plus en plus archaïque du marché du travail

De nombreuses interventions ont souligné la nécessité, reconnue depuis plus de 20 ans par les statisticiens et les chercheurs, de disposer d’une vision conjoncturelle plus large du marché du travail, qui ne repose plus sur une dichotomie de plus en plus dépassée entre emploi et chômage.

Aujourd’hui, un tiers des demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE travaillent chaque mois.

Inversement, en France comme dans les autres pays, un nombre croissant de personnes en âge de travailler sont en situation de « non emploi » plus ou moins contraint.

La focalisation sur un chiffre unique du chômage traduit une vision archaïque du marché du travail dont seuls les décideurs politiques semblent se satisfaire.

Ces mêmes décideurs qui n’hésitent pas, par ailleurs, à mettre en avant la nécessité de s’adapter à un marché du travail de plus en plus flexible et diversifié...

2. Des réformes nécessaires

Placer l’enquête Emploi au coeur du dispositif

Les débats des Etats Généraux ont clairement mis en évidence la possibilité de refonder le suivi du chômage sur des bases plus solides et plus pertinentes.

Dans ce domaine la proposition principale consiste à remplacer le suivi mensuel de la liste des demandeurs d’emploi établie par l’ANPE par un suivi trimestriel du chômage BIT grâce à l’enquête Emploi de l’Insee.

La publication d’indicateurs trimestriels fiables et pertinents permettrait de nourrir très régulièrement le débat public sur des bases saines.

L’enquête Emploi doit devenir le pivot de l’information statistique en matière de chômage et d’emploi. En ce qui concerne le suivi du chômage, l’enquête Emploi est la seule source permettant de le mesurer selon une définition stable et internationalement reconnue.

C’est aussi la seule source permettant de fournir simultanément les informations sur l’emploi et sa qualité, qui sont indispensables pour interpréter les évolutions du chômage.

La publication trimestrielle d’indicateurs du chômage issus de l’enquête Emploi est à la fois nécessaire et possible : c’est même pour cette raison que l’enquête a été refondue en 2002.

Cependant il convient de renforcer les moyens affectés à la réalisation et à l’exploitation de l’enquête, et d’accroître la taille de son échantillon pour permettre des utilisations au niveau régional.

Mieux utiliser les données administratives

Mais si l’enquête Emploi doit devenir la référence centrale en matière de chômage et d’emploi, les statistiques administratives restent indispensables.

Elles fournissent de nombreuses informations aujourd’hui sous-utilisées. Les statistiques de l’ANPE, si leur évolution mensuelle n’a qu’un intérêt limité, sont en revanche très précieuses pour l’analyse fine du chômage à un niveau local (départements, communes, zone UNEDIC, rattachement à une agence...) ; encore faudrait-il que les informations fournies concernent tous les inscrits à l’Agence et pas seulement la catégorie 1.

Il faudrait également refondre et simplifier ces catégories obsolètes, par exemple en distinguant seulement deux catégories de demandeurs d’emploi en « activité réduite », selon qu’ils sont titulaires d’un emploi stable ou non.

En outre l’ANPE dispose d’autres données qui sont aujourd’hui peu voire pas utilisées alors qu’elles permettraient de mieux saisir les transformations du marché du travail.

Il s’agit par exemple de l’enquête sur les sortants de la liste des demandeurs d’emploi, qui devraient permettre de mieux décrire la nature des emplois retrouvés. De même le Fichier historique des demandeurs d’emploi fournit des informations sur les formes de récurrence du chômage qui ne sont guère exploitées.

Les statistiques de l’UNEDIC doivent être aussi mieux utilisées pour fournir, comme le demandent de façon récurrente les associations, un détail plus riche concernant non seulement le pourcentage de chômeurs indemnisés, mais aussi le niveau et la durée de leur indemnisation.

En résumé, il s’agit, d’une part de définir avec l’enquête Emploi une référence stable en matière d’emploi et de chômage et, d’autre part, de rechercher les meilleures complémentarités entre cette enquête et les sources administratives existantes.

Elargir la palette des indicateurs statistiques

Face à la diversification croissante des formes d’insécurité sur le marché du travail, tous les intervenants ont souligné la nécessité de compléter la mesure du chômage par d’autres indicateurs qui pourraient se fonder sur les concepts élaborés par les organisations internationales comme le BIT, en particulier les concepts de sous-emploi et d’emploi inadéquat.

Dans ce domaine, il s’agit d’élargir la mesure actuelle du sous-emploi - qui se limite aux salariés à temps partiel contraint - à d’autres indicateurs mesurant la sous-utilisation de la main-d’oeuvre liée, notamment, aux phénomènes de déclassement, de bas salaires et d’emplois précaires ; il importe également de disposer d’informations plus régulières sur les conditions de travail des salariés, qui peuvent rendre leur emploi insoutenable.

A cet effet il est nécessaire d’introduire dans l’enquête Emploi quelques questions complémentaires.

Plusieurs intervenants ont également souligné la nécessité de s’intéresser, plus largement, aux situations de non emploi qui apparaissent de plus en plus subies.

L’inactivité (au sens statistique du terme) masque de plus en plus souvent des situations de chômage déguisé, surtout quand la pression renforcée sur les chômeurs les pousse de plus en plus à sortir du marché du travail.

Au niveau régional et local, des interventions convergentes ont fait part des besoins insuffisamment satisfaits des acteurs sociaux en matière de données chiffrées, d’évaluations et d’études permettant de cerner les dynamiques territoriale, par exemple en ce qui concerne les effets des politiques publiques et privées sur l’emploi et le marché du travail.

Le système statistique public doit être capable de répondre à ces demandes légitimes.

Les organisateurs des Etats généraux du chômage et de la précarité comptent soumettre ces propositions au débat public, notamment en sollicitant les réactions des décideurs politiques et en participant aux travaux du groupe que va créer le Conseil National de l’Information Statistique sur ces thèmes, travaux qui doivent déboucher sur une profonde réforme des indicateurs du marché du travail.

L’enjeu est de restaurer la crédibilité de ces indicateurs et la possibilité d’un débat démocratique informé sur ces questions.

2 juin 2007


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