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« J’ai été le témoin direct d’un contrôle du politique sur notre travail »

Vu sur le blog de Michel Collon que vous trouverez en lien

 

Jacques Merlino

Le mini-scandale provoqué par Vincent Peillon, refusant à la dernière minute de participer à un débat tronqué, offre à tous ceux qui sont attachés à la liberté de la presse l’occasion de poser à nouveau quelques questions fondamentales. La première est celle-ci : l’information télévisée proposée par le service public est-elle libre de toute intervention élyséenne ?

La réponse est bien évidemment non ! A ceux qui auraient encore quelques doutes, je rappellerai la manière éhontée dont les journaux télévisés ont présenté les fameux bilans sécurité de Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur. Ou encore le matraquage sur le thème de l’insécurité à la veille de l’élection présidentielle de 2002. J’évoquerai les trois heures de direct offert par l’émission "A vous de juger" à Nicolas Sarkozy la veille de la date du début du décompte des temps de parole de la campagne présidentielle de 2007. J’ajouterai l’étonnante décision de ne pas diffuser le débat Royal-Bayrou de l’entre-deux-tours de la présidentielle. Et cerise sur ce triste gâteau, les deux heures trente offertes à Eric Besson pour se refaire une image !

Qui peut croire, sur ce dernier exemple, que la décision d’organiser cette émission émane de la seule direction de l’information de France 2 ? N’est-il pas clair comme de l’eau de roche qu’il s’agit d’une commande de l’Elysée sur le thème : "Il faut sauver le soldat Besson !" ?

"Prouvez-le !", me dira-t-on, et je ne le pourrai. Mais je prendrai la liberté que m’offre la retraite pour dire qu’en trente deux années de journalisme à France 2, période pendant laquelle j’ai été, reporter, grand reporter, chef de service, présentateur, producteur, rédacteur en chef, bref dans chacune de ces fonctions, j’ai été le témoin direct d’un contrôle du politique sur notre travail. A tel point que je peux affirmer que ce contrôle est totalement intériorisé par les journalistes, qu’ils vivent avec en essayant de le masquer par de l’humour et que tous ceux qui tentent de s’en affranchir vont directement à la case placard ! Qui peut nier que chaque changement politique se traduit dans le service public par un bouleversement total de l’organigramme et du choix des présentateurs ? Les faits sont là, ils sont têtus et il est regrettable qu’aucun travail sérieux de sociologue, ou de politologue, n’ait été fait sur cette question.

Vincent Peillon a eu raison de lancer ce débat ; il a eu tort de demander des têtes. Car il ne s’agit pas de responsabilités personnelles ; il s’agit d’un système impossible à gérer dans l’état actuel. Quelle que soit la bonne volonté, l’honnêteté ou le professionalisme des responsables de l’information, ils sont directement dépendants du pouvoir politique qui les nomme et qui décide de leur budget. Le mandat des dirigeants de France Télévisions arrive à terme l’été prochain ; ils seront reconduits dans leurs fonctions, ou démis, sur simple décision du président de la République. Quelle marge de manœuvre, quelle marge de liberté, leur reste-t-il ? Aucune. Bien évidemment.

Le drame est que le grand public ne s’intéresse pas à la liberté de la presse. L’opposition non plus. Il y a une quinzaine d’années, Jacques Delors s’était écrié : "Nous nous sommes fait chiper l’idée de liberté par la droite !". Les choses, depuis, sont restées en l’état.

Or, l’incident Peillon peut, et doit, être l’occasion de reposer ce débat. Au-delà des querelles de personnes, il convient que l’opposition s’engage dans ce combat. Garantir la liberté du service public de l’information n’est pas une mission impossible. Il suffirait de s’inspirer du modèle de la BBC, (un "board" indépendant et responsable, un budget pluri-annuel) pour que notre télévision trouve un peu de dignité. Le modèle est là, il suffit de s’en inspirer. Et sans doute d’aller plus loin car les libertés publiques dans notre beau pays ne vont pas bien fort. La justice est malade ; les syndicats sont malmenés ; la presse est muselée. C’est peut-être le moment pour la gauche de lancer des états généraux pour les libertés publiques. Car ce n’est sûrement pas la droite qui s’en chargera !

Jacques Merlino est ex-rédacteur en chef France 2

25 février 2010


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