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Lettre d’un imbécile peureux à un journaliste intelligent et brave

Réponse à l’éditorial de J.Y. Boulic dans Ouest France du 22 mars

 

Monsieur,

Merci monsieur Boulic de m’avoir ouvert les yeux.

Hier encore je me croyait un citoyen, qui, sur la base de son expérience politique et syndicale, participait au débat public.

Aujourd’hui, grâce à vous , je me découvre incapable de réflexion et régi par mes peurs et mes frustrations.

Le clivage n’est pas comme je le croyait entre les libéraux et ceux qui veulent une autre Europe, mais entre raison et déraison.

Comme vous l’écrivez « la force du oui se fonde sur l’histoire et se nourrit de la réflexion, »celle du non « des peurs, des colères, des rejets ».

D’ailleurs il n’y a pas à discuter du texte : « tout lecteur ne peut assurer, en toute bonne foi, qu’il est en recul par rapport à ceux qui l’ont précédé »

Et vous citez la présidence stable, le ministre des affaires étrangères, l’élargissement de la codécision du parlement... sans détailler en quoi concrètement ceci va améliorer le contrôle démocratique de l’union.

C’était bien là un objectif affirmé à Nice ou dans la déclaration de Laeken par les dirigeants européens eux-mêmes.

Malgré quelques enjolivements à la marge, le fonctionnement de la machine Europe est peut être amélioré, mais il reste toujours aussi opaque et avec un énorme déficit démocratique.

Quant au social, comment se féliciter que la charte soit contraignante quand elle ne fixe pas de normes à respecter ? Il n’y a ni droit au travail, ni droit à la protection sociale...

Cette charte est en recul sur ces points, et beaucoup d’autres, sur la charte européenne de Turin de 1961 et même la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ! Désolé pour Attali mais on ne prend pas le chemin de la démocratie sociale.

Il serai bon que la presse, et Ouest France en particulier, soit un peu pluraliste sur l’analyse du traité.

Les français, dites vous, s’apprêtent à voter pour un contexte plutôt que pour le texte qu’ils n’ont pas lu ( c’est la responsabilité de ceux qui fait ce texte aussi monstrueux et inaccessible).

C’est vrai aussi des partisans du oui qui vont voter pour défendre l’idée européenne, pour Raffarin et Chirac, pour Hollande ou les Verts, sans avoir lu non plus un texte dont vous reconnaissez qu’il est trop long.

Ont ils besoin de connaître le texte par coeur, dans le détail, pour percevoir les dégâts d’une banque centrale indépendante des besoins des peuples et de tout contrôle citoyen, banque libérale qui s’obstine dans une politique contre l’emploi quand 70 millions de personnes en Europe sont en dessous du seuil de pauvreté ? Ont ils besoin de lire les articles du texte sur la libre circulation des services pour comprendre que cette Europe produit des directives comme la directive Bolkenstein qui joue contre l’emploi et les garanties sociales. ?

La mobilisation dans toute l’Europe contre cette directive montre qu’aujourd’hui se consolide une opinion publique européenne qui pèsera, positivement, sur une renégociation suite au non en France. C’est aussi ce que vous balayez sans argument .

Un mouvement d’opinion, loin de la démarche franchouillarde des Le Pen et Pasqua, se développe dans tous les pays pour exiger une autre Europe démocratique et sociale.

Bien sûr, ce non est multiforme c’est sa richesse comme celle des forums sociaux. Mais je préfère cette diversité à l’unanimisme médiatique et politique, ce retour de la pensée unique qui submerge les partisans du oui.

Nous avons peur de votre Europe qui loin de la vie des gens développera des réflexes racistes et d’exclusion :voyez déjà ce qu’on entend sur les polonais qui viendront manger le pain des français pour ne rien dire des délires sur les turcs.

Nous sommes en colère contre cette Europe là qu’on cherche à nous imposer, technocratique et libérale à la remorque des USA par OTAN interposée qui ne sera pas, plus qu’aujourd’hui, un acteur du monde.

Nous rejetons ce traité calamiteux pour retrouver l’espoir en l’Europe.

Une dernière chose : votre image de la conduite sur glace me fait froid dans le dos. Si le non est un dérapage, il n’y a plus de démocratie possible. Il faut aller au bout de votre logique ; nous dire que voter ce n’est plus choisir, mais valider les décisions prises par une élite politique qui seule sait ce qui est bon. Si je voulais forcer le trait de votre papier, je dirai qu’il se résume à une affirmation que vous partagez avec beaucoup de vos collègues : les français sont des cons de voter pour un con-texte. Pourquoi tant de haine et de mépris ?

En espérant un débat plus serein, recevez, monsieur, mes salutations

25 mars 2005


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