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L’Euro de Judas

Villementeur prétend défendre le modéle social. Pourtant tout comme Sarko s’appuie sur les "sommités médicales" de l’Inserm, Villepin et Bertrand s’appuie sur la Haute Autorité Libérale Sanitaire pour démolir la sécu.

Avec les ARH "Agences pour les Restrictions dans les Hopitaux), voilà encore un machin à supprimer !

 

Premier mars, en bas de la page 10 du Monde, une brève d’une centaine de mots annonce le déremboursement de plus de cent cinquante médicaments pour « service médical rendu insuffisant. » Aux informations télévisées, la nouvelle prend quelques secondes. Comment faut-il la considérer ?

Est-ce une information sans importance, une décision déjà validée par l’ensemble du corps médical, du corps social ? Ou bien une destruction lente et progressive du système de santé et de protection sociale ?

Une lecture rapide laisse entendre que ces médicaments sont inutiles et inefficaces et qu’il est légitime de ne plus les rembourser. Si cela était, pourquoi même continuer à autoriser la vente de ces produits ?

Et c’est là que la lecture du rapport de la Haute Autorité Sanitaire[1] est édifiante. « Tous les médicaments, même efficaces, n’ont donc pas vocation à être pris en charge au titre de la solidarité nationale. » Nous assistons donc bien à leur déremboursement sur d’autres critères que l’efficacité.

L’autre critère évoqué, au nom de performances présumées de nouvelles molécules, est techno-économique : « il est impératif d’affecter les financements collectifs en priorité à la prise en charge des traitements les plus performants, par exemple les nouveaux traitements de la polyarthrite rhumatoïde, affection très invalidante.... »

Outre le fait que cette thérapeutique, à n’utiliser qu’en seconde intention, reste discutable en raison de ses effets secondaires, l’argument utilisé est irrecevable.

Il ne s’agirait pas d’effectuer des choix entre différentes thérapeutiques pour une même maladie mais de choisir quelles pathologies seront prises en charge. Pour rembourser les médicaments de la polyarthrite, il faudrait cesser de rembourser ceux de pathologie pédiatrique courante, bronchites ou rhinopharyngites. Dans son interview, Xavier Bertrand l’affirme : « Est-ce qu’on doit tout rembourser en sachant que nous avons besoin aussi de nouveaux médicaments pour mieux prendre en charge le cancer ? »

Tout est dit. C’est la mise en pratique du fameux « panier de soins » qui consiste à faire porter aux ménages l’ensemble des frais de première intention, réservant la solidarité collective aux seules pathologies lourdes, « aux progrès thérapeutiques contribuant ainsi fortement à la croissance du marché du médicament ». C’est l’application du système libéral dans le domaine de la santé, dont on voit aux Etats-Unis les résultats sanitaires et économiques catastrophiques.

La décision du Ministre de la santé, appuyée par le rapport du HAS, présente ce choix comme celui à effectuer entre « petits et grands risques. » Les déremboursements effectués, basés sur un concept introduit en 1999 par Martine Aubry, concernent l’ensemble des pathologies courantes, celles de l’immense majorité de la population, maladies certes bénignes, mais handicapantes.

Différencier ainsi petits et grands risques est une véritable déconstruction de la Sécurité sociale, une fracture avec l’esprit de solidarité partagée. Tous solidaires devant la maladie, quel que soit l’âge, la pathologie ou les revenus, tel en était l’esprit, celui de la mutualisation du risque.

Cette atteinte au lien collectif, ce démantèlement par étapes, crée bien évidemment une injustice flagrante, une rupture du contrat solidaire qui nous unissait.

L’inégalité des droits face à la maladie ne fera que renforcer les inégalités sociales. Le transfert de ces dépenses de soins sur le budget familial ne posera pas problème pour les plus aisés.

Mais pour les autres, il leur faudra choisir entre l’attentisme et la guérison spontanée, les urgences hospitalières ou les complications médicales, le handicap de la maladie et les queues dans les services hospitaliers, voire la résurgence d’handicaps aujourd’hui disparus. Tout acteur de santé sait pourtant que la non prise en charge de ces pathologies peut en entraîner d’autres bien plus lourdes.

Le HAS évacue ce danger par un euphémisme d’une totale hypocrisie : «  une mesure dont les effets négatifs en terme de qualité des soins ne sont pas démontrés » !

Peut-on lui suggérer qu’ils ne sont pas exclus ? Cette nouvelle atteinte au droit aux soins est une atteinte de fait à l’éthique, à la justice et à l’égalité. C’est un choix éminemment politique et libéral qui est opéré, celui de la destruction de la mutualisation au profit de l’individualisation du risque.

Le rapport du HAS le précise quand il présente les mesures d’accompagnement auprès des patients, prônant au passage l’automédication, « il convient de rappeler que la Commission ne s’est pas prononcée sur la seule efficacité des médicaments mais sur un faisceau de critères destinés à apprécier le bien-fondé de leur prise en charge par la solidarité nationale..... Le retrait du remboursement n’empêche pas l’accès à ces médicaments et contribue à une politique d’éducation et de responsabilisation des assurés sociaux. »

Le bréviaire libéral culpabilisant est résumé en ces quelques lignes.

Le cynisme est porté à son comble lorsque l’on constate que le transfert dans le budget des ménages des frais de premier recours est censé « économiser » 254 millions d’euros en 2006 et 305 millions d’euros en 2007.

Au même moment, la même semaine, les médecins ont obtenu une augmentation d’un euro qui coûtera 210 millions par an.

Les économies réalisées sur le dos des familles, le développement des inégalités financeront donc l’augmentation des professionnels de santé.

Comme si cela ne suffisait pas, ceux-ci s’engageront à économiser 1,4 milliard en 2006 et 2007 en restreignant prescriptions et arrêts maladie !

Vous avez dit cynisme ?

Docteur François Simon,

Médecin Généraliste

Conseiller Municipal de Toulouse, Alternative Midi-Pyrénées

[1] Rapport du HAS du 14 Septembre 2005 : Recommandation de la Haute autorité sanitaire sur le bien fondé de la prise en charge des médicaments à service médical rendu insuffisant.

13 mars 2006


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