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Lettre aux élus, professionnels et usagers

sur les soins sous contrainte

 

Objet : Réforme de la psychiatrie : une loi de grand renfermement !

...., le 2 mars 2011

Madame, Monsieur,

Nous vous écrivons afin de vous alerter contre le projet de réforme de la loi de 1990, «  relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet d’une prise en charge psychiatrique », qui doit être discuté à l’Assemblée Nationale à partir du 15 mars 2011. Il marque un tournant sécuritaire gravissime de la psychiatrie, où le contrôle social généralisé de la normalité des comportements va remplacer l’accompagnement bienveillant des personnes en souffrance psychique.

Le pouvoir dévolu à l’autorité administrative, d’enfermer toute personne présentant un « trouble », autrement dit tout déviant potentiel à l’ordre public, va être renforcé : sur le seul avis d’un médecin, ne connaissant généralement pas le patient et soumis aux pressions, continuera de reposer la décision d’enfermement. Celle-ci pourra être prorogée indéfiniment, puisque le préfet ne tiendra pas forcément compte de l’avis du psychiatre de l’établissement, mais surtout des nécessités de l’ordre public et de la sûreté des personnes, et multipliera les expertises, de la part d’experts qu’il choisira.

Une scène de ménage un peu vive, une alcoolisation trop bruyante, une interpellation trop musclée, voire une simple manifestation de résistance ou d’opposition, pourront ainsi conduire à un enfermement prolongé, sans raison médicale avérée.

Certes, pour tenir compte de la décision récente du Conseil Constitutionnel, ce projet de loi prévoit que le Juge des Libertés et de la Détention statue sur la mesure d’hospitalisation sans consentement au terme des quinze premiers jours puis tous les six mois, pouvant en ordonner la mainlevée.

Mais il est sûr que la Justice ne disposera d’aucun moyen supplémentaire pour cela et, faute de compétence sur la maladie mentale, tendra à se reposer sur des experts médicaux déjà débordés ou pire, à suivre l’injonction administrative.

L’enfermement psychiatrique demeurerait en tout cas une loi d’exception.

Ainsi, l’intervention du juge ne concernera pas le bien-fondé de l’hospitalisation en elle-même, qui commencera par une période d’observation et de soins de soixante-douze heures, véritable garde à vue psychiatrique.

Elle ne concernera pas plus les soins sans consentement en ambulatoire, y compris à domicile, dont le développement non contrôlé conduira au règne de l’arbitraire le plus total.

Les droits des patients et des familles seront gravement réduits : le patient ne sera informé sur ses droits que si son état le permet, et l’hospitalisation à la demande d’un tiers pourra être prononcée, aussi paradoxal que ce soit, sans demande de tiers !

Jusqu’à présent, le tiers demandeur, le conjoint, les ascendants ou descendants, pouvaient décider de la levée de l’hospitalisation : désormais, le médecin pourra maintenir une personne hospitalisée contre l’avis de l’entourage. En outre tout patient hospitalisé sous contrainte se verra fiché, et ce casier psychiatrique le suivra toute sa vie.

Le contre-pouvoir médical, comme celui des proches et des juges, sera réduit comme peau de n’existe déjà plus, puisqu’ils sont nommés par le directeur de l’établissement et sont récompensés à l’activité qu’ils produisent, autrement dit poussés à faire du chiffre et hospitaliser plus.

Soumis aux pressions administratives et par peur de la faute, ils seront contraints à devenir des gardiens de l’ordre public, des experts en bon comportement, ne pouvant garantir les libertés et donc la santé de leurs patients.

La multiplication des certificats, fournis par des praticiens mis en rivalité et parfois triés sur le volet, conduira l’exercice médical à devenir une entreprise de contrôle régie par les lois du profit et de la concurrence.

Mais cette gestion médicale de la paix sociale se paiera au prix fort : la confiance, à la base de l’alliance thérapeutique, va laisser place à davantage d’opposition et de violence de la part de patients qui auront toutes les raisons d’être persécutés.

Le plus dangereux est à venir : en introduisant la possibilité de soins sous contrainte à domicile, qui vont rapidement se généraliser en raison de l’encombrement des hôpitaux, ce projet de loi porte atteinte frontalement à la vie privée et à la liberté d’aller et venir.

Compte-tenu de l’absence de moyens alloués sur les secteurs extra-hospitaliers, ces soins se limiteront la plupart du temps à injecter un neuroleptique retard, en attendant la géolocalisation, au plus grand bénéfice de l’industrie pharmaceutique et de l’ordre public réunis.

Cette disposition d’une extrême gravité augure l’avènement d’une société de contrôle inédite où chacun sera tenu, au moindre écart de conduite, d’être enfermé et « traité » chez soi !

On voit comment l’ensemble de ce projet de loi fait glisser délibérément la psychiatrie, pratique médicale centrée sur la personne en souffrance, vers une police des comportements visant à éliminer symboliquement tout fauteur de troubles.

En effet, ce n’est plus seulement le malade qui est visé, sous prétexte de dangerosité, mais l’ensemble de la population devant laquelle est agité l’épouvantail de l’exclusion morale, médicalisée, aseptisée.

Il s’agit de soumettre le peuple en douceur, par la peur, en conditionnant une subjectivité passive et conformiste.

Ce faisant, cette loi va aggraver la violence sociale, ce qui justifiera en retour son durcissement : cercle vicieux sécuritaire permettant au pouvoir en place de prospérer... Voici venue l’ère du grand renfermement, chez soi et à l’intérieur de soi : sa seule fin est l’implosion psychologique, pour éviter une explosion sociale... Au fou !

Au contraire, c’est de davantage de moyens que la psychiatrie publique a besoin, de davantage de confiance et d’indépendance, au service des populations en souffrance.

Il faut donc défendre la politique solidaire de secteur, et restaurer les contre-pouvoirs médical et judiciaire face à l’arbitraire d’un Etat de plus en plus policier.

Il y a urgence : nous devons tous nous mobiliser pour la défense des libertés fondamentales et des valeurs républicaines, et pour la promotion de notre psychiatrie humaniste.

Espérant vous avoir éclairé(e) sur les dangers de ce projet de loi profondément anti-social et liberticide, et que vous aurez à cœur de lutter avec nous contre son adoption, nous vous prions d’agréer,

Madame, Monsieur, l’expression de notre sincère considération.

Mais c’est un Homme

Collectif Non à la Politique de la Peur, Advocacy France, Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS), ATTAC France, Collectif d’associations d’usagers en psychiatrie (CAUPsy), Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité, Fédération pour une Alternative Sociale et Écologique, Fondation Copernic, Groupe Information Asiles (GIA), Groupe Multiprofessionnel des Prisons, Ligue des Droits de l’Homme, Nouveau Parti Anticapitaliste, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Parti Socialiste, Résistance sociale, Les Sentinelles Egalité, SERPsy, Solidaires, Sud Santé Sociaux, Syndicat de la magistrature, Syndicat de la Médecine Générale, SNPES-PJJ-FSU, Union Syndicale de la psychiatrie, les Verts.

4 mars 2011


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