Accueil > Penser Global

"Le capitalisme néolibéral n’a plus besoin de la démocratie"

 

L’histoire du référendum du 29 avril 2005 a révélé que pour une majorité d’experts, pour la classe politique dans sa majorité et les médias la question ne devait pas se poser. Le résultat a montré que pour une majorité de votants, elle se posait, qu’elle relevait non de l’approbation et de l’adhésion, mais de la souveraineté du peuple.

Cet événement à démontré que la démocratie tend de plus en plus à fonctionner plutôt comme une oligarchie. ( Cf. « Régime politique dans lequel la souveraineté appartient à un petit groupe de personnes, à une classe restreinte et privilégiée". Le Petit Robert).

Si cette oligarchie ne repose plus sur le privilège de la naissance et de filiation comme sous l’ancien Régime, c’est le capital social économique culturel et informationnel qui domine, désormais (le capital des classes sociales qui envoient leurs enfants dans les classes préparatoires aux grandes écoles dont ils sortiront pour intégrer les structures du pouvoir ). Cette oligarchie prédatrice est le principal agent de la crise globale au travers des décisions qu’elle impose pour maintenir l’ordre établi conformément à ses intérêts.

"L’objectif de croissance matérielle nécessaire pour maintenir l’attraction culturelle que son mode de consommation exerce sur l’ensemble de la société accroît constamment la dégradation de l’environnement en cultivant le désir d’ostentation et de distinction de toutes les catégories sociales aspirant à s’élever dans l’échelle sociale".

Par delà la notion ambiguë de "développement durable", le cadre dominant d’explication du monde reste celui de la représentation économique des choses pour le plus grand profit des dominants. Toute alternative au système dominant est posée comme impossible au point que la seule fin à poursuivre pour infléchir la fatalité de l’injustice serait d’accroître toujours plus la richesse et donc d’amplifier toujours la croissance.

A cet égard, le chômage en tant que fatalité est une donnée largement construite qui constitue le moyen le plus efficace pour, dans certaines limites, s’assurer de la docilité populaire et du bas niveau des salaires.

Pour cette oligarchie qui tend à se reproduire, il n’y a qu’une bonne démocratie, celle qui est capable de maîtriser un mal qui s’appelle la vie démocratique, « le torrent démocratique » pour reprendre une expression du XIXè siècle. L’histoire nous enseigne que les pères fondateurs de la République voyaient dans la démocratie le moyen pour l’élite d’exercer, en fait, le pouvoir au nom du peuple, mais que le peuple ne saurait exercer sans ruiner le principe même du gouvernement.

Le capitalisme n’est pas seulement un système économique fondé sur la maximisation du taux de profit, sur la marchandisation du monde, le capitalisme est aussi un ordre social, un type de rapport social et un modèle d’agencement de pouvoirs.

Ainsi, éduqués dans ce système les citoyens sont tous, à des degrés divers, pénétrés par l’idéologie caractérisée par l’individualisme négatif et « appropriateur » du « chacun pour soi ». Le capitalisme néolibéral s’appuie sur cette idéologie pour renvoyer à chacun la responsabilité (individuelle) de son état en s’attaquant en premier lieu à l’Etat comme instance garante du collectif.

L’Etat serait selon les libéraux libertariens réduit à ses prérogatives régaliennes de police, de justice et d’armée au service de l’ordre prétendument établi. Un cortège (ou corpus) d’idées, de valeurs et de représentations privilégiant la concurrence, la compétition (battants, gagnants et « tueurs »), contribue à l’atomisation et à l’isolement des individus réduits au statuts de clients tyrannisés par la consommation.

Le capitalisme dans sa phase néo-libérale d’expansion illimitée n’a donc plus besoin de démocratie ; celle-ci devient antinomique avec les buts recherchés par l’oligarchie.

La démocratie favorise, en effet, la contestation des privilèges indus, elle alimente la remise en cause des pouvoirs illégitimes, elle pousse à l’examen rationnel des décisions.

Le capitalisme n’a besoin, pour son développement, que d’un démocratisme, une démocratie de façade confortant une idéologie exaltant la recherche par chacun de son intérêt, prétendant que la somme des conduites individuelles conduit par une sorte de magie- " la main invisible" à l’optimum général. Une démocratie d’opinion substituant les sondages interpellant chaque citoyen atomisé, isolé, au rassemblement du peuple suffirait au débat public.

La crise de la démocratie laisse apparaître la logique fondamentalement oligarchique de cette démocratie représentative et délégataire qui fut et reste une conquête décisive dans son histoire. «  La vitalité même de nos parlements a été nourrie et soutenue hier par ces partis ouvriers qui dénonçaient le mensonge de la représentation ....La démocratie est l’action qui sans cesse arrache aux gouvernements oligarchiques le monopole de la vie publique et, à la richesse, la toute puissance sur les vies ».

L’illimitation du capitalisme néolibéral le porte inéluctablement à détruire toutes les protections de l’Etat social, de l’Etat dont la dite Providence tenait aux conquêtes et aux garanties arrachées dans les luttes sociales et politiques du XIXè siècle et de la première partie du XXè.

L’économie de marché à laquelle "la France" refuserait de se convertir disposerait le modèle social français à toutes les aventures du capitalisme financier qui n’aura de cesse de se débarrasser des procédures (des "lourdeurs"..) et des incertitudes de la démocratie politique et de la négociation sociale. L’oligarchie tentera toujours de domestiquer et de réduire le foyer de contestation et de revendication ouvert par la démocratie participative, par la démocratie, afin de perpétuer l’ordre si évidemment établi.

L’ordre social conforme à la phase de développement du capitalisme n’a besoin que d’une démocratie disciplinaire : une « démocrature », en somme...

Les contre-pouvoirs sont les lieux de résistance et en même temps de créativité où le peuple rassemblé, en comités, collectifs, coordinations et associations, puise dans la délibération collective, dans la coopération et la mutualité soutenues par la convivialité festive, la puissance nécessaire à cet arrachement.

En élaborant collectivement des formes d’organisation horizontales, transitoires et relativement autonomes les individus atomisés se libèrent de leur capacité à subir ; ils se restaurent en tant que citoyens en se réappropriant l’essence du politique dans la lutte et la recherche des formes d’une démocratie participative.

Granville, le 25 03 06.

Yann Le Pennec,

Ce texte s’inspire et emprunte aux ouvrages de Jacques Rancière" La haine de la démocratie " (Editions La fabrique, Paris 2005) et de celui de Hervé Kempf"Comment les riches détruisent la planète"(Le seuil, 2007). (Le titre est emprunté à un des chapitres de cet ouvrage)

13 avril 2007


Format imprimable

Format imprimable