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La question des étrangers ; l’impasse ?

Contribution de Didier Mast

 

Caen s’intéresse aux Etrangers depuis 1974, date de création de l’ASTI. Depuis que s’est-il passé, en dehors de l’aide à la résolution de situations individuelles, nombreuses et efficaces, apportée par un militantisme remarquable ? Aujourd’hui de nombreuses associations, regroupées , la plupart au sein d’un Colectif, placent ce problème au centre de leurs préoccupations, mais , sur le plan collectif, quel bilan pouvons-nous retirer de cette débauche d’énergie ?

Il y a eu en 1981 la loi sur l’entrée et le séjour, la loi de 1984 sur les titres de séjour , divers textes pour mettre la législation française en harmonie avec la législation européenne, notemment en ce qui concerne la procédure et le respect de la vie familiale ; en plus de trente cinq ans, c’est peu.

Il y a un foisonnement de textes, mais ceux-ci n’apportent pas de différences fondamentales par rapport à ceux qui les précèdent : chaque gouvernement s’efforçant soit, selon sa tendance, de restreindre l’entrée et le séjour des étrangers, soit de l’humaniser, mais la politique est toujours la même : interdire si faire se peut le territoire français, aux étrangers n’ayant pas d’autorisation de séjour, ne permettre l’entrée qu’à un petit nombre ayant certaines qualités, une immigration au mérite modulée par les besoins de l’économie ; Pire, au sein des associations concernées par ce problème, sont organisés peu de débats pour tenter de rechercher une solution globale, tout juste en période électorale, quelques personnes s’avancent prudemment sur la problématique de savoir si quelques sans-papiers doivent être régularisés ou s’ils doivent être régularisés en masse, voire tous. Peut-être ce débat les diviserait-elles trop profondément ?

Bref, nous sommes dans l’impasse, non seulement par l’abord frileux de la question par les autorités, mais peut-être aussi par une incapacité des associations proches des valeurs des Droits de l’homme à concevoir une approche qui rendrait plus aisée la solution du problème.

Est étranger celui qui n’a pas la nationalité française. Cette tautologie ouvrait le texte de l’ordonnance de 1945 sur les étrangers ; elle a été reprise récemment par le Code des Etrangers. Pour s’interroger sur les étrangers, ne faut-il pas commencer par s’interroger sur la nationalité française. et ensuite voire les conséquences que pourrait avoir sur les étrangers une autre approche de la notion d’étranger ;

Le Code de la Nationalité date de 1973. Il est pour beaucoup la reprise de textes anciens , du début du XX ème siècle et du XIX ème siècle. Il se veut un mélange du droit du sang et du droit du sol, mais l’élément droit du sang est prépondérant ; en fait à une époque où la France était en conflit plus ou moins permanent avec ses voisins il fallait ratisser large pour les besoins de la conscription ou éviter que par ce moyen quelques unes ne tentent d’échapper à la conscription.

De plus, le système est stupide : si un français épouse une algérienne, son fils aura deux nationalités ; si ce fils rencontre une étrangère qui, dans les mêmes conditions, a la nationalité marocaine et mauritanienne, le petit-fils aura quatre nationalités ; si pareille situation se reproduit on arrivera à huit nationalités, puis seize :... un véritable tissu écossais. Cela ne veut rien dire.

Mon voisin est étranger ; il vit dans un appartement identique au mien, travaille dans les mêmes conditions que moi, regarde les mêmes programmes TV et a les mêmes loisirs, a des enfants qui fréquentent les mêmes écoles que les miens, paie les mêmes impôts, fait ses achats chez les mêmes commerçants.

Mon ancien voisin est parti à l’étranger pour échapper à ses obligations fiscales ; il vit dans une luxueuse villa, ses enfants fréquentent des cours particuliers. Lequel est le plus proche de moi, mon voisin actuel ou l’ancien ?

Ne faut-il pas substituer aux critères intellectuels et théoriques actuels du droit de la nationalité (droit du sang et droit du sol) un critère concret ; avoir en France son principal établissement c’est à dire le centre des ses intérêts matériels et moraux. Le voisin que je décrivais plus haut n’est-il pas plus français que son prédécesseur, expatrié, qu’elles que soient les raisons de départ de France ?

Le principal établissement n’est pas toujours un critère aisé à dégager, mais il est sans doute possible de retenir le critère fiscal ; on dit que seule une moitié des français paie des impôts, ce qui est faux puisque la totalité paie la TVA et d’autres impôts directs ; il convient de préciser les impôts sur le revenu ; qu’importe, il n’est pas question de mettre en avant, pour pouvoir obtenir la nationalité française un critère fiscal, censitaire, mais il est possible de dire que sera français celui qui est éligible à l’impôt sur le revenu depuis une période probatoire de trois, cinq ou dix ans. Cela peut être complété par une enquête rapide pour s’assurer que le demandeur a une connaissance suffisante de la langue française et ne risque pas de créer des troubles à l’ordre public.

Qu’en est-il de la situation de l’expatrié qui peut avoir des raisons légitimes de partir à l’étranger et qui n’est pas systématiquement un fraudeur fiscal ? Son lien avec la France peut être simplement moral ou culturel, néanmoins sa position est contradictoire avec le critère matériel dont il est fait état plus haut. On peut envisager qu’il perde temporairement la nationalité française tant que son principal établissement sera fixé à l’étranger s’il possède une autre nationalité étant précisé qu’il la recouvrira aisément s’il revient en France, qu’il est en congé de nationalité ; si il n’a d’autre nationalité il ne peut la perdre en fonction de textes internationaux, mais n’ayant plus d’établissement en France, il pourrait ne plus être inscrit sur les listes électorales, et ne plus avoir droit aux prestations sociales ou de solidarité.

Une fois établi un changement d’acquisition de la nationalité française, le problème de l’étranger entrant en France se trouve simplifié. Sauf à réclamer la régularisation de tous les étrangers en France sans condition et la liberté de circulation (si liberté de circulation, pourquoi pas liberté d’installation ?) ce qui parait peu souhaitable au risque de "favelliser" tous les abords de nos villes, peut entrer en France tout étranger qui a vocation après une période plus ou moins longue (3 ans, 5 ans, 10 ans, cela est à définir) à devenir français,auquel pourront s’ajouter l’entrée de membres de la famille dans le cadre du respect de la vie familiale, d’autres étrangers pour des raisons humanitaires, politiques (réfugiés) et bien entendu des étudiants.

Il est bien évident qu’à partir du moment où il ne prend pas position pour la liberté d’installation, tout Gouvernement mettra en avant des conditions pour l’entrée et le séjour des étrangers et aura tendance à privilégier une émigration de qualité ; ces conditions doivent être appréciées par le Parlement qui doit, non seulement les voter, mais ensuite s’assurer de leur application, de l’effectivité des mesures qu’il décide. Celles-ci doivent respecter la lettre et l’esprit de la Convention Européenne des Droits de l’Homme scrupuleusement et n’avoir pour limite que l’impossibilité de pourvoir a un accueil après qu’on ait démontré les efforts pour organiser cet accueil et son effectivité. Il ne faut pas oublier que nous vivons dans un monde ou un tiers vit sur son tas d’or et empêche les deux autres tiers, affamés, de venir y toucher,

La condition d’appréciation de l’aptitude à devenir français (qui ne sera jamais une obligation pour l’étranger) bien que qualitative, parait être le critère acceptable par tous qui peut être modulé en fonction des politiques ou des évènements économiques à partir du moment ou il est mis en œuvre sans étroitesse par l’Administration en conformité avec une application large de la C.E.D.H..

Je suis pleinement conscient des lacunes de ce texte qui n’est qu’une ébauche, mais qui peut ouvrir au débat et sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes plongés avec les Etrangers.

26 février 2011


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