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Casser les retraites pour payer les riches

 

Le bouleversement du régime général des retraites qui se prépare aujourd’hui constitue une vraie régression sociale.

L’argument sans cesse réitéré, largement relayé et développé avec complaisance par les médias c’est le vieillissement démographique. Il est partout présenté avec la force de l’évidence, c’est-à-dire qu’il n’a même pas besoin d’être interrogé.

Pourtant cet argument ne tient pas, et il en cache un autre : le refus du partage des richesses créées par tous.

Nous vivons plus longtemps et c’est tant mieux. La proportion de retraités par rapport aux cotisants va doubler entre 2000 et 2040 (de 4 pour 10 elle devrait passer à 7 ou 8 pour 10).

Mais qui peut un instant imaginer qu’on produira moins de richesses dans 30 ans qu’aujourd’hui ?

Et si on produit plus de richesses, on les produit pour tout le monde : actifs comme retraités. La vraie question n’est donc pas celle du rapport actifs / inactifs, mais celle du partage de ces richesses.

 Le vieillissement des populations et la consolidation du régime de retraites par répartition imposeront que la part des retraites atteigne d’ici 2040 de 18 à 20% du PIB pour 12,6% aujourd’hui.

Rappelons qu’en 1960 cette part était de 4.4% et que le système de retraites par répartition a parfaitement assimilé cette hausse, l’économie française a supporté cet effort parce que les gains de productivité ont en partie bénéficié aux salariés et donc, via les cotisations, aux retraités.

Pourquoi cela ne serait-il plus possible aujourd’hui ?

On le voit la vraie question n’est pas démographique, elle est politique : c’est celle du partage de la valeur ajoutée (des richesses produites).

Affirmer que le nombre de retraités deviendra un poids insupportable pour les actifs (salariés), c’est implicitement raisonner à masse salariale inchangée (ou éventuellement dont la croissance continuerait à être déconnectée de celle de la productivité comme c’est le cas depuis une vingtaine d’années) ; c’est admettre, en la masquant, l’idée que l’essentiel des gains de productivité, et donc du flux supplémentaire de richesses produites, continue à aller au capital et pas au travail.

L’explosion des dividendes, qui sont passés de 3,2% du PIB en 1982 à 8,5% aujourd’hui, en témoigne.

Les scénarios catastrophiques échafaudés par les thuriféraires de la pensée unique cherchent à permettre au patronat de faire passer l’idée d’un allongement de la durée de cotisation de tous les salariés.

C’est une absurdité : ça n’est pas l’emploi, pour l’essentiel, qui explique la croissance des richesses, mais les gains de productivité.

Dans ces conditions, augmenter la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein revient tout simplement à remplacer des retraités par des chômeurs !

Augmenter le nombre d’actifs n’augmente pas pour autant le nombre d’emplois, donc le nombre de cotisants. Les ressources du système de retraite ne sont pas accrues, on envisage donc d’en réduire les prestations.

Au moment où les entreprises continuent à se débarrasser prématurément de leurs salariés de plus de 55 ans, où la durée réelle moyenne d’activité est de 37,5 ans, cette proposition n’est pas seulement indécente, elle est irresponsable.

L’idée de travailler plus longtemps revient évidemment à accroître la population active, et pour que cette population active supplémentaire trouve à s’employer et que le chômage régresse, il faudrait envisager un taux de croissance du PIB dépassant les 4% en moyenne annuelle, ce qui n’est ni raisonnable ni souhaitable.

Aujourd’hui le taux d’emploi des 55-64 ans est inférieur à 35% et si 80% des hommes partent en retraites à taux plein (souvent après 60 ans) il n’y a que 45 % des femmes qui y parviennent.

L’objectif du gouvernement est bien de continuer à baisser le niveau des retraites et effectivement tant que l’on restera accroché au dogme d’un taux de prélèvement obligatoires qui ne doit pas augmenter c’est la seule solution.

Pour bénéficier d’un revenu décent à la retraite, il faudra donc s’être constitué un capital préalablement, c’est le sens de « la France de propriétaires » dont parle Sarkozy, l’avenir est aux fonds de pension.

Mais là aussi c’est un leurre. D’une part, ces fonds de pensions sont parfois à haut risque comme en témoigne l’actualité récente et ils ont tendance, par leur exigence de rentabilité, à freiner les rémunérations salariales, donc à restreindre l’assiette du financement des retraites.

D’autre part cela ne change rien au fait que, financés par des pensions ou des revenus de la propriété, les retraités de 2050 consommeront les richesses produites par les actifs de 2050. Et s’il est possible de compléter les cotisations obligatoires par une épargne privée, qu’est ce qui empêche d’augmenter les cotisations pour garantir le système par répartition ?

Notre système par répartition est fondé sur une solidarité entre générations. Les cotisations des actifs financent les retraites et ouvrent aux cotisants des droits sur la génération suivante. Mais pour pérenniser un tel système il faut bien sûr que les cotisations des actifs augmentent sans que leur pouvoir d’achat diminue, ce qui suppose que les salaires augmentent au rythme de la productivité des salariés.

Ce qui n’est plus le cas depuis une vingtaine d’années. La part des salaires dans le PIB a diminué de près de 10 points. Et c’est bien là le problème :l’assiette des prélèvements destinés à financer les retraites ne cesse de se réduire. D’une part, les revenus tirés de la propriété augmentent beaucoup plus que les salaires et ne contribuent pas au financement des retraites, d’autre part une fraction croissante des revenus salariaux est exonérée elle aussi de prélèvement (primes, intéressement, participation, heures supplémentaires).

Alors réformer le système de retraites, oui ! mais pour consolider le système par répartition, seul garant d’une solidarité entre générations, élément essentiel du lien social, et lui permettre d’assurer sa mission.

Et c’est possible, à condition d’en avoir la volonté politique.

Au-delà de la politique actuelle et promise par le gouvernement, le plus grand danger qui pèse sur notre système de retraite c’est la perte de confiance. Si les jeunes générations intériorisent l’idée que les retraites ne pourront plus êtres assurées dans l’avenir dans les mêmes conditions, que leurs droits ne seront pas garantis, il est à craindre qu’elles rechignent à cotiser.

La répartition c’est la logique de la solidarité entre les générations. C’est un lien social essentiel. Dans nos sociétés industrielles, où les solidarités familiales traditionnelles se sont réduites, il est indispensable de préserver et renforcer ce lien.

Tel est l’enjeu : allons nous vers une société solitaire, qui accepte de partager les richesses créées avec un travail toujours plus productif ou au contraire vers une société de plus en plus individualiste qui renverra à la sphère privée la prise en charge de seniors qui vivront plus longtemps mais avec des ressources réduites.

11 mai 2010


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