Compte tenu de l’urgence de la situation, je crois utile de multiplier les
initiatives. Outre la pétition - que j’ai signée et que je diffuse - qui
s’adresse d’abord aux appareils en train de négocier, j’ai choisi d’écrire
aux militants du NPA et du PCF que je connais - et à d’autres intéressés par
ces débats - en espérant que ma lettre circulera au delà de celles et ceux
que je connais personnellement : nul inconvénient à ce que les aboné-e-s de
ces listes la répercutent à leur façon...
LL
LETTRE OUVERTE À MES AMIS DU NPA ET DU PCF
Cher-ères ami-e-s et camarades,
C’est en tant que simple militant, extérieur à vos organisations, que je m’adresse
à vous.
La consultation des adhérentes et adhérents de vos partis sur les élections
régionales est ouverte. Parce que les choix que vous allez faire engagent,
bien au delà de vos rangs, l’ensemble de celles et ceux qui veulent
contribuer, à la fois à combattre les politiques sarkoziennes et à disputer
au parti socialiste son hégémonie sur « la gauche », il ne m’apparaît pas
inconvenant que ces débats soient publics. Ce n’est pas seulement, ce n’est
pas d’abord de vos partis qu’il est question, mais de la gauche radicale
dans son ensemble.
Le projet de réforme des collectivités territoriales annoncé par Nicolas
Sarkozy est tel que c’est peut-être la dernière fois que nous avons l’occasion
d’utiliser le minimum démocratique que représente l’existence d’un scrutin
de liste à l’occasion de ces élections ; il est en effet envisagé que les
prochains « conseillers territoriaux » soient élus sur la base de scrutins
uninominaux à un tour, organisés par cantons : un mode de scrutin dont la
vocation est de laminer, dans les conseils généraux et régionaux, tout
courant politique extérieurs au face à face du parti socialiste et de l’UMP.
Allons nous perdre cette occasion de manifester notre opposition au
libéralisme brutal et au social-libéralisme, au pouvoir absolu et sans
limite des tenants du système capitaliste ?
La gauche radicale a plusieurs visages, elle se divise en plusieurs courants
entre lesquels existent des contentieux historiques, des désaccords et des
malentendus, en plusieurs traditions longtemps séparées pour le plus grand
profit de l’ordre dominant. Il n’est pas question ici pour moi de trancher
sur la teneur de ces malentendus et de ces désaccords, de donner un
satisfecit à tel courant ou à telle tradition. Non que ces débats soient
sans intérêt, mais il sera toujours temps de les tenir demain ; et je
préfère qu’ils aient lieu à l’issue d’un succès unitaire plutôt qu’à l’issue
d’une défaite historique qui pourrait nous enfermer dans une longue période
de reflux et d’isolement.
À chacune et chacun, il importe de prendre la mesure des avancées de notre
situation commune. Alors qu’en 2004, le PCF avait dans 17 régions
métropolitaines sur 21, choisi au premier tour une alliance de type « gauche
plurielle » avec le parti socialiste, c’est dans un rapport inverse que les
prochaines régionales pourraient bien se présenter. Alors que la LCR avait
alors fait le choix d’une alliance sectaire avec Lutte Ouvrière, le NPA
propose aujourd’hui da larges alliances, rassemblant l’essentiel de l’arc
politique à la gauche du parti socialiste. Sur ce principe, comme le NPA, le
PCF, le PG, les Alternatifs, la Fédération, le Forum Social des Quartiers
Populaires, le PCOF, et nombre de militant-e-s engagées dans divers
mouvements sociaux sont prêts à s’engager. Cela ne va pas sans concessions
réciproques, et la question, pour chacune et pour chacun, est de déterminer
jusqu’où peuvent aller ces concessions, au regard de l’enjeu décisif devant
lequel nous nous trouvons.
Après de longues discussions, menées tant aux plans local que national, la
seule hypothèque qui plane sur la possibilité d’un accord pour une grande
campagne unitaire et dynamique doit pouvoir être levée. Il est clair qu’il
ne s’agit pas d’un point mineur, mais d’un point qui engage la conception
que chaque organisation se fait des voies de l’action politique
institutionnelle. Elle a été posée sous la forme suivante : les élu-e-s de
la gauche radicale, s’ils se trouvent en minorité dans des majorités de
gauche, derrière le bloc que constitueraient le parti socialiste et Europe
Écologie, doivent ils accepter - et même revendiquer - de participer aux
exécutifs régionaux, ou doivent-ils au contraire se mettre d’emblée en
situation d’opposition ?
La fidélité aux engagements pris devant les électrices et les électeurs à l’occasion
du premier tour me semble être un impératif indiscutable. Nous avons toutes
et tous le souvenir cuisant du gouvernement de la « gauche plurielle »,
entre 1997 et 2002, et de la catastrophe politique qui a pu en résulter, de
la démobilisation politique qui s’en est suivie. En renonçant aux objectifs
politiques qu’il avait proclamés, en faisant preuve dans le gouvernement
Jospin d’une solidarité gouvernementale et législative sans faille, le PCF a
largement contribué à cette démobilisation. Les militant-e-s du parti
communiste le savent bien, et dans leur grande masse, ils en ont retenu la
leçon : ils n’envisagent pas de retomber dans la même ornière. Pour autant,
ils n’estiment pas par principe impossible de faire progresser des
politiques de ruptures par une participation aux exécutifs régionaux qui
serait soutenue par le mouvement social. Ils entendent prendre leurs
responsabilités, dès lors qu’ils sollicitent les suffrages des électeurs,
pour faire effectivement avancer les propositions qu’ils auront faites lors
de la campagne.
Dans le NPA, issu de diverses traditions anticapitalistes, nombreux sont
celles et ceux qui s’interrogent, qui craignent les compromissions de leurs
partenaires, et qui veulent éviter de nouvelles désillusions. Ils veulent
que leurs élus conservent toute leur indépendance à l’égard du parti
socialiste et plus généralement de la « gauche » d’aménagement du système.
Je partage cette crainte, tant il est vrai que chat échaudé craint l’eau
froide, et que nous avons été suffisamment échaudés comme ça.
Cette crainte suffit-elle à faire le choix d’une division mortifère pour l’ensemble
de la gauche radicale ? Je ne le crois pas. Il faut donner une chance à l’unité
; ceux qui la trahiraient, par exemple en acceptant des compromissions
inadmissibles, en supporteraient les conséquences politiques.
Nous devons aller unis aux élections régionales. Nos candidat-e-s doivent
affirmer clairement que leur engagement auprès des électrices et des
électeurs sera celui qui aura été pris à l’occasion du premier tour ; que
toute participation aux exécutifs ne pourra avoir d’autre but que de faire
avancer les politiques pour lesquelles les listes d’union du premier tour
auront été constituées. La politique d’un conseil régional n’est d’ailleurs
pas tout d’un bloc, même si elle a une cohérence globale. Il sera toujours
possible de soutenir certaines mesures, et de s’opposer à d’autres, avec le
soutien du mouvement social. Aucun lieu, aucune fonction n’est incompatible
avec cette attitude. Si l’histoire, en France comme à l’étranger, montre les
conséquences désastreuses des compromissions et des abandons, l’expérience
montre aussi que des élus peuvent participer à des exécutifs sans perdre
leur âme, sans trahir celles et ceux qui leur ont fait confiance.
En outre, des listes unitaires garantiraient la présence dans les conseils
régionaux de tout l’arc de la gauche radicale ; en cas de désaccords
ultérieurs, chacun-e resterait libre de ses positionnements : il serait
toujours temps de faire le point, de faire les comptes, et de laisser la
masse de celles et de ceux qui aspirent à de vrais changements juger sur
pièces. L’unité ne signifie pas l’abandon des débats nécessaires pour faire
bouger les lignes et les rapports de forces à l’intérieur même de la gauche
radicale. Elle est par contre une condition pour faire bouger les lignes et
les rapports de forces entre la gauche d’adaptation et la gauche de
transformation, d’une part, entre la gauche et la droite d’autre part.
Les victimes du système, les précaires, les chômeurs, les discriminés, les
salariés dont l’emploi est menacé, les femmes, les usagers de services
publics en danger, les travailleurs soumis à des conditions de travail qui
les poussent parfois au suicide, les mal logés, mal lotis, mal nourris,
maltraités par les politiques au service du capital ont besoin de pouvoir s’exprimer
d’une voix claire. L’éparpillement des forces de changement est leur pire
crainte, et une cause bien plus importante de démobilisation politique et de
désillusion que l’attitude que tel ou tel élu, tel ou tel courant d’un large
rassemblement pourrait adopter - à ses risques et périls - une fois les
élections passées.
Vous avez, dans la consultation des adhérent-e-s engagée par vos partis, la
possibilité de décider de l’unité ou de la division. Je crois exprimer un
sentiment très largement partagé en vous demandant de manière solennelle de
ne pas faire le choix de la défaite et de la démobilisation, mais celui de
la dynamique unitaire. Il faudra prendre soin de gérer cette dynamique pour
lui éviter les ornières qui ne manqueront pas de se présenter. Mais ce n’est
pas en y mettant fin avant qu’elle ne soit réalisée que vous oeuvrerez dans
ce sens. Vous n’êtes pas propriétaires de la politique. Je regrette que les
structures de la politique vous donnent ce pouvoir immense de décider à la
place des intéressé-e-s si oui ou non ils et elles pourront s’exprimer à l’occasion
de ce scrutin pour dire : « Nous voulons combattre le régime de Sarkozy,
nous ne faisons pas confiance pour cela au parti socialiste, nous voulons
agir dans l’unité de toutes celles et de tous ceux qui, au delà de leurs
différences ou de leurs divergences veulent aujourd’hui la même chose ».
Refuser l’unité aujourd’hui, à cause de possibles désaccords ultérieurs, c’est
trahir celles et ceux qui attendent de nous que nous soyons parmi eux, dans
leurs combats quotidiens, et que nous les considérions comme les véritables
acteurs et actrices de la vie politique. Ce que je vous demande, c’est de ne
pas commettre cette trahison. La balle est dans votre camp.
Laurent Lévy, Ivry-sur-Seine.