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Vichy, le mot et la chose

Cet texte est relatif à un procès dans lequel l’un des prévenus est notre ami Abdel Kader Aït Mohamed, mieux connu parmi nous sous le nom de Kader, animateur de la fédération en Indre et Loire, plusieurs fois candidat de la gauche d’alternative à diverses élections locales.

 

Cinq militant-e-s du Réseau Éducation Sans Frontières de l’Indre et Loire ont reçu une convocation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Tours en septembre prochain, suite à une plainte déposée par un certain Brice Hortefeux, récemment condamné pour les propos racistes qu’il avait tenus dans la région de Vichy.

Il semble que ce soit précisément la référence à Vichy - le mot « Vichy » - qui ait déclenché la colère du ministre de la chasse aux enfants.

Et on se demande bien pourquoi.

Les poursuites engagées contre les cinq militant-e-s visent précisément le passage suivant du texte qu’on leur reproche d’avoir diffusé ; évoquant la technique par laquelle les baleiniers s’en prennent aux petits baleineaux pour attraper leurs proies, le communiqué litigieux poursuivait :

« Cette technique de chasse aux enfants a eu son heure de "gloire" pendant une des périodes les plus sombres de notre histoire contemporaine. Les nervis de Vichy ont en effet utilisé les enfants pour pouvoir aider à la déportation de ces derniers et de leurs parents. II semblerait que certains fonctionnaires préfectoraux, particulièrement zélés, s’inspirent de nouveau de la chasse à la baleine. Actuellement, les fichiers, comprenant la liste des élèves et leur adresse (par exemple Base élèves), sont constitués dans chaque établissement. Certains fonctionnaires préfectoraux interviennent auprès des directeurs d’établissement pour que ceux-ci leur transmettre la nationalité des parents C’est illégal ! Il y a de réels soupçons en Guyane, en Ille et Vilaine et en Indre-et-Loire. »

Pour le Parquet d’Indre et Loire, reprenant à son compte l’analyse de l’homme qui dit que trop d’arabes c’est un problème, ces phrases constitueraient « le délit de diffamation publique contre une administration publique spécialement celle des Préfectures de Guyane, Ille et Vilaine et Indre et Loire. »

Les prévenu-e-s feront valoir devant le tribunal les arguments qu’avec leurs conseils, ils estimeront les plus appropriés. Mais un paradoxe saute d’ores et déjà aux yeux dans les poursuites.

La diffamation est, en droit, l’allégation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé ; elle est aggravée lorsqu’elle est commise à l’encontre d’une personne ou d’une institution publique.

On pourrait discuter la question de savoir quels sont précisément les faits diffamatoires imputés dans ce texte aux administrations publiques en tant que telles, dans la mesure où les seuls faits évoqués concerneraient seulement « certains fonctionnaires préfectoraux, particulièrement zélés », la formule indiquant à l’évidence, par euphémisme, que l’on vise des fonctionnaires « trop zélés », c’est-à-dire allant au-delà des exigences de leurs fonctions, sans sous-entendre que ce serait en accord avec l’administration publique à laquelle ils appartiennent.

Mais il est évident - et le Ministre auvergnat l’a bien fait comprendre - que c’est la comparaison avec la police vichyssoise qui est apparue inconvenante - alors même qu’elle ne constitue pas l’allégation d’un « fait », mais une simple analyse comparative.

La question est dès lors la suivante : est-il contraire à l’honneur et à la probité, pour l’administration préfectorale, de se comporter comme elle a pu le faire sous l’Occupation.

Or, tous les travaux historiques les plus sérieux convergent pour dire que la police de Vichy était à bien des égards une police exemplaire, d’un grand professionnalisme, aux techniques sérieuses et éprouvées, qui devraient encore, et pour longtemps, servir de sujet d’étude et de modèle à toute police digne de ce nom.

Mis à part les cas marginaux de fonctionnaires n’ayant pas su tenir leur langue, et ayant informé certains civils de l’organisation de la célèbre « rafle du Vel d’Hiv », une opération aussi complexe s’est ainsi déroulée avec succès dans les meilleures conditions possibles, dans un contexte pourtant complexe et troublé.

Ce professionnalisme exceptionnel de la police française s’est aussi manifesté dans la grande traque, faite de centaines de filatures discrètes, de renseignements patiemment collectés, qui a permis de mettre fin aux menées terroristes des étrangers qui troublaient la quiétude parisienne, entre l’arrestation de Henri Krasucki et l’exécution de Missak Manouchian, rétablissant ainsi la paix civile.

Au demeurant, la quasi-totalité des fonctionnaires de police en poste à cette époque où l’exécution fidèle de leurs devoirs professionnels avait été si difficile mais si fructueuse a paisiblement poursuivi sa carrière, à tous les échelons de la hiérarchie, sous la quatrième, voire la cinquième république.

Leurs années de service entre 1940 et 1945 ont d’ailleurs été rigoureusement prises en compte dans le calcul de leur retraite bien méritée.

Les administrations préfectorales pourraient sans doute s’enorgueillir, plutôt que se scandaliser, d’une comparaison avec ce qui fut un grand moment de l’efficacité des techniques policières françaises.

Comme par un clin d’œil de l’histoire, c’est précisément en Indre et Loire que ces poursuites ont lieu : là où le préfet fut longtemps Monsieur Paul Girot de Langlade, qui vient d’avoir le privilège de rejoindre Brice Hortefeux dans le cercle des condamnés pour propos racistes. Tradition, quand tu nous tiens !

Laurent Lévy

5 juillet 2010


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