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La « TVA sociale », un dispositif injuste et antisocial

suivi de TVA « sociale », le retour précipité d’une fausse bonne idée

Voici quelques éléments pour apprécier le dernier cadeau de Sarkozy à ses patrons du MEDEF la TVA anti-sociale.

Un moyen supplémentaire pour taxer les salariés et surtout les Chômeurs, les RSA etc... qui sont ceux pour qui la TVA, impôts injuste, est déjà lourd.

Pendant ce temps là le bouclier fiscal et les modifications de l’ISF font de l’argent poche supplémentaire pour les plus riches.

 

La « TVA sociale », un dispositif injuste et antisocial

Par CHRISTIANE MARTY, Fondation Copernic

L’idée de la « TVA sociale » resurgit régulièrement dans le débat politique, et encore récemment. Cette appellation désigne le projet de basculer sur la TVA tout ou partie des cotisations sociales patronales (les fameuses « charges » sociales).

En contrepartie, les entreprises sont supposées répercuter la baisse de leurs cotisations sociales sur les prix hors taxes : ainsi la hausse du taux de TVA s’appliquerait sur un prix abaissé et serait invisible pour le consommateur, tout au moins pour ce qui est produit en France. Les produits importés verraient leur prix augmenter, ce qui avantagerait alors la production française sur le marché intérieur...

La recette serait toujours affectée au financement de la Sécurité sociale, mais circulerait par un autre « tuyau ». Selon ses partisans, ce transfert permettrait de réduire le coût du travail, la compétitivité des entreprises s’en trouverait améliorée et les délocalisations évitées. Effet magique d’un changement de tuyau ?

La réalité est différente. Le plus probable est en effet que les entreprises ne répercutent pas, ou pas totalement, la baisse des cotisations sociales sur les prix hors taxes (HT), et qu’en résulte une hausse des prix toutes taxes comprises (TTC).

Loin du procès d’intention, cette anticipation s’appuie sur l’expérience. Les baisses de TVA passées ne se sont jamais retrouvées intégralement dans les prix, les entreprises en profitant pour augmenter les taux de marge et les dividendes versés. Ainsi, les baisses de TVA à 5,5% dans les travaux immobiliers en 1999 et dans la restauration en 2009 n’ont été répercutées qu’à 57% et 60% respectivement. Deux rapports remis en septembre 2007 par Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, et par Eric Besson, alors secrétaire d’Etat chargé de la Prospective, notent également que la TVA sociale serait génératrice de hausse des prix.

La TVA sociale revient de fait à une substitution de payeurs : les entreprises voient leurs cotisations sociales baisser et les ménages voient augmenter les prix des biens et services, qu’ils soient produits en France ou importés. On comprend l’enthousiasme du Medef.

Tous les consommateurs seraient touchés par ce renchérissement général des prix à la consommation et donc par une baisse du pouvoir d’achat, mais tous ne le seraient pas de la même façon. Ce serait sur les catégories les plus modestes que pèserait le plus la TVA dite sociale car, plus on descend dans la hiérarchie des revenus, plus la part de budget consacrée à la consommation est élevée.

A défaut d’être socialement juste, la TVA sociale serait-elle au moins efficace ? Pas plus.

Selon l’antienne libérale, le coût du travail en France grève la compétitivité des entreprises et il faut l’alléger. Ce n’est pas ce qu’établissent les statistiques de l’Insee et d’Eurostat : le coût du travail français dans l’industrie manufacturière - le secteur exposé à la concurrence internationale - est équivalent à celui de nos voisins allemands, qui n’ont pas de problème d’exportation ni de compétitivité.

D’autre part et surtout, focaliser ainsi sur le coût du travail permet d’occulter... le coût du capital qui pèse symétriquement dans les comptes des entreprises. Or, c’est bien l’explosion des dividendes, accompagnant la compression de la part salariale, qui caractérise l’évolution des coûts ces dernières décennies : la part, dans la valeur ajoutée, des dividendes nets versés aux actionnaires est passée de moins de 3% à plus de 8% en vingt-cinq ans, pendant que la part des salaires reculait de 8 points. Si un coût doit baisser, c’est bien celui du capital.

Enfin, penser que cette TVA sociale permettrait d’éviter les délocalisations relève de l’illusion.

La baisse de quelques points de cotisations sociales, en admettant même un instant qu’elle soit répercutée sur les prix, est tout à fait incapable de compenser l’écart de coût salarial avec les pays de l’Europe centrale et orientale : le coût du travail y est en effet 5 à 7 fois moins cher que dans les pays d’Europe de l’Ouest. Sans parler de la Chine, avec laquelle ce rapport tourne plutôt autour de 30.

En outre, cette obsession sur le coût du travail relève d’une incompréhension (ou d’une occultation volontaire ?) des mécanismes qui fondent les décisions des employeurs. En effet, bien d’autres éléments que le coût du travail entrent dans les décisions de délocaliser, comme la présence ou non d’infrastructures de qualité, de services publics ou de débouché local pour les produits.

La TVA sociale ne répond donc à aucun des objectifs affichés. Si on comprend son intérêt pour les marges des employeurs, on voit mal ce que la grande masse de la population aurait à y gagner. Depuis trente ans, le système fiscal a subi de nombreuses transformations qui vont toutes dans le même sens : l’allégement de la fiscalité sur les plus riches, les entreprises, le patrimoine. Cet allégement représente un manque à gagner considérable et c’est lui qui est à l’origine du déséquilibre des finances publiques. La TVA sociale ne ferait qu’ajouter un nouveau dispositif injuste à l’empilement des mesures prises depuis plus de vingt ans. Revenir sur ces mesures, réformer la fiscalité de manière à la rendre plus redistributive doit faire partie des urgences politiques.

Coauteure de : « Un impôt juste pour une société juste », Syllepse, 2011.


Union SNUI - SUD Trésor Solidaires Communiqué de presse Le 3 janvier 2012

TVA « sociale », le retour précipité d’une fausse bonne idée

Véritable serpent de mer, la « TVA sociale » fait un retour précipité dans le débat public en ce début d’année. Une certaine confusion entoure cependant ce débat, la TVA « sociale » étant présentée comme étant tout à la fois : une manière de résorber les déficits publics et/ou sociaux, un instrument permettant d’améliorer la compétitivité des entreprises, un outil de lutte contre les délocalisations, un transfert neutre pour le pouvoir d’achat des ménages ou, au contraire, le pénalisant... Il est donc essentiel de clarifier les termes de ce débat.

Le mécanisme de la TVA « sociale »

En réalité, la TVA « sociale » consiste en une double opération : abaissement des cotisations sociales patronales et hausse du taux normal et/ou réduit de la TVA venant compenser la perte de recettes due à cet allègement.

Les effets théoriques de la TVA « sociale »

En théorie, une baisse des cotisations patronales vient réduire le prix de revient hors taxe (HT) d’un bien ou d’un service produit en France. La TVA n’imposant pas les exportations, cette baisse du coût du travail et, par construction, du prix de revient HT, est censée favoriser les exportations. Simultanément, la hausse de la TVA s’applique à un prix de revient HT diminué du fait de la baisse des cotisations patronales, de sorte que le prix final toutes taxes comprises (TTC) est censé toute chose étant égale par ailleurs demeurer le même.

Ce transfert est donc théoriquement neutre pour le pouvoir d’achat des ménages. Selon les partisans de cette réforme, une telle opération permettrait d’améliorer la compétitivité des entreprises, de lutter contre les délocalisations et ainsi d’améliorer « la croissance et l’emploi ».

Les contraintes de l’économie réelle

L’enjeu de la répercussion des baisses de cotisations La question est de savoir si une baisse des cotisations patronales serait entièrement répercutée ou non dans les prix de revient HT. En effet, si une telle baisse n’est pas pleinement répercutée sur le prix de revient HT des biens et des services produits en France (du fait d’une hausse du taux de marge par exemple), ce prix de revient HT ne peut pas baisser assez pour absorber une hausse de la TVA : en conséquence, le prix TTC augmente, ce qui pénalise le pouvoir d’achat des ménages (sachant que la TVA pèse proportionnellement plus sur le budget des ménages des classes modestes que sur celui des classes aisées). Or, il est permis de douter qu’une telle baisse puisse être entièrement répercutée dans les prix.

-  Tout d’abord, l’expérience de certaines baisses passées de prélèvements montre que celles-ci ne sont pas intégralement répercutées dans les prix : en 1999, seuls 57% de la baisse de 20,6 à 5,5% du taux de TVA sur les travaux et réparations immobilières a été répercutée [1] et en 2009, environ 60% de la baisse de la TVA dans la restauration a été répercutée dans les prix [2]

-  En outre, certaines entreprises (par exemple dans des secteurs peu concurrentiels) peuvent choisir d’affecter la baisse de certains prélèvements (comme les cotisations sociales) à la hausse de leur taux de marge.

-  Enfin, les allègements de cotisations patronales existants pourraient bloquer toute possibilité de répercuter un allègement supplémentaire.

Le risque d’une non répercussion d’une baisse des cotisations patronales dans le prix de revient HT, donc mécaniquement d’une hausse des prix, est donc réel. Or, une hausse des prix pénaliserait le pouvoir d’achat des ménages, donc la consommation et, in fine, l’activité économique elle-même.

Baisser le coût du travail ?

Le taux normal actuel de TVA de 19,6%. Le taux maximum possible de 25% au sein de l’Union européenne. La marge de manoeuvre est donc étroite : porter le taux normal à 22,6% voire à 25% permettrait de baisser respectivement les cotisations de 4 ou de 7,1 points (ce qui ne peut combler le différentiel en matière de « coût du travail » avec les pays d’Asie par exemple...).

En réalité, le « coût du travail » n’est pas la seule variable : il faut prendre en compte la productivité ou la qualification par exemple, largement supérieures en France.

Quid de la convergence fiscale ?

Il est difficile de justifier l’instauration d’une TVA sociale au nom de la convergence avec les pays occidentaux.

En Allemagne, le taux normal de TVA (TVA « sociale » comprise) est de 19 % contre 19,6 % en France. Au sein de l’Union européenne, le taux normal moyen de TVA avoisine les 20 % et celui des pays de l’OCDE se situe à 18,2 %. La France, avec un taux normal de 19,6 %, n’a pas de réelle marge de manoeuvre. Enfin, si des pays nordiques comme le Danemark ont une TVA « sociale », la structure de leurs économies est différente (il s’agit d’économies plus ouvertes) tout comme la structure de leur fiscalité (l’impôt progressif y est très important, de sorte que les inégalités de revenus sont moindres).

Parmi les objectifs de la TVA « sociale » : augmenter les prélèvements sur la consommation

Pour les partisans de la TVA « sociale », la fiscalité sur la consommation serait préférable à la fiscalité sur le travail. Nicolas Sarkozy avait lui-même déclaré en 2007 qu’il valait mieux « taxer la consommation plutôt que l’emploi » [3] Or, en réalité, imposer la consommation revient, pour la très grande majorité des personnes qui tirent leur revenu de leur travail, à imposer le travail, au stade de l’utilisation des revenus. Or, la TVA pèse proportionnellement plus lourdement sur les ménages des classes modestes et moyennes car celles-ci consacrent la totalité ou la quasi-totalité de leur revenu à la consommation (les 10% des ménages les plus pauvres consacrent 8,1% ainsi de leur revenu à la TVA, les 10% les plus aisés 3,4%).

Quel financement de la sécurité sociale ?

Elargir l’assiette du financement de la sécurité sociale est certes nécessaire. Mais la TVA dite « sociale » n’est ni la seule solution, ni une bonne solution. Un élargissement du financement à la notion économique de « richesse créée » par l’entreprise (autrement dit au solde de gestion nommé « valeur ajoutée ») constitue une piste plus intéressante et aussi plus rentable : il s’agit d’une assiette plus large que la rémunération du travail. Cet élargissement doit reposer sur un principe simple : la sécurité sociale bénéficie à tous et a un impact social et économique positif : toutes les richesses ont donc vocation à contribuer à son financement via un système qui doit être plus redistributif qu’aujourd’hui. Ce n’est pas le sens de la TVA sociale que le gouvernement cherche manifestement à imposer de force.

4 janvier 2012

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Notes :

[1] Conseil des prélèvements obligatoires, Prélèvements obligatoires sur les ménages, progressivité et effets redistributifs, 2011.

[2] Commission des finances du Sénat, sur le bilan du taux réduit de TVA dans le secteur de la restauration, octobre 2010..

[3] Interview de Nicolas Sarkozy, Les échos du 15 janvier 2007..


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