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Celle dont Mr Thiers a dit " qu’on la fusille ! " (1)
Supprimer le droit du travail

19 septembre 2007

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=488

Rarement la soumission au patronat d’un homme politique n’a été aussi forte que dans ce discours qui est un plagiat des textes de base du MEDEF.

Rarement un tel discours n’a traduit à ce point les préjugés de classe et la vision du monde de classe de son auteur.

C’est pourquoi la phrase de la chanson de Jean Ferrat sur la haine de classe des Mr Thiers d’hier et d’aujourd’hui m’a semblé particuliérement appropriée pour le titre de cet article.

Les phrases en italiques sont extraites de la version papier du discours (consultable en pièce jointe du premier article)



Ainsi Sarko a prononcé son grand discours de politique sociale. Aucune surprise, les journalistes en sont pour leurs frais contraints de ressasser leurs mensonges sur les régimes spéciaux et de faire de la non-annonce de leur réforme les grands titres.

Pourtant il y aurait beaucoup à dire sur ce discours, chef d’oeuvre de l’escroquerie politique qui caractérise le très médiatique PDG de la France.

Chef d’oeuvre parce qu’il y a une sorte de performance à faire passer pour réformes et modernité le véritable retour en arrière que constitue la remise en cause des droits des salariés et des chômeurs.

Je vous livre ci dessous, sans prétendre à l’exhaustivité quelques réflexions sur quelques points de ce discours.

Sarko recopie la réfondation sociale...

Le constat de départ est le résumé de la pensée MEDEF de la refondation sociale :

« notre organisation sociale produit aujourd’hui plus d’injustice que de justice, qu’il faut en changer et que c’est un nouveau contrat social, profondément renouvelé, profondément différent, que nous devons élaborer ensemble. » et plus loin ; « Le résultat le plus visible, c’est le chômage, son ampleur et sa persistance. Au-delà du chômage, il y a ce que j’appellerais la " crise de l’emploi " : faiblesse de l’emploi des seniors, difficultés d’insertion professionnelle des jeunes, précarité et pauvreté au travail••• Ce constat est connu, je ne vais pas y revenir. ».

On retrouve presque mot pour mot l’analyse qui sous tend le texte du MEDEF sur la refondation sociale en 1999 : si nous connaissons aujourd’hui chômage et précarité c’est à cause du compromis social issu de la Libération et qui a vieilli.

Bien sur, ce ne sont pas les patrons qui licencient, qui développent l’emploi précaire, il ne s’agit pas là de stratégies de gestion de la main d’oeuvre mais du résultat d’une réglementation trop contraignante « Le résultat de ce trop-plein de droit, ce n’est pas la protection, c’est le contournement du droit, l’explosion du travail précaire, c’est une économie atrophiée ».

Il "oublie en passant" que la richesse continue à croître dans cette économie atrophiée, que nombre d’entreprises qui font des bénéfices licencient et emploient des contrats précaires et que le contournement du droit du travail fut et reste une stratégie patronale délibérée.

Stratégie sans risque puisque les violations du code du travail sont rarement poursuivies et sanctionnées et ce n’est pas l’annonce de la lutte contre le travail illégal - annonce faite régulièrement sans être suivie d’effets- qui changera quelque chose.

Par contre, la dépénalisation de délits économiques annoncée il y a quelque jours à l’université d’été du MEDEF, l’exclusion de l’entreprise de la compétence des juges est une vieille revendication des employeurs : c’est aussi faire échapper ces mêmes employeurs au contrôle de la société.

Bref, le soubassement idéologique de la pensée medefo-sarkozyste exclu toute responsabilité du capital dans la situation actuelle de croissance de la pauvreté et de la précarité.

...en faisant semblant de se préoccuper des salariés

Il se livre alors à un véritable numéro d’équilibriste en prétendant répondre aux aspirations actuelles des salariés que le discours résume pourtant assez bien :

« Au fond, que veulent les Français en matière sociale ? Ils veulent tout d’abord être rassurés sur la préservation des éléments essentiels de notre protection sociale, pour eux comme pour leurs enfants. C’est-à-dire par exemple que les retraites soient financées, que l’accès de tous à des soins de qualité soit garanti. Dans le même temps, ils veulent plus de protection, des droits nouveaux, mais aussi plus de mobilité sociale et professionnelle. Ils veulent prendre davantage leur destin en main et qu’on leur fasse confiance, c’est-à-dire qu’on leur donne plus de responsabilités. Et en même temps, ils veulent aussi plus de solidarité. Nos politiques doivent être en mesure de répondre à toutes ces aspirations à la fois. ».

Le tour de passe-passe est de faire semblant de répondre à ces légitimes aspirations sans toucher au coeur du système.

« toutes nos actions doivent tendre à la promotion, la revalorisation et la juste rémunération du travail. » dit Sarkozy qui dans le même temps prévient « S’ils ne sont pas gagés par un accroissement du travail et de la productivité, les droits sociaux sont de faux droits. » en oubliant de dire que la productivité des salariés qui travaillent dans ce pays, une des plus élevée du monde, a produit des gains de productivité qui ont largement été accaparés par les capital comme le montre la modification du partage salaires profit dans la valeur ajoutée.

Travailler plus ...

Cet « oubli » que pas un journaliste social ne relèvera, ne laisse pas d’autre solution pour répondre au pouvoir d’achat que d’augmenter le temps de travail « travailler plus pour gagner plus » comme il nous l’a martelé pendant la campagne.

Aujourd’hui même Chérèque ne croit plus à ces promesses, les salariés se rendent compte que les heures supplémentaires ne tombent pas du ciel comme promis.

Alors Sarko l’illusionniste sort un autre lapin de son chapeau « donner une place plus importante à la négociation d’entreprise et de branche dans la détermination de la durée collective du travail, » ou encore « pourquoi ne pas permettre aux salariés de préférer, s’ils le souhaitent, la rémunération au temps libre ? Je pense en particulier à la possibilité de convertir des repos compensateurs et les journées stockées sur les comptes épargne temps en argent plutôt qu’en congés. Je pense aussi aux heures choisies, qui pourraient être acceptées directement par le salarié ». pour permettre de travailler plus pour gagner plus.

Du coup ce ne sont pas seulement les 35h qui sont remises en cause mais toute la réglementation collective du temps de travail péniblement acquise par des dizaines d’années de luttes sociales.

La durée du travail serait fixée par secteur ou mieux pour satisfaire le MEDEF par entreprise. Les récupérations, inventées pour donner aux salariés le temps de récupérer des horaires trop longes liés aux heures supplémentaires, sont de fait supprimées pour ceux que les bas salaires contraingnent dans leurs choix : temps pis pour les conséquences sur la santé puisque de toute façon la couverture sociale sera moindre (voir prochain article). Quant au système des heures choisies il conduit tout droit à la fin des horaires collectifs.

...travailler plus longtemps...

Mais dans la série « faire travailler plus... » Sarko ne s’arrête pas là : il faut augmenter le temps de travail aussi sur la durée de la vie.

« Promouvoir le travail, c’est aussi mettre fin au gâchis insensé que représente la mise à l’écart des travailleurs dès 50 - 55 ans. ... Aujourd’hui, près de 6 salariés sur 10 sont chômeurs ou inactifs au moment où ils liquident leurs droits à la retraite ».

Ils sont inactifs à 60 ans parce qu’il n’ont plus le droit aux allocations de chômage puisque les droits sont limités dans le temps et ils en dehors des entreprsies du fait des tratégies patronales d’emploi ?

Pas du tout. Heureusement Sarko a trouvé la cause de cette situation : « Cette situation, tout le monde le sait, est le résultat d’un raisonnement fallacieux - celui du partage du travail »

Demain toute la presse économique va saluer cette trouvaille théorique du plus grand économiste de tous les temps ! Dire qu’il y avait des ignares qui disaient bêtement que ce qui devait être mis en cause c’est une politique qui poussait les entreprises à licencier les moins productifs ou leur incapacité à promouvoir la formation...

Avec la découverte théorique de Nicolas les solutions s’imposent : taxations des préretraites et surtout « la suppression des mises à la retraite d’office avant 65 ans », mesure apparemment révolutionnaire puisqu’elle empêche les patrons de mettre à la retraite les salariés qui ont tous leurs trimestres cotisés mais qui n’ont pas encore 65 ans.

Ceci va conduire les salariés qui n’en peuvent plus à demander leur départ en retraite et à perdre les avantages liés à la mise à la retraite d’office (prime de départ non soumise à cotisation et à impôts). Ou alors nous allons voir se multiplier les licenciements pour fautes ou insuffisance professionnelle des vieux salariés puisqu’il n’y a aucune raison pour que les employeurs changent leur comportement vis à vis des salariés les plus âgés et moins compétitifs.

Ce qui montre bien que ces dispositions pour reculer l’age du départ en retraite ( ou du versement d’une retraite à taux plein ) ne sont pas favorable aux salariés c’est un dispositif prévu pour les vieux fainéants : « Quant aux dispenses de recherche d’emploi, elles seront progressivement supprimées pour ceux que cela concernera à l’avenir ».

Pour inciter les employeurs à garder les seniors comme on dit, on va donc créer la chasse aux vieux chômeurs : il est sur, qu’attendris par le triste sort réservé à ceux ci les patrons auront pitié d’eux et les garderont. Il y aurait de quoi rire si derrière ces absurdités n’allaient se jouer des milliers de drames : c’est une aggravation du sort des salariés de 50, 55 ans et plus qui se profile derrière ces mesures « en leur faveur ».

...pour gagner moins...

Les SMICards (ces profiteurs comme chacun sait !) apprécieront la sortie spontanée de quelqu’un qui ne sait pas ce que vivre au SMIC veut dire « un SMIC qui progresse fortement, sans lien avec les fondamentaux économiques », ils prendront conscience de les quelques euros dont les a gratifié le président sont une menace pour les fondamentaux et les entreprises.

Les juristes et les économistes s’étonneront que le mécanisme d’alignement du SMIC sur le salaire ouvrier et l’inflation ne crée pas quelque lien avec ces mêmes fondamentaux comme si l’augmentation du SMIC était ( sauf cette année) un geste du prince, ils mettront cette remarque sur le compte de l’inexpérience du président qui ne peut pas tout savoir même s’il parle de tout.

L’essentiel c’est de supprimer le SMIC ; « Une commission indépendante fera chaque année des recommandations aux partenaires sociaux et au gouvernement. Cette recommandation, le gouvernement sera libre de la suivre ou non. » Qui sera dans cette commission ( à part le MEDEF, Rexocode et les membres libéraux du conseil d’analyse économique), mystère, ce qui importe c’est qu’elle prenne en compte la situation économique (des entreprises) et puis le gouvernement n’est pas obligé de suivre une augmentation prônée par la commission.

...avec moins de droits...

Il ne restait plus pour satisfaire pleinement le MEDEF qu’à s’en prendre au contrat de travail dernière garantie du salarié : c’est chose faite.

D’abord Sarko assène des « vérités » qui sont directement issue des élaborations du MEDEF : « Aujourd’hui, la vraie sécurité du salarié tout au long de sa vie passe par la mobilité, pour peu que cette mobilité soit organisée et facilitée ».

C’est la version Sarkozienne du « comme l’amour le travail est précaire » de Mme Parisot.

Les salariés doivent accepter l’instabilité généralisée de leur emploi, le travail doit être une marchandise qui circule aussi vite que l’exigent les besoins du patronat.

Ce thème de la mobilité (imposée) comme nécessité liée à la modernité, à l’évolution des processus de productions est loin de faire l’unanimité : il est le reflet d’une vision purement comptable et financière des entreprises ou le travail dépouillé de son utilité (capacités techniques, formation, savoir-faire...) pour devenir une simple valeur marchande un facteur de production abstrait.

Cette volatilité du travail sert aussi à conforter le vieux discours libéral contre les réglementations en les présentant du point de vue des salariés : « Tout le monde sait que l’accumulation de protections qui entourent le contrat de travail ne garantit pas la sécurité professionnelle des travailleurs ».

C’et oublier que près de 80% des salariés sont encore protégés par cet accumulation de protections et que chacun mesure (nous venons encore de le voir avec la condamnation de Moulinex) que ces protections ont encore un intérêt pour celles et ceux qui en bénéficient.

En fait la proposition vise à généraliser- à légaliser- la précarité là où elle n’est encore qu’un droit d’exception.

Pour cela Sarkozy, à la suite du MEDEF,n’hésite pas à mélanger les genres en confondant dans un même phénomène les désirs de mobilité des salariés et les exigences de baisse du coût du travail et de précarisation du patronat : « Plus de mobilité aussi, parce que pour les salariés, c’est un moyen de promotion sociale, un moyen de mieux maîtriser leurs destins. »

Ce qui rend aujourd’hui la mobilité volontaire des salariés difficile, risquée c’est bien la précarisation du travail et en particulier la précarisation des processus d’embauches (de moins en moins d’embauches se font en CDI, la précarité permet l’augmentation des périodes d’essai). Sarko nous présente aujourd’hui comme un plus pour les salariés ce qui est le principal obstacle à leur mobilité choisie.

Dès lors les propositions ne peuvent qu’être une perte de garanties pour les salariés.

« La solution passe par différentes pistes, que les uns et les autres proposent aujourd’hui. La promotion de modes de rupture négociée en fait partie, de même que des procédures simplifiées devant les prud’hommes, pour ne citer que ces deux exemples. Nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur la période d’essai, sur les indemnités de licenciement, sur le champ d’intervention du juge, sur la manière d’assurer une plus grande fluidité dans le passage d’un CDD à un CDI, sur la transférabilité des droits à la formation ou à la prévoyance collective. »

Rupture négociée, procédures simplifiées aux prud’hommes, restriction de l’intervention du juge visent à vider le code du travail de son caractère d’exception par rapport au droit ordinaire des contrats. Pendant plus d’un siècle le code du travail a construit l’idée de l’inégalité entre les contractants le salarié ne se trouve pas en situation de négocier de façon égalitaire avec l’employeur. Tout le droit du travail vise à rétablir un peu d’égalité en donnant au salarié des protections supplémentaires garanties par des juridictions, ces mesures visent à les supprimer pour en revenir à la situation du début du XIXème siècle. La diminution du rôle des juridictions du travail et des juges du judiciaire (souvenons nous de la dépénalisation promise pour les entreprises) prévue ici est un recul sans précédent.

Le PDG, certains cadres supérieurs ont les moyens (nous l’avons vu avec les parachutes dorés) de s’en tirer dans des ruptures négociées. Mais le salarié moyen, l’ouvrier, l’aide à domicile, et même une bonne partie des cadres ont-ils les moyens de négocier quelque chose quand « des milliers attendent à la porte » pour les remplacer. Rarement vision du monde ne fut plus celle des privilégiés du système. Quant à la réflexion sur la période d’essai, sur la manière d’assurer une plus grande fluidité dans le passage d’un CDD à un CDI ça n’a pas un petit air de CPE et de contrat unique ?

Sarko sait bien que derrière les bonnes intentions c’est l’enfer que l’on prépare pour la très grande majorité des salariés. Tout ce système de régression sociale est verrouillé par la chasse aux chômeurs et la perte des droits à la protection sociale dont nous parlerons dans de prochains articles.

(à suivre...)

Etienne Adam
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