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Loi Aubry II : RTT ou fléxibilité ?

19 janvier 1999



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=9

A quelques exceptions près, tous les députés de la majorité plurielle ont voté la loi Aubry, qualifiée à juste titre d’invotable... quelques jours auparavant par Maxime Gremetz. Le vote positif du PCF, des Verts et du MDC, au côté du PS, n’est pas une surprise, le scénario intégrant les soi-disant "avancées déterminantes" concédées par le gouvernement lors du débat parlementaire ayant été soigneusement mis au point.



Même amendé, le texte reste très mauvais. Avant d’être un outil dans la lutte contre le chômage et pour la création d’emplois, sa vocation est de mettre en oeuvre la baisse du coût de travail et la généralisation de la flexibité du temps de travail. D’autres dispositions (temps de travail des cadres, formation professionnelle...) sont autant inacceptables.

Accroître la flexibilité

La loi Aubry ouvre la voie à la modification radicale et généralisée de l’organisation du temps de travail. Le décompte annuel du temps de travail (1 600 heures maximum), avec la modulation hebdomadaire, devraient remplacer le décompte hebdomadaire accompagné le cas échéant du paiement d’heures supplémentaires. La gauche plurielle n’a pas inventé la flexibité du temps de travail ! Mais la loi Aubry, loin de la combattre, constitue une forte incitation pour sa généralisation. D’ailleurs, selon les données du Ministère du Travail, l’une des caractéristiques des entreprises ayant signé des accords RTT sur la base de la 1ère loi, c’est "l’expérience" du patron en matière de modulation des horaires. Ces patrons ont bien vu le gain, en terme d’augmentation de la productivité, qu’ils pouvaient retirer de la mise en place "aidée" (à coût salarial supplémentaire nul) de la modulation. Les soi-disant garanties données aux salariés (calendrier des temps de travail et délai de prévenance en cas de modification du calendrier) sont très insuffisantes. Les informations données par le Ministère du Travail lui-même, sur la base de l’examen des accords déjà conclus, le confirment. Interrogés par deux instituts de sondage, à la demande du Ministère, employeurs et salariés d’entreprises appliquant la modulation du temps de travail ont des opinions différentes sur la pratique actuelle : pour les employeurs, le délai de prévenance est d’un jour ou moins d’un jour dans 13% des cas ; pour les salariés de ces mêmes entreprises, le délai de prévenance d’un jour ou moins d’un jour leur est imposé dans... 37% des cas, trois fois plus souvent que l’indiquent les patrons ! Patrons et salariés vivent différemment la même réalité ! Dans de très nombreux cas, les salariés sont démunis, face à l’employeur, pour faire respecter, au quotidien, calendriers et délais de prévenance. On peut penser que la généralisation de la modulation aura des effets très négatifs sur les conditions de travail.

La gauche plurielle vote la baisse du coût du travail

Le gouvernement en est fier. A l’Assemblée Nationale, pour répondre à la droite, Martine Aubry s’est vantée de mettre en oeuvre la baisse des charges, alors que la droite n’avait fait qu’en parler (ce qui n’est quand même pas tout à fait juste !). En fait, la gauche plurielle reprend à son compte la vieille idée des libéraux sur le coût excessif du travail qui expliquerait le fort taux de chômage, en particulier parmi les travailleurs les moins qualifiés. Le programme de baisse des charges patronales qui accompagne la RTT est considérable : l’exonération est dégressive et va de 21 500 F pour un salarié payé au SMIC (26% du salaire brut) à 4 000 F à 1,7 SMIC et au-delà. Selon Martine Aubry, "l’allègement permettra une baisse nette du coût du travail (après prise en compte des effets de la réduction du temps de travail) de 4 à 5% en moyenne pour les salaires inférieurs à 1,6 SMIC (soit pour plus de la moitié des salariés du secteur marchand)". Le coût total est important (plus de 100 milliards en année pleine). Qui paiera ? Essentiellement les travailleurs, à travers l’impôt, et particulièrement l’impôt indirect. Pour l’année 2000, les entreprises contribueront pour moins de 15 milliards : taxe sur les activités polluantes, taxe sur les heures supplémentaires (non versées aux salariés, mais au fonds de compensation des allègements de charges patronales, donc au profit des patrons !), prélèvement sur les bénéfices. C’est un cadeau au patronat invraissemblable. Tout le contraire d’un ré-équilibrage du partage salaires-profits en faveur des travailleurs.

Enfin, le gouvernement a refusé l’augmentation de 11,4% du taux horaire du SMIC, pour compenser le passage de 39 h à 35 h. La garantie de rémunération pour les smicards, acquise grâce au versement d’un "complément différentiel", ne laisse pas d’inquiéter pour l’évolution des plus bas salaires à l’avenir. Ajoutons que pour les futurs embauchés dans les entreprises nouvelles, les patrons percevront l’aide publique pour payer le complément différentiel.

Peu d’effet à attendre sur l’emploi

Malgré quelques améliorations (suppression de l’abattement de 30% des charges patronales pour les temps partiels, intégration du temps d’habillage dans le temps de travail), la loi Aubry n’est pas faite pour la lutte contre le chômage et la création d’emplois. La taxation des heures supplémentaires est trop faible pour inciter à préférer la création d’emplois aux heures supplémentaires, le développement de la modulation du temps de travail permet l’accroissement de la productivitéet donc limite la nécessité de compenser la baisse du nombre d’heures travaillées par des embauches. Enfin l’éligibilité aux aides publiques ne dépend pas du nombre d’emplois créés. Une autre loi de réduction du temps de travail est nécessaire.

Quand Jospin se dégonfle devant Michelin...

L’affaire Michelin a montré ce que la soumission à la loi du marché signifie. Elle rappelle aussi comment fonctionne le capitalisme d’aujourd’hui. Croissance et prospérité ne sont pas incompatibles avec chômage, précarité et licenciements, c’est même tout le contraire ! En 1998, année de croissance et de développement global de l’emploi, 1200 "plans sociaux" ont été déposés, représentant 330 000 licenciements économiques, souvent des licenciements de "rationnalisation", d’augmentation de la compétitivité. Bref, des licenciements Michelin. A Moult et Villers-Bocage, chez Croisées-Inter, dans une entreprise qui aligne les pertes depuis plusieurs années, ce sont 250 salariés qui se retrouvent sur le pavé, dans des zones d’emploi où il est très difficile de retrouver du travail.

Pour lutter contre le chômage, il faut à la fois une loi permettant la création d’emplois nouveaux, et des mesures qui empêchent la destruction des emplois existants. Lesquelles ?

L’autorisation administrative préalable au licenciement a montré peu d’efficacité : elle n’a pas empêché la montée du chômage, avant 1986. Ensuite, sa suppression n’a pas eu d’effet notable sur le nombre de licenciés. Son rétablissement se discute, mais ne pourrait être une garantie en soi.

Pour une loi anti-licenciements

"L’amendement Michelin" soutenu par le gouvernement et intégré à la loi Aubry oblige les entreprises à conclure, préalablement à l’établissement d’un plan social, un accord RTT, ou à défaut, à engager "sérieusement et loyalement" des négociations sur le sujet. On peut douter de l’efficacité de telles dispositions ! Il reste l’idée de l’interdiction pure et simple des licenciements, et pour commencer dans les entreprises qui font des profits. L’annulation des suppressions d’emplois chez Michelin reviendrait ni plus ni moins à annuler une économie sur la masse salariale, et diminuer d’autant l’augmentation des profits distribués aux actionnaires. Rien d’impossible ! Mais cela ne règle pas tous les cas. Que faire pour les 250 salariés de Croisées-Inter condamnés au licenciement, faute de repreneur d’une entreprise qui, à la différence de Michelin, perd de l’argent ? Selon la loi du marché, l’entreprise n’est pas viable (bien qu’il y ait des débouchés, et parce que les ventes ne permettent pas de faire des profits), mais on ne peut respecter cette loi, et avoir en même temps comme projet de société le plein emploi, l’abolition de la précarité et le maintien sur tout le territoire d’activités industrielles. Dans le cas de Croisées-Inter, la faillite n’est pas celle de l’entreprise, mais celle des patrons et des actionnaires de l’entreprise, et de la logique de la concurrence. L’intervention publique et la prise en main par les salariés eux-mêmes deviennent nécessaires : à elles de prendre en charge le maintien de l’activité, la gestion de son évolution dans le temps, avec les éventuelles reconversions de l’outil de travail. Il faut donc une loi qui organise le maintien d’activités alors que même patrons, actionnaires, propriétaires s’en sont montrés incapables. Une loi qui finance les pertes d’exploitation par les profits réalisés ailleurs. Mobilisation et nouvelle force de gauche

Pour une RTT sans flexibillité et qui crée des emplois, pour une loi anti-licenciements, la mobilisation commencée le 16 octobre dans la rue à Paris doit continuer. Cette mobilisation mettra de plus en plus en avant la necessité de changer de politique... et de changer de gauche. Contruire une force de gauche anti-libérale et mobiliser autour de propositions pour l’emploi et contre les licenciements, cela va ensemble !

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