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Urgences, états généraux, alternative

25 février 2008

par Etienne Adam, Fernanda Marrucchielli, Pierre Cours Salies



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=582

Texte pour ouvrir le débat dans les collectifs pour la coordination nationale des 29 et 30 mars



Quelques propositions pour faire progresser une alternative à le politique de la droite : répondre aux urgences, ouvrir deux débats fondamentaux, prendre des initiatives.

Répondre aux urgences

On ne peut remettre les résistances à demain. Un Sarkozy affaibli pourra poursuivre ses mauvais coups si une force capable de le faire chuter, de le remplacer, ne s’affirme pas.

Dans bien des luttes, la question est criante : un large soutien populaire est là ; et très souvent porteuses de propositions alternatives qui forment des éléments solides d’une politique de rupture. Convergences pour le droit aux soins, pour le développement des services publics, pour l’avenir des retraites, pour un système d’éducation et de recherche, pour le droit au logement... ; les solidarités ne manquent pas.

On les retrouve contre les politiques sécuritaires qui frappent les jeunes, les sans papiers, les pauvres. On les retrouve aussi pour rejeter les fermetures d’entreprises, exiger un contrôle démocratique des financements publics, une politique d’emplois utiles, de transformation sociale et écologique.

Marquer leur complémentarité consoliderait ces luttes. Faire apparaître, autour de celles-ci et des alternatives qu’elles portent, l’unité des organisations de la gauche qui veut la transformation sociale (citoyens, militants et organisations) doit devenir une exigence populaire.

Il suffit de l’observer ces derniers mois : toutes les forces y sont, sauf le PS qui peut se diviser entre les pour, les contre et les neutres. Est-ce là une raison pour ne pas faire l’unité des autres, en appelant tous les militants et les responsables du PS qui le veulent à prendre place dans cette union des luttes pour le changement ?

Nous devrons bien le faire, par exemple ces prochaines semaines, pour une autre politique et une autre Europe que celle présidée par Sarkozy. Et pour le soutien à toutes les exigences de progression du pouvoir d’achat.

Ouvrir deux débats fondamentaux

Cependant, plus l’autorité morale de Sarkozy s’effondre, plus il apparaît que rien de crédible n’existe en face, à gauche. Cette situation peut déboucher sur une fracture nouvelle (comme celle de 1995, par exemple) entre la colère sociale et le débat politique. Or, pour des raisons différentes aucun des partis ne peut prétendre représenter une alternative. Sur quoi pourrait donc déboucher une telle crise institutionnelle, rarement égalée depuis le début de la 5e République ?

Cela renvoie aux responsabilités de celles et ceux qui avaient voulu un regroupement de type nouveau afin de préparer l’élection présidentielle. Des bilans en sont nécessaires, certes. Ils seront débattus...

Mais la vie n’attend pas et les luttes continuent. Il serait redoutable et condamnable que nous-mêmes, la coordination des collectifs, ou les autres composantes d’une force potentiellement immense, se contentent d’entériner l’éparpillement actuel tout en le déplorant.

Nous devons avancer, au contraire, en proposant cette une union des luttes, nécessaire au quotidien. Et, en même temps, sur le plan d’un regroupement d’une alternative politique, comment avancer ? Entre toutes les propositions de changement de la gauche, la paralysie menace : de Gauche avenir au nouveau parti anticapitaliste, il y a tellement de « formules » qu’on ne parvient plus à les compter. Pour ne pas laisser faire Sarkozy, prenons donc nos responsabilités. Deux débats s’imposent : celui sur le projet, celui sur l’avenir des forces politiques.

Sur le projet...

On ne peut rêver d’une unité solide sans un débat profond sur le projet de société. Devrions-nous nous résigner à prendre les revendications immédiates des mouvements sociaux pour un horizon historique à vingt ou trente ans ?

Laisserons-nous les cogérants du système apparaître comme la seule force, une alternance «  au centre », avec en plus le bal de deux ou trois personnalités de la gauche antilibérale ou radicale jouant chacune sa partition ?

Ouvrons le débat.

Nous sommes de celles et ceux qui jugeons d’actualité les exigences d’émancipation et de transformations du travail comme de tous les rapports sociaux.

Le droit à l’égalité et l’autonomie pour les femmes, les droits des enfants et aux migrations figurent comme principes élémentaires dans la Charte des droits humains de l’ONU en 1948. Le droit à l’emploi et à un revenu garanti était le quatrième pilier de la protection sociale prévu par le programme du Conseil national de la résistance (CNR) et est inscrit dans le Préambule de la Constitution ; comme le droit aux soins, à la culture, à l’intervention des salariés sur les objectifs et les formes du travail. Une demande de socialisation et de démocratie dans les décisions de production, comme la critique des modèles capitalistes de développement a été faite dès avant 1968, sur le plan social et écologique, « à l’Est » le printemps de Prague, par exemple) comme à l’Ouest...

En renouant ces fils que Sarkozy veut rompre, nous ne nous posons pas en « avant-garde ». Ce qui était possible hier l’est aujourd’hui encore plus...Des années 68 à l’Appel de Bamako de février 2005, une génération fait le lien avec l’autre : l’alter mondialisme des Forums sociaux mondiaux remet sur ses pieds un internationalisme militant qui ne voulait subir ni les multinationales ni l’ordre guerrier de Washington.

Nous avons à mettre en lumière, promouvoir, une autre vision du monde que celle qui a cours aujourd’hui : ils veulent que l’humanité soit divisée en guerre de civilisation, riches et pauvres, citoyens ordinaires et classes dangereuses.

Leur modernité est un retour en arrière : quand les rapports avec la nature peuvent être respectueux de son avenir et de l’écologie ils en font un gadget pour les spéculateurs ; quand la richesse peut permettre que toutes et tous, sortis de la misère et plus autonomes soient autant d’éléments de l’épanouissement de tous, ils ne parlent que de leur rentabilité et leurs profits.

A l’émancipation, les tenants de l’ordre établi opposent une hiérarchie « naturelle ».

Une grande partie des forces qui se disent de gauche ont abandonné les repères fondamentaux de la révolution française et des luttes des siècles suivants. Sous couvert d’adaptation à la société, il faut bien voir comment sont abandonnés les principes mêmes qui constituaient la gauche face à la droite.

De ce point de vue, mesurons bien le sens des options, encore récemment : le refus du référendum signifie l’abandon d’une idée de la souveraineté populaire et de la démocratie. Sachons défendre une alternative.

Oui, un autre monde est possible. Mais, répondent des dirigeants qui se disent «  réformistes », les maîtres du monde s’opposeront à cet espoir de changement. Certes, les « réformistes » le savent ; nous le savons et le voyons : depuis bien trente ans, qui a dicté des ordres aux gouvernements de la gauche de renoncement, tels que nous les avons vus ?

Débattre des objectifs, du projet, ne s’oppose pas à nos yeux à l’union des luttes pour le changement. Au contraire, car le possible est porté et changé par les luttes. Que ce soient les forces de la coordination des collectifs ou l’ensemble de celles et ceux que les échecs ont dispersés, nous sommes devant les mêmes questions.

Organisations syndicales ou associatives, courants et parties politiques, nos parcours et parfois nos cultures politiques sont différentes. Nous le savons et voulons ne pas laisser s’installer que la somme des mobilisations se suffira à elle-même face au pouvoir. Cette conscience vive de devoir contribuer à la mise en mouvement d’une alternative de masse nous encourage à transformer la diversité des situations et des objectifs en creuset pour que se constitue, dans la pratique et les débats publics, un projet transformateur commun, social et écologique...

En même temps, cela imposera vite une autre série de questions : faut-il que commence à se structurer une force politique qui corresponde à cette démarche nouvelle ? Mais aussi : quelle est la place du politique, de l’Etat, -quelle que soit se forme-, des institutions dans le changement ?

Sur les forces politiques...

Faut-il envisager un nouveau parti, et lequel ? Ou bien garder les anciens, et avec quels changements ? A de telles interrogations, pour les semaines, les mois voire les années qui viennent, il faut répondre de façon limpide. D’où, pour les débattre, ces trois pistes de réflexion.

-  1-Nous avons besoin, comme le montrent les résistances face aux urgences imposées par la droite, d’une sorte de mouvement « changer à gauche ». Il devrait regrouper toutes les forces sociales, politiques, citoyennes qui veulent l’efficacité de l’union dans les luttes (qu’on les appelle antilibérales, anticapitalistes, de transformation sociale et écologiques ou « révolutionnaires »...).

Son but le définit : résister au mieux et faire chuter Sarkozy au plus tôt. Cela le délimite aussi : il ne s’agit pas de remettre en cause les forces politiques qui en feront partie. A elles de discuter dans leurs rangs comme bon leur semble !

-  2-Nous devons donc affirmer l’accord autour des exigences et provoquer la constitution, localement, de tous les regroupements autour de celles-ci : sans prééminence des partis sur les associations, les militants syndicaux, les simples citoyens.

Dans le respect de l’autonomie des organisations syndicales et associatives, comme des responsabilités des élus qui participent aux discussions et aux activités. Les décisions, éclairées par tous les débats souhaitables, sont prises par la masse des structures et des adhérents coordonnés autour des engagements communs

-  3-En même temps, soyons lucides : les partis, les groupes, les courants ont toute leur place dans ce regroupement. L’exclure serait trancher a priori le débat sur le politique Parce que leur expérience ne peut être transmise et débattue s’ils sont appelés à se diluer, alors que leur participation à la construction d’une nouvelle culture, est précieuse.

Car l’urgence sociale et l’urgence écologique ne sont pas séparables mais supposent un dépassement et une nouvelle construction. Car le changement des rapports sociaux sexués reste indispensable à la transformation des rapports sociaux au travail. Car les objectifs de production dépendent de la socialisation des richesses et de la démocratisation des décisions sur les produits utiles socialement.

La gauche d’émancipation sera un dépassement des échecs passés, une nouvelle lecture des expériences passées si elle fait une nouvelle synthèse des aspirations et des expériences.

Pour réaliser cette sortie par le haut après les défaites, pour ne pas subir Sarkozy, il ne suffit pas d’options prises au sommet par un aréopage de dirigeants de courants et de partis Il ne suffit pas de constituer un cartel de forces politiques opposées aux politiques de gestion capitaliste qui agiraient sur la base d’un programme minimum de compromis, même si une telle volonté de convergence est aussi nécessaire. Il faut des engagements réciproques : les forces politiques ont toute liberté d’expression, évidemment, dans et hors le regroupement.

Cela ne tranche pas une question, qui nous semble très importante mais ne doit pas empêcher les initiatives de mise en mouvement unitaire.

Quel est l’outil qui peut transformer le projet en force matérielle capable d’imposer le changement et par quels moyens concrets : les mobilisations populaires peuvent elles imposer la transformation sociale à un Etat qui ne serait alors qu’une chambre d’enregistrement des mouvements sociétaux ? Peut-on en rester à l’Etat et ses institutions pilotes exclusifs de tout changement social ?

Quelles articulations entre les deux : un mouvement social qui se politise (et comment ?) et des politiques qui se « socialisent » (comment ?). Dans ces conditions, faut-il un nouveau parti et de quel type ? Cette question ne peut être évitée.

Si nous voulons prendre la voie de l’union des luttes pour changer à gauche, le débat sur la forme d’organisation aujourd’hui (parti, mouvement, réseaux...), doit être ouvert. Qu’est qu’aujourd’hui la représentation politique, quelle est sa crise et comment y répondre, peut elle être la même qu’au moment où apparaissent les formes de représentation politique que sont les partis ? Il est ouvert. Il est nécessaire. Il accompagnera pendant quelques temps les discussions politiques et les luttes ! Il ne se confond pas avec le rassemblement alternatif et populaire dont nous soulignons l’urgence.

Somme toute, la question se resserre : y aura-t-il assez de forces militantes et citoyennes pour proposer cette voie des Etats généraux et assez de forces politiques prêtes à y participer ? Certaines directions politiques n’y participeront pas ? Nous en avons eu l’expérience. Mais notre proposition s’adresse à elles comme à celles qui accepteront : il s’agit bien avant tout que s’expriment, se regroupent, débattent et agissent ensemble toutes les forces sociales qui veulent une alternative au pouvoir actuel.

Prendre des initiatives

Nous sommes vaccinés contre l’illusion des « appels » qui viennent des sommets. Même s’ils restent utiles pour que des signaux soient donnés, partout, de la diversité des sensibilités sociales et politiques engagées.

Visons à reprendre pour les mois et les années à venir ce que fut le regroupement de la campagne de 2005 pour le NON au référendum et pour une autre Europe. Ces réflexions sont diffusées afin que, localement, des contacts soient pris afin d’affirmer ensemble : « nous voulons changer à gauche ». Dans certains cas, les convergences politiques réalisées à l’occasion des municipales peuvent en être un ferment et un élément. Nous devrions chercher à préparer le plus possible d’initiatives en ce sens, dans des départements et des localités.

Cela exige des groupes de travail de la coordination que des initiatives soient présentées, que des propositions et des textes soient soumis au débat public.

Sans doute faudrait-il que soit travaillé un canevas de texte pour proposer, partout, dès après les municipales, le regroupement des forces pour des Etats généraux de la gauche.

Imaginons un petit instant la force d’appels à des réunions unitaires, indispensables, dans les départements et les villes : des milliers, des dizaines de milliers de militants et de citoyens auraient des chances de se faire entendre, de donner un caractère visible à des souhaites si souvent partagés. Seule la mise en mouvement de celles et ceux qui veulent changer à gauche créera les conditions pour changer l’espace public, et qu’aucune force ne reste sourde et muette.

Les collectifs unitaires sont là devant deux responsabilités inséparables selon nous : rassembler une dynamique unitaire pour faire face à la politique de Sarkozy ; et ouvrir les discussions au sujet de la consolidation de ce regroupement pour que s’affirme une alternative politique.

L’unité dans les luttes pour résister et élaborer une alternative ne peut attendre. La constitution du mouvement unitaire aura lieu grâce aux débats provoqués en le proposant. Si les mauvais coups imposent de construire des résistances et des alternatives, nous devons affirmer davantage la solidarité entre toutes les luttes. Agissons ensemble face à l’adversaire commun. Traçons la voie d’un mouvement de l’union des luttes pour gagner et changer.

Pour notre propre part, il est aussi de notre responsabilité de lever une méfiance en ouvrant les débats sur les questions des forces politiques, des partis, de l’opportunité ou pas d’un nouveau parti.

Nous proposons donc que des contacts soient pris avec toutes celles et ceux qui ont formulé des idées pour l’avenir des forces politiques de la gauche et nous réaliserons, sur une base pluraliste et ouvertes la ou les confrontations utiles : se diviser à cause des premières formulations serait tout à fait nuisible ; les prochaines semaines et mois de 2008 doivent servir à une clarification : vérifions les points d’accord, délimitons les véritables divergences.

Ne nous laissons pas diviser par des réponses déjà en circulation : ce sont autant de propositions pour que le débat qui concerne des millions de personnes ait lieu. Que ce soit nationalement ou dans divers départements, au cours de journées d’études, de débats publics, que les forces qui veulent débattre d’une gauche unitaire de transformation sociale et écologique se retrouvent ! Pour cette discussion, l’un des points forts de la coordination des collectifs unitaires devrait ressortir puisque, nous le savons par avance, les opinions et thèses seront différentes parmi nous. Un autre point fort existe, qui doit être mis à profit : la capacité à lancer ce débat tout autant nationalement que sous des formes décentralisées : que les discussions sur l’avenir des luttes et d’une force alternative ne soient confisquées par aucune force, ni par aucune pratique délégataire !

Dès les mesures annoncés par Sarkozy contre le droit à la santé et à la sécurité sociale, dès la loi contre le droit du travail, pour une autre politique et une autre Europe que celle dont Sarkozy va être le Président, n’attendons pas : agissons pour l’union des luttes. Et ouvrons les débats sur l’alternative à affirmer ensemble.

Etienne Adam, Fernanda Marrucchielli, Pierre Cours Salies
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