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La guerre civile en France ?

28 novembre 2007

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=539



De l’Etat de droit à l’Etat policier

Une fois de plus Sarkozy, censé être garant de la constitution, vient de violer le principe de séparation des pouvoirs en déclarant que les tireurs iront aux assises.

C’est à la justice de dire quelle est la qualification à retenir pour ces actes. Prétendre dicter ce qu’elle doit faire c’est changer les règles de l’Etat de droit.

Sarkozy est avocat de formation, ce genre de dérapage n’est pas le fruit du hasard (ou de l’inculture) : il s’agit bien d’une tentative pour bouleverser l’Etat de droit, les garanties données à tous les citoyens au profit d’une culture de l’efficacité dans la répression, efficacité dont on peut voir par ailleurs les limites avec la reprise en plus grave, d’un processus que nous avons déjà connu en 2005.

Ce n’est pas nouveau dans la « théorie politique implicite » de Sarkozy : à plusieures reprises l’ancien ministre de l’intérieur a franchi la ligne jaune au point d’amener les plus hauts magistrats à saisir le président de l’époque pour assurer le respect du droit.

Mais « l’œuvre législative de Sarkozy » montre une volonté permanente de faire jouer aux magistrats une fonction, non du respect du droit et des libertés publiques, mais de relai répressif de la politique d’ordre public qui était (et reste) la sienne.

Pire un certain nombre de texte comme la loi prévention de la délinquance, surtout dans les premiers projets, visaient à écarter les juges.

La pratique de Rachida Dati au ministère va dans le même sens : pratique de soumission des magistrats à l’ordre gouvernemental, textes de lois limitant les pouvoirs de magistrats. La logique de ce « tout répressif » a même conduit à la proposition de juger les malades mentaux irresponsables en violation des principes fondamentaux du droit : le conseil d’Etat vient d’ailleurs de rejeter ce projet de loi pour cela.

Nous assistons dans ce domaine à une véritable inflation législative qui n’a d’égal que celle que connaît le droit des étrangers, autre domaine fort de la thématique politique sarkozyste.

Ceci conduit à s’interroger sur le lien entre ces processus législatifs et le champ médiatique : cette avalanches de textes n’est pas justifiée par une efficacité technique, tous les spécialistes s’accorde à dire que les outils existant étaient suffisants pour répondre aux besoins d’ordre public.

Une stratégie de guerre civile froide

Par contre ces textes répondent au souci de développer une stratégie de la tension, de la peur, de la concurrence du tous contre tous qui fait la base du libéralisme-autoritaire et qui conduit à un renforcement considérable de l’exécutif.

Le pouvoir développe une stratégie de guerre civile froide à partir de la construction d’un imaginaire collectif par les médias.

Le vocabulaire, le traitement des sujets avec l’accent mis sur les conséquences pour les usagers des grèves des transports ont produit une conception de l’otage qui vise à opposer, en des termes dramatisés, les travailleurs en lutte aux autres catégories sociales.

Vis à vis des étudiants et des lycéens ce sont aussi des processus de disqualification qui sont à l’œuvre.

Il est vrai que cette propagande a l’habileté de laisser la parole à ceux que l’on attaque mais en situant leurs interventions dans le domaine de l’opinion quand les autres ( les « journalistes ») s’expriment dans le domaine des faits non contestables.

Cette stratégie de disqualification est manifeste aussi dans l’ordre législatif, et dans la pratique de la répression qui vise les classes sociales de façon totalement différenciée.

D’un côté, Sarkozy propose à la demande du MEDEF de dépénaliser les délits économiques et sociaux. La première mesure annoncée semble empreinte de bon sens, d’efficacité : il s’agit de dépénaliser les atteintes à l’égalité hommes femmes au profit de sanction administratives, mais quand on sait les marges de « négociations », l’ouverture de l’administration « aux difficultés patronales on peut douter de telles mesures qui font quand même que la ségrégation des femmes dans l’entreprise ne sera plus un délit.

Mais au bout de ce processus de dépénalisation ceux qui ont pillé Moulinex et ont conduit des milliers de salariées à la rue ne pourront plus être poursuivis : plus largement la gestion de l’entreprise échappe au droit devient une zone de non- droit.

Et c’est la même logique qui préside à la démolition du code du travail : les droit des personnes s’arrête aux portes de l’entreprise, les salariés est totalement réduit à un statut de marchandise. Le libre marché à ses raisons que le droit doit ignorer.

De l’autre côté, les dispositifs législatifs se développent pour le contrôle, la neutralisation des classes dangereuses.

Les notions de tolérance zéro ou de tout répressif ne concernent que ces domaines là et les citoyens ordinaires qui peuvent se trouver victimes d’une machine judiciaire sous la pression des médias.

Dans le cadre de la stratégie de tension, tout événement, fait divers à forte connotation émotionnelle, est instrumentalisée et en particulier les affaires de « délinquance sexuelle » (catégorie fourre-tout) ou concernant les enfants.

Toute cette agitation médiatique détruit petit à petit le travail scientifique, professionnel des dizaines d’années de recherches et de pratiques : nous avons dans ces domaines une véritable régression intellectuelle et éthique qui conduit à mettre en avant outre l’affectif, des théories très sujettes à caution comme le comportementalisme d’origine étasunienne.

La gauche de transformation sociale, les mouvements sociaux doivent investir des domaines sous peine de se trouver démunis à chaque fois : il existe aujourd’hui des réponses, des analyses, des résistances, venant de praticiens, de syndicats et d’associations, de juristes... qu’il faudrait mieux faire connaître. Je sais bien que dans nos milieux nous avons longtemps sous estimé les « libertés formelles » mais il est urgent de reprendre cela en compte et rapidement.

La bataille démocratique à mener passe aussi par la défense de ces libertés. Et une défense de classe, dans la mesure où les discours qui justifie ces atteintes est bien un discours de classe comme à la plus belle période du libéralisme sans fard dans la première moitié du XIXème siècle.

Les banlieues, la caricature de la fin de l’Etat de droit

Nous avons connu le tout répressif de 2005 avec la remise ne vigueur de la loi de guerre coloniale sur l’état d’urgence.

La gauche, y compris nous, l’avons dénoncé avec trop de faiblesse. Le recours à ce type de mesure s’appuie sur un racisme d’Etat qui considère que pour « ces gens là » le droit commun ne s’applique pas.

C’est la même démarche administrativo-politique qui conduisit le collabo Papon à décréter le couvre feu pour les "français musulmans", suivant la terminologie en cours à l’époque. Aujourd’hui la dimension ethnique est toujours présente même si elle n’est pas revendiquée ouvertement.

Mais la conception même de la loi prévention de la délinquance repose sur l’idée qu’il y a des catégories de personnes suspectes à priori sans qu’aucun délit n’ait été commis.

Cette prédisposition à la délinquance justifie le fichage des populations à risques, le contrôle administratif avec utilisation des mouchards- travailleurs sociaux...

Il faut quand même se souvenir que dans le rapport Bénisti Le rapport Benisti n’est pas un acte isolé qui prépara cette loi la dimension ethnique était bien présente avec la langue maternelle considérée comme un handicap à l’insertion (ce rapport à prétention scientifique est d’ailleurs un modèle de régression intellectuelle).

Conditionné par une telle idéologie qui considère principalement les habitants des quartiers difficiles comme autres, des habitant pas tout à fait comme les autres, il est difficile d’apporter des réponses : d’où l’absence totale de mesures depuis l’automne 2005 alors que tout le monde à l’époque affirmait l’urgence de faire quelque chose pour ces quartiers.

Les politiques de la ville, largement technocratiques et soumises à la logique économique dominante, ont largement renforcé la ségrégation, les moyens n’ont pas été mis en termes financier pour ce qui était alors reconnu par tous comme « la priorité ».

Il était d’ailleurs difficile pour des politiques qui ne font pas confiance aux habitants de ces quartiers de mettre en œuvre une politique qui réponde aux besoins des gens de ce quartiers.

Les efforts courageux de nombres d’associations, et même d’élus se sont heurtés au manque de moyens de la part d’un Etat qui ne comprenait pas ce qu’ils demandaient et ne voulait pas perdre le contrôle des politiques (des actions associatives oui mais sous la direction des pouvoirs publics, et surtout pas de contrôle citoyen de populations qui ont soutenu « les émeutiers »).

Alors que les rapports des RG par exemple mais aussi nombre d’études ont mis l’accent sur le retour possible de situations comme celles de 2005, les gouvernements n’en ont pas tenu compte. Quand tout le monde, y compris les syndicats de police qui ne sont pas satellisés par Sarkozy, mettait en évidence les dangers d’une politique de maintien de l’ordre basé sur une occupation de type militaire des quartiers et les provocations vis-à-vis de la population de certains policiers assurés de l’impunité, les gouvernement successifs ont poursuivi la même politique.

L’ordre règne dans les banlieues, ils se sont contentés de cela.

De l’Etat répressif à la guerre civile ?

Sarkozy a parait-il piqué une colère en apprenant à Pekin ce qui s’est passé à Villiers le Bel.

Les analystes autorisés laissent entendre que Fillon, l’inutile, et Alliot-Marie se seraient fait « remonter les bretelles » pour n’avoir pas su maintenir l’ordre.

Une telle réaction est affligeante, elle montre l’incompétence de Sarkozy : il est incapable de comprendre ce qui se passe. Incapable de comprendre qu’un degré avait été franchi quand des jeunes se permettent de tirer sur des policiers avec des armes à feu.

L’imbécile de droite moyen va se contenter de parler de délinquance sans voir que ces faits graves sont révélateurs d’une fracture dans notre société.

Il y a urgence à réaliser que ces faits sont largement compris dans la population de ces quartiers les premières réactions le montrent. Il faut se souvenir de 2005 et des mensonges du ministre de l’intérieur en 2005 il affirmait partout que les coupables des actes de violences urbaines étaient des délinquants récidivistes "bien connus des services de police" : les enquêtes et les procédures ont montré le contraire qu’il s’agissait de jeunes ordinaires.

Nous ne sommes pas dans le débat judiciaire où les uns chercheraient des circonstances atténuantes, nous sommes dans un débat public où chacun doit rechercher des causes pour y porter remèdes. Si malgré la répression extrêmement forte de 2005 de tels faits se reproduisent, peut on continuer à maintenir que la répression est la seule réponse possible.

S’enfermer dans cette réponse est irresponsable.

Beaucoup dans les quartiers considèrent qu’ils ne font plus partie de notre société qui produit une ségrégation à un niveau que nous ne connaissions plus. Il est nécessaire de les entendre et ne pas nier leur parole en les considérant comme des barbares.

Tous ceux qui participent à cette stigmatisation en portant un jugement de valeur sur des actes, feraient bien de lire et de méditer Victor Hugo A qui la faute ? et de réfléchir à l’aide qu’ils apportent à Sarkozy dans sa stratégie de division.

Pour beaucoup, les grévistes font la grève par plaisir, ça ne leur crée pas de difficultés financières professionnels, familiales ou autres. Nous savons que ce n’est pas le cas. Pourquoi cela serait-il différent pour les jeunes de banlieues aujourd’hui ?

Brûlent-ils vraiment par plaisir des écoles et des bibliothèques ? Quand des actes de ce type - et encore plus ceux contre des personnes- ne sont pas massivement rejetés par ceux qui habitent les quartiers c’est qu’ils traduisent, exprime ce que beaucoup ressentent.

Le plus facile aujourd’hui est d’appeler au durcissement répressif, et pourquoi pas comme le font certains de faire appel à l’armée.

Les paras sautent sur Villiers le Bel, voila de quoi réjouir tous ceux qui veulent une revanche sur les « bougnoules, les nègres et autres », de quoi réjouir tous les frustrés du bon temps des colonies qui érigent des monuments à la gloire des assassins de l‘OAS.

Mais ce n’est pas une solution parce que ça voudrait dire qu’il faut construire un mur entre les banlieues et nous pour assurer au bout du bout notre « sécurité » : c’est ce qui se fait déjà ailleurs ou de manière partielle autour des résidences pour très riches.

Mais ces murs c’est aussi la fin de la démocratie, c’est la fin d’une société qui ne peut plus assurer le vivre ensemble.

La généralisation de l’apartheid est cela que nous voulons ?

La réponse apportée aux gens des quartiers nous concerne tous, c’est notre avenir commun qui se joue

Des alternatives ?

Il est plus que temps d’inverser la logique et de reconnaître dans ces drames la responsabilité sociale que l’on veut éluder en s’en prenant à quelques uns.

Si l’on veut éviter de voir demain peut être des morts ne laissons pas les policiers seuls en première ligne défendre notre bien être.

Les réponses doivent aller dans le sens de la réponse à l’urgence sociale sur l’emploi, la formation, le logement et l’aménagement urbain. Elles passent par le retour sur les quartiers des services publics et des activités publiques.

L’urgence sociale sur les quartiers ou les banlieues nécessite d’abord un sursaut citoyen dans les quartiers : le milieu associatif local a déjà fait de multiples propositions à partir de cahiers de doléances qu’il faut reprendre, financer et mettre au cœur des priorités publiques.

Mais ce sursaut citoyen qui faisait le cœur des expressions des jeunes en 2005 et dans une certaine mesure aujourd’hui « être traité comme tout le monde, être traité comme des citoyens à part entière et non comme des chiens » ne peut se cristalliser et contrer les tendances aux violences destructrices que s’il est entendu, relayé dans toute la société.

Celle-ci doit montrer qu’elle ne veut pas, nous ne voulons pas, les enfermer des ghettos de sous - citoyens.

Cela signifie qu’il faut contraindre Sarkozy à abandonner le Karcher et ses attitudes de chef de bande, organiser le refus de la mise en place d’un régime libéral- autoritaire

Là comme sur d’autres domaines l’intervention citoyenne sous toutes ses formes, sera déterminante.

Etienne Adam
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