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La fin de la CFDT Basse Normandie

16 septembre 1999

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=33



Dans notre précédent numéro nous avons évoqué le changement de majorité à l’URI CFDT de Basse Normandie, en mettant l’accent sur les maneuvres qui ont permis à quelques bureaucrates de prendre le pouvoir à la grande satisfaction de Nicole Notat. Il nous semble utile de revenir dans le détail de ce qui s’est passé, pour en tirer quelques éléments d’analyse sur le mouvement social aujourd’hui.

Quelques nuages pour un congrès sans problème

A priori le congrès de l’URI n’aurait pas du poser problème. Certes le congrès confédéral du mois de décembre dernier avait vu une défaite nette du courant « Tous Ensemble » qui n’a pas été capable d’imposer un changement de cap à la dérive pro-libérale de la CFDT et qui, de plus, s’est trouvé minorisé et réduit au noyau dur de la gauche syndicale. Ceci a accru l’isolement de la tendance majoritaire en Basse Normandie, affaiblissant l’équipe dirigeante de la région : sa capacité de rassemblement des syndicats bas normands, son pouvoir d’attraction sur des syndicats hésitants s’en est trouvé réduite.

Malgré cela, la direction régionale avait largement sauvegardé le potentiel de ses syndicats. L’issue du congrès de Lille avait entraîné peu de départs et pas de changement de majorité dans les syndicats. La dissolution de l’association « Tous Ensemble » n’a ni fait l’unanimité, ni entraîné de crise grave. Du moins officiellement et dans les débats publics dans les syndicats. Par contre certains cadres syndicaux ont commencé à s’interroger sur le besoin d’un changement plus large que celui proposé par la commission exécutive sortante qui prévoyait un certain élargissement vers des militants moins opposés à la direction confédérale.

Cet affaiblissement politique pouvait être compensé par un bilan concret extrêmement favorable à l’équipe sortante et bien plus mauvais pour ses opposants.

Pour la première fois de son histoire la CFDT Basse Normandie était la première région CFDT aux élections des Comités d’Entreprise en 1996, justifiant les choix faits par l’équipe régionale en novembre et décembre 1995, lors du mouvement social dénoncé par Nicole Notat et la confédération CFDT. La progression était particulièrement nette dans les bastions labellisés « CFDT en lutte ! » comme RVI, alors que la CFDT ­PTT, pro-Notat, subissait un dur revers dans le Calvados. De tels résultas se sont vu confirmés par les élections prud’homales : la CFDT Basse Normandie devenait la première organisation, malgré un recul sur le Conseil de Cherbourg, fief des pro-confédéraux et de longue date opposés à la majorité de l’Union Régionale.

A mettre au positif du bilan de l’URI sortante, le travail de soutien aux syndicats sur la RTT (Réduction du temps de travail) : que ce soit en termes de réunions, de matériel et de moyens mis à la disposition des équipes syndicales, l’URI Basse Normandie a fait un travail très au-dessus de ce qu’on fait les URI de même taille ­ et même des plus grosses ! - dans la CFDT. On pourrait enfin ajouter le rôle moteur de l’URI dans les conflits des routiers, grand conflit mettant un grain de sable dans le modèle libéral d’organisation du travail.

De telles conditions auraient du gêner les pro-confédéraux dans leur développement et rallier au nom du légitimisme, qui a si bien réussi à n Nicole Notat au congrès de Lille, le centre. C’est exactement l’inverse qui s’est produit.

Des pro-Notat qui se renforcent, des syndicats qui doutent

Le renforcement des pro-Notat dans la région n’est pas généralisé. Il n’en est pas moins significatif de l’évolution de certains syndicats. Le congrès précèdent avait vu un élargissement de la base de la majorité régionale dans la métallurgie dont l’appareil régional était pourtant dominé par les pro-confédéraux au point de donner une égalité entre les deux blocs. En 3 ans, seul le syndicat métaux de Caen reste majoritairement acquis à la ligne régionale.

Les désaccords sur Moulinex ont permis à l’appareil de la métallurgie de regrouper autour de lui les cadres syndicaux des syndicats des métaux qui se sont senti attaqués et menacés par l’URI. En refusant l’accord signé (sauf par la CGT) chez Moulinex, l’URI refusait un compromis social d’entreprise au détriment des salariés de l’entreprise elle-même (horaires, pertes de salaire...), mais aussi des autres salariés de la région (image de collaboration de la CFDT) et des chômeurs (usage de l’allocation chômeurs âgés pour aider Moulinex à licencier). Le débat était devenu particulièrement aigu quand la CFDT Moulinex soutenue par la région CFDT Métaux avait accepté un accord pour lutter contre les arrêts de maladie qualifiés ³ de complaisance ² au nom de l’intérêt de l’entreprise et au mépris du droit.

Nous avions là les ingrédients d’un véritable débat sur le rôle des syndicats quand se renforce la précarité, et sur la place des interprofessions dans la luttes syndicale. Pourtant le vrai débat sur la nature du compromis que fait le syndicalisme est resté sur la touche, l’anti-CGTisme primaire et le ³ patriotisme professionnel ² ont suffit

Ce même patriotisme joint au repli sur le professionnel et les entreprises a donné les mêmes résultats dans le syndicat Santé de la manche. En réaction au débat mené par le syndicat du Calvados (refus d’une convention collective libérale dans les centres anti-cancéreux : perte de salaire pour les bas revenus, salaire au mérite..., avalisée par la Fédération nationale Santé CFDT), le syndicat de la Manche s’est rallié à la Fédération au nom du principe de ³ chacun faut ce qu’il veut dans son coin parce que charbonnier est maître chez lui et l’URI n’a pas à se mêler de ce que signent les syndicats ². On retrouve là un patriotisme professionnel qui élude le débat stratégique sur les orientations politiques du syndicalisme quand une part de plus en plus importante des salariés vit dans la précarité.

La CFDT au péril du libéral-syndicalisme

Dans les deux cas, la remise en cause de la dimension interprofessionnelle (qui repose sur la défense de l’ensemble des salariés, des chômeurs et des précaires) au profit d’un néocorporatisme d’entreprise ( en faveur des salariés installés), forme la base du choix politique des syndicats pro-confédéraux.

L’évolution libérale de la CFDT Notat trouve une base sociale dans l’appareil syndical, le congrès de Lille l’avait déjà montré. Celui de l’URI de Basse Normandie indique de plus que cette dérive n’est pas seulement liée à la main mise sur l’appareil confédéral maisest aussi le résultat sur le terrain de l’acceptation par des cadres syndicaux de la logique libérale. C’est le poids idéologique du libéralisme qui a conduit des organisations comme le syndicat Chimie-énergie à passer d’une position critique à une position pro-confédérale suivant ainsi l’évolution de sa fédération nationale qui fut pourtant, avant le congrès de Montpellier en 1995, active pour sanctionner Notat.

Mais, tout ceci ne permettait pas le changement de majorité qui a eu lieu dans la Région Basse-Normandie. Il a fallu le basculement de syndicats qui jusqu’alors se situaient dans la ligne régionale, basculement qu’on ne peut réduire à la « trahison » de tel ou tel. Pour un certain nombre de cadres syndicaux, il n’était plus possible de continuer d’être dans une opposition radicale et surtout sans doute d’agir nationalement pour structurer cette opposition. Il leur apparaît qu’on peut se contenter d’une « démocratie de sanction » à l’interne comme dans la vie politique : si on n’est pas content de la direction confédérale on vote contre le quitus mais sans se poser le problème de construire une alternative. Le vote sanction à lui seul est sensé obliger la direction à tenir compte de la base et, plus ponctuellement, chaque fois qu’on a quelque chose à reprocher, on le dit plus ou moins bruyamment. Il existe toujours dans la CFDT basse Normandie des syndicats en désaccords avec la ligne confédérale et celle de leur fédération professionnelle qui souhaitaient pourtant un changement dans le positionnement de l’URI : les 5 cadres syndicaux qui ont abandonné l’ancienne direction de l’URI au mois de mar offraient, dans le flou le plus complet mais avec un discours basiste qui leur convenait, une telle perspective à ces syndicats.

L’absence d’alternative au libéralisme syndical a encouragé l’idée qu’on ne pouvait faire autrement que tourner la page. Ce phénomène était renforcé par l’usure du syndicalisme interprofessionnel, terrain sur lequel la différence entre la gauche et les libéraux-syndicalistes était la plus claire. Si théoriquement ces syndicats se retrouvaient en accord avec les positions générales de l’URI, leur manque d’implication dans le fonctionnement de l’interprofessionnel régional et local rendait ce soutien abstrait. Dès lors ces syndicats n’étaient pas réellement partie prenante de ces débats stratégiques faute d’être partie prenante des implications concrètes de ces débats. Le soutien aux chômeurs, l’organisation des chômeurs recueillaient l’assentiment au nom de la solidarité ; mais trop loin du vécu des syndicats, ce n’était pas, pour les cadres syndicaux, un élément central de construction d’une alternative à la ligne confédérale.

Pourtant dans une brochure publiée en commun avec la Fédération Générale Transport Equipement, l’URI avait explicité les enjeux stratégiques des choix opérés par la confédération contre les chômeurs. Ce texte veanit à la suite du travail engagé depuis plusieurs années sur ce terrain. Rappelons que 2 responsables de l’URI furent signataires du manifeste pour la création d’AC ! , que l’URI a toujours soutenu cette organisation ainsi que le mouvement des chômeurs. Mais ces choix, s’ils ne sont ouvertement critiqués par personne, ne sont vraiment assumés que par un nombre restreint d’équipes syndicales. Le repli sur l’entreprise a été facilité par cette désaffection de la lutte au côté des chômeurs, notamment la désaffection des permanents des syndicats, qui délèguaient ce travail uniquement à l’interpro, ce qui limitait les capacités à résister au sein des entreprises à la précarisation du travail.

Le débat de fond, l’analyse de la dérive libérale de la confédération, a été escamoté alors qu’il était depuis longtemps un acquis de la CFDT Bassse-Normandie. La direction sortante n’a pas maintenu sa cohésion idéologique puisque 3 membres de la commission exécutive sortante se poseront en alternative de direction : ce qui au-delà des « trahisons » individuelles indique que la gauche syndicale avait perdu sa force d’attraction.

Le même phénomène ­ l’absence des perspectives alternatives liée à la crise de « Tous Ensemble » ­ n’a pas permis une mobilisation de ceux qui soutenaient l’URI. Pour quelques-uns uns d’entre eux, il n’y avait plus de perspective d’opposition dans la CFDT, pour d’autres la construction de l’opposition était du ressort des appareils centraux à qui on délègue totalement cette tâche. Quand ces syndicats réagiront, ce sera trop tard, pendant, voire même après le congrès.

L’ensemble de ces éléments (renforcement de la tendance pro-confédérale par la place prise par le professionnel, le basculement des indécis et la démobilisation des militants de la gauche syndicale par le manque de perspectives) ne peuvent expliquer à eux seuls ce qui s’est passé.

Petit complot et grandes maneuvres

Il a fallu un complot très discret entre un petit nombre de personnes qui a désorganisé la majorité sortante dès avant le congrès : plutôt que d’engager le débat de fond à visage découvert quelques membres et candidats (5) de la direction sortante ont préféré annoncer qu’ils changeaient de camp alors que la liste des candidatures à l’exécutif régional était close. Par cette simple maneuvre ils ont réussi à changer la majorité, par effet mécanique, même si au congrès les syndicats avaient voté majoritairement contre un tel changement. C’est probablement ce qui a entraîné le changement de majorité dès avant le congrès quand le conseil de l’URI a refusé le report du congrès. Dès ce moment s’est noué une alliance entre les pro-confédéraux et les partisans de l’ouverture aux confédéraux. Car personne n’a parlé d’un changement de ligne et la grande force des « comploteurs » a été de se présenter comme des tenants de la continuité qui voulaient seulement un changement de forme.

Il n’est pas étonnant qu’avec une telle présentation ils aient pu rallier les 2 à 3 syndicats qui ont permis le basculement de majorité. La validation de mandats de syndicats pro-confédéraux contre le règlement du congrès, l’absence de certains syndicats, le partage des mandats ont fait le reste. Le report du congrès a été repoussé, dans la foulée l’activité a été rejetée, une page a été tournée. Devant l’aspect bureaucratique et manipulateur de ce changement les candidats de la majorité sortante se sont retirés laissant entre eux les alliés, cette dernière décision précipitant le virage à droite de l’URI.

Au terme de ce congrès le paysage syndical en Bassse-Normandie se trouve considérablement modifié. Il est probable que la CFDT ne sera plus longtemps la première organisation syndicale de la région. Il est probable aussi que très vite un certain nombre de mouvements sociaux et d’associations perdront une base logistique. Il est probable enfin que la création d’une « Union régionale du groupe des 10 » dans laquelle on retrouve d’anciens responsables de la CFDT va constituer un pôle d’attraction en même temps qu’une source de division et de concurrence syndicale.

Mais par delà ces changements qui sont loin d’être négligeable ceci doit nous interroger sur les limites d’une alternative syndicale au libéralisme. Les initiatives de constitution d’une nouvelle organisation interprofessionnelle ne peuvent nous dispenser d’un débat plus large associant syndicalistes de toutes les organisations, militants des associations sur les différents secteurs et militants politiques des différents partis et groupes autour d la construction de cette alternative. Pour avoir pensé qu’on pouvait, en attendant des jours meilleurs, résister à l’offensive libérale la gauche syndicale CFDT vit aujourd’hui des jours difficiles. Mais est ce seulement le problème de la gauche CFDT ou l’indice des impasses de toute la gauche syndicale ?

Les enjeux sont de taille pour tous ceux qui veulent la transformation sociale.

Etienne Adam
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