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Face au PARE, un choix politique

10 septembre 2000

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=41



Certains ont fait des efforts considérables pour faire de la gestion des chômeurs leur propriété. Face à Martine Aubry et Laurent Fabius qui rappelaient des règles minimales de droit, ils ont été jusqu’à crier au "coup d’état social", refusant toute intervention de la puissance publique sur ce qu’ils considéraient comme leur domaine réservé. Il y a dans cette démarche une logique ultra libérale qui va jusqu’à nier les règles de ce qu’on appelait la démocratie formelle.

L’enjeu de cette initiative patronale se situe bien au delà de la réforme de l’UNEDIC, il s’agit là du premier acte d’une refondation sociale qui vise à bouleverser nos règles de droit, à réduire le code du travail, droit protecteur des salariés. Il s’agit dans le champ des « relations sociales » de substituer au droit le contrat de gré à gré sur le modËle anglo-saxon.

Chacun voit que derrière un problème « technique »- l’indemnisation des chômeurs - c’est un modèle de relations sociales qui change. Dans la mesure où celui-ci, modelé par plus d’un siècle de luttes sociales, s’appuyait sur une intervention étatique, sa modification n’est pas sans conséquences sur la conception mÍme de l’Etat. C’est bien sur, une remise en cause de l’Etat social, choisi par les citoyens de ce pays et c’est tout le système de protection sociale qui à terme est menacé ( on le voit déjà avec les fonds de pension). Mais au delà, cette logique met en cause les fondements mêmes du pacte rÈpublicain sur le rôle de l’Etat garant de l’égalité entre les citoyens, sur la primauté de la loi comme expression volonté générale sur les intérêts particuliers. En restreignant le domaine de la loi, en donnant à des particuliers (les patrons au sens large) la capacité d’adapter la loi à leur terrain, c’est bien cela qui se joue : il est des domaines qui doivent sortir du droit commun.

La réponse la plus fréquente est de dire que dans d’autres pays, le contractuel est beaucoup plus important, que ce sont pour autant des pays démocratiques, disposant de règles sociales protectrices. C’est vrai pour l’Allemagne Ça l’est beaucoup moins pour l’Italie où la réduction de la loi s’est accompagnée de reculs sociaux et que la CGIL connaît le même débat ( à ce sujet Bruno Trentin, qui est loin d’être un gauchiste, a condamné comme néo-corporatisme cette démarche ). Mais la réussite du contrat est beaucoup moins évidente en Grande Bretagne...

L’examen du PARE montre qu’il en est de même en France, c’est bien d’un recul social dont il s’agit, même d’un point de vue technique. Un seul exemple : la CFDT se glorifie de la suppression de la dégressivité pour parler d’un accord équilibré avec comme argumentation « nous avions créé la dégréssivité pour faire face aux difficultés financières de l’UNEDIC, nous avons obtenu sa suppression maintenant que la situation est bonne » On ne comprend pas dans ce cas pourquoi la CFDT a accepté des contreparties à cette suppression puisque la remise en ordre des comptes suffisait. De plus, faisons remarquer aux experts de la CFDT qui ne semblent pas l’avoir vu que la dégressivité est devenue inutile avec les sanctions imposées par le PARE...Pour une critique plus affinée du PARE renvoyons nos lecteurs aux documents des syndicats, des associations de chômeurs...etàý la lettre des ministres. Nous souhaitons faire porter cet article sur deux aspects : pourquoi la CFDT a-t-elle signé et pourquoi ne pas attendre tout d’une simple nÈgociation sociale.

Pourquoi la CFDT a signé ?

La question est d’importance, parce qu’elle donne une crédibilité salariale à la démarche patronale. S’il n’y avait pas eu de signature c’est toute la stratégie du MEDEF qui s’écroulait. Il faut voir comment le baron se sert de la CFDT dans cette affaire pour rendre crédible la démarche et donner l’impression qu’il s’agit d’un accord entre partenaires sociaux.

Au premier abord, on ne voit pas ce qui a pu pousser Nicole Notat, qui n’est ni une imbécile, ni une néophyte depuis le plan Juppé, à se mettre dans ce guêpier. Elle avait réussi depuis le congrès de Lille fin 1998 à museler son opposition qui aujourd’hui renaît. Elle avait réussi par sa réconciliation spectaculaire avec Bernard Thibault à sortir de son isolement syndical et aujourd’hui la voici au coté de la seule CFTC. Hormis des contreparties financières on ne voit pas ce que la CFDT a à gagner dans cette affaire, sa place de partenaire privilégiée du patronat est depuis longtemps assurée.

La CFDT est victime de ce qui fait le coeur même de la stratégie du groupe dirigeant syndicaliste- libéral : la centralisation technocratique de l’organisation, le ralliement à l’idéologie libérale et en particulier à l’anti-Étatisme

Comme d’autres organisations la CFDT a subi une crise du militantisme qui a conduit à une centralisation croissante des décisions et des débats. Caricature de cette dérive centraliste, les syndicats ont voté massivement pour refuser d’être consultés sur les grandes décisions et les grands accords. Cette centralisation se remarque aussi dans la concentration en très gros syndicats : 20 syndicats Chimie-Ènergie pour toute la France, apparition de syndicats de boite inter régionaux, signature d’accords donnant des moyens aux fédérations nationales, développement des appareils centraux et en particulier de celui de la confédération qui a lui seul comprend plusieurs centaines de salariés. Ce développement des appareils s’accompagne d’une professionnalisation assumée du syndicalisme : on trouve nombre de textes de la CFDT où cette professionnalisation est revendiquée et c’est en partie cette compétence technique face à la complexité .croissante des accords qui fait le succés de la CFDT auprès de certaines catégories de salariés ; la logique de cette conception conduit certaines fédérations à organiser des formations syndicales pour permettre aux permanents de valoriser au maximum leurs compétences dans le cadre de leur reconversion professionnelle. C’est aussi la même chose quand certaines fédérations revendiquent des progressions de carrière supérieures à la normale pour des permanents syndicaux. Ceci crée une autonomisation des cadres syndicaux par rapport à leur organisations de base qui va bien au delà d’une bureaucratisation ordinaire. Il n’y a guère que les structures d’opposition qui aient cherché à combattre cette dérive, et encore elles subissent aussi la délégation des pouvoirs au profit de leurs propres appareils. Une telle professionnalisation conduit à accorder une place de plus en plus importante à ces « grands professionnels » que sont les experts d’où une politique d’embauche ou de consultation d’énarques, de gens sortant de Science Po, d’économistes, etc...qui vient se substituer à l’élaboration collective dans les différentes structures. La direction confédérale y a gagné un pouvoir quasi absolu, une fois les leçons de 1995 tirées en termes de communication.

On comprend dès lors que les régions interprofessionnelles se réduisent à des annexes provinciales de la confédération : une tribune libre des 3 secrétaires généraux de l’Ouest parue dans Ouest-France il y a quelques mois montre bien combien l’autonomie de pensée de ces régions traditionnellement turbulentes avait totalement disparue

Dans ces conditions, on comprend que l’organisation des chômeurs ait été refusée dans la CFDT, on comprend que les problèmes des chômeurs soient devenus complétement étrangers à cette couche dirigeante. En toute bonne foi, certains pensent que le chômeur n’a qu’un droit c’est de retrouver du travail. Ils ne s’intéressent qu’au coté technique de la réinsertion des chômeurs et de l’équilibre financier de l’indemnisation. Dans le même temps, ils font confiance aux experts qui dans l’organisation s’occupent de ces questions que l’on ne peut pas maîtriser soi-même parce que c’est bien connu on ne peut s’occuper de tout. Ils sont devenus sourds à ce que disent les gens qui eux non plus ne maîtrisent pas tout et se laissent influencer par les critiques. Ils sont devenus aveugles aux dimensions politiques de l’attitude du MEDEF, parce qu’ils refusent « l’étatisme ».

Le ralliement idéologique de la CFDT au libéralisme en particulier par le biais de l’anti-étatisme explique que le groupe dirigeant de la CFDT se soit ainsi précipité à signer le PARE. Ce groupe n’a jamais vraiment digéré l’arrivée au pouvoir de la gauche plurielle avec son interventionnisme étatique dans le champ du social ; Le modèle de sa conception syndicale c’est la négociation collective à l’allemande, en oubliant d’ailleurs la place du rapport de force en Allemagne et que pour nombre de syndicalistes allemands le politique n’est pas devenu impuissant face à l’économique. Malgré les efforts du ministère Aubry pour se gagner les bonnes grâces de la CFDT (et du patronat), la grande crainte de la direction confédérale était de voir le MEDEF se retirer de la négociation laissant le politique reprendre du pouvoir sur le terrain social. Avec le risque de voir d’autres confédérations avoir une place plus importante que la CFDT. L’espoir de voir « l’exception française » se réduire risquait de disparaître. L’on pouvait retourner à une conception des relations partis syndicats qui aurait fait la part belle à la CGT, le concurrent direct. Dans ces conditions, la CFDT a mal apprécié les risques de voir le MEDEF abandonner le paritarisme, faisant capoter 20 ans de stratégie de recentrage de la CFDT. Il ont cru Seillière et Kessler quand il ont dit qu’il fallait signer pour sauver le paritarisme : c’est aussi leur propre stratégie qu’ils voulaient sauver. Ce n’est pas la première fois qu’ils disent mieux vaut un accord que de laisser la loi faire même s’il y a un prix à payer. Ils ont pensé que sur les chômeurs ce n’était pas grave puisque la majorité des militants des salariés se désintéressaient de ces questions. Et si la dimension politique de la stratégie du MEDEF leur échappe c’est parce que les experts de la CFDT ont intégré depuis longtemps le discours libéral sur la compétitivité, la crise, les nécessaires contreparties pour permettre aux entreprise de tourner. Si le PARE est un instrument entre les mains du patronat pour éviter les tensions inflationnistes c’est une bonne chose : le problème c’est qu’ils ne veulent pas voir que cette réductions signifie pour les chômeurs l’obligation d’accepter n’importe quel salaire quand le marché du travail permettrait de relancer les salaires. En fait, nous n’avons plus affaire à des gens qui fonctionnent encore comme dirigeants syndicaux, comme l’a fait la direction de la CGC en refusant de signer l’accord, mais à un groupe qui fait passer ses partis pris idéologiques avant l’intérêt de ses mandants (ou du moins d’une grande partie d’entre eux.

Ceci nous conforte à penser que les droits des chômeurs c’est aujourd’hui une question politique centrale sur le partage des richesses.

Ne pas se contenter d’une négociation sociale

L’analyse que nous venons de faire de la position d la CFDT montre en partie que la question n’est pas technique et qu’elle intéresse tous les citoyens en même temps que tous les salariés et les chômeurs. La question qui est posée c’est ce que nous voulons faire collectivement pour ceux qui font les frais de la modernisation et s’il est tolérable qu’il y ai dans notre société des gens installés dans un sous-statut. Est il tolérable que cette relégation soit le prix à payer pour que les grandes fortunes et le capitalisme financier puisse prospÈrer ?

Apporter des réponses à ces questions n’est pas technique sauf si on se laisse prendre au discours de la dictature incontournable des marchés et de l’impuissance politique.

Nous avons besoin aujourd’hui d’un mouvement social sur ces questions qui fasse de l’indemnisation du chômage le débat de société qu’il doit être. Il ne serait pas responsable de laisser les partenaires sociaux même avec l’Etat en plus, s’occuper seuls de ces problèmes. C’est un vrai débat citoyen sur le partage des fruits de la croissance qui doit se mener. Il faut débattre collectivement des moyens d’en finir avec le chômage (d’ailleurs Jospin nous a promis le plein emploi pour bientôt !) et la précarité.

Et dans ce cadre là, l’indemnisation du chômage devient un outil essentiel comme le montre le rapport Bélorgey par exemple. Et l’indemnisation du chômage comprend l’UNEDIC, l’assurance chômage proprement dite mais aussi des dispositifs publics dans lesquels il ne faut pas oublier le RMI et même l’AAH (allocation adulte handicapé). Et puis retrouver du travail aux chômeurs passe aussi par les moyens et l’orientation qu’on donne aux politiques publiques pour l’emploi (la mission de l’ANPE, la politique d’emplois publics ...). On le voit réclamer comme le fait l’appel du 7 août réclamer des Etats Généraux du chômage ce n’est pas déposséder le syndicalisme de ses prérogatives, c’est faire la démonstration qu’il est possible de renégocier un accord pour les chômeurs et que si crise des relations sociales il y a la responsabilité en revient au MEDEF. Les syndicalistes de toutes les organisations qui ont signé cet appel ne s’y sont pas trompés. C’est maintenant à tous le citoyens de leur renvoyer l’ascenceur en soutenant cette proposition .

Pour sa part l’ANPAG, convaincue qu’il faut réinventer de nouveaux rapports entre mouvement social, mouvement sociaux et politique y apportera sa contribution

Etienne Adam
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