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Libéralisme-sécuritaire et travail social

29 septembre 2009

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=822



Intervention le 20 juin à la réunion de l’appel des appels de Caen au nom du comité de veille du social

Une petite remarque préalable.

Quelqu’un disait tout à l’heure : « on parle beaucoup de libéralisme et pourquoi pas de totalitarisme  » Je veut rappeler qu’un 11 septembre peut en cacher un autre, celui de 2001 ce 11 septembre 1973 avec le putsch de Pinochet au Chili.

C’est sous ce régime que les premières politiques libérales, les recettes des Chicago Boys, on été appliquées. Il est bon de se souvenir du lien entre ce régime violemment répressif et le libéralisme.

Mons intervention portera largement sur le sécuritaire comme composante essentielle du libéralisme que nous devrions appeler libéralisme-sécuritaire.

Droits des usagers ou chasse aux pauvres

Le comité de veille existe depuis 4 ans.

Il s’est donné pour tâche d’analyser, de surveiller, l’évolution du travail social . Une veille professionnelle et citoyenne.

Lors d’une réunion il est apparu que partout dans le travail social se mettait en place insidieusement une « nouvelles formes » du travail social, souvent cachées derrière une rationalisation «  purement technique  »où la logique de l’efficacité l’emporte sur l’éthique professionnelle.

Pourtant nombre de lois récentes sont prises au nom des droits des usagers : de la loi de janvier 2002 à celle des tutelles de 2007 le souci de transparence vis à vis des usagers est le maitre mot.

Bien sûr nous ne pouvons que partager ce souci, que l’usager soit sujet de sa propre vie.

Mais la réalité de la mise en œuvre de ces nouveaux dispositifs est bien à l’inverse de ces grands principes que nous partageons. Derrière le contrôle démocratique des actions menées,on sent pointer une instrumentalisation des travailleurs sociaux par des secteurs de l’administration sans que ces politiques publiques aient fait l’objet d’un débat public démocratique sur les choix dans ce domaine.

On sent monter un contrôle accru des populations les plus pauvres, les plus précarisées, les plus marginalisées que l’idéologie sécuritaire les perçoit appréhende les nouvelles classes dangereuses potentielles.

"Prévention de la délinquance" ou le sécuritaire à l’oeuvre

Je veux rappeler le rapport Benisti : il y avait dans ce rapport un coté comique, ridicule dans les formulations de ce rapport et dans sa prétention scientifique ( le schéma de l’écart par rapport au «  bon chemin » est un modèle de bêtise de droite satisfaite d’elle même) [1].

Mais il a donné lieu à décisions Le rapport Benisti n’est pas un acte isolé.

La loi « prévention de la délinquance » visait à transformer les travailleurs sociaux en indics de police, indics particulièrement intéressants puisqu’ils ont accès par leurs fonctions à l’intimité des personnes « à risques ».

Nous assistions au glissement de la notion de prévention à celle de prévention de la délinquance.

Pendant des années, et pour nous en particulier dans notre culture professionnelle, la prévention s’opposait à la répression. Elle visait même à prévenir la répression et à lui substituer des mesures d’assistance éducative : c’était par exemple l’esprit des ordonnances de 1945 sur la protection de l’enfance.

Vous remarquerez que toute la droite libérale veut liquider ce qui s’est fait à la Libération.

Prévenir la délinquance c’est sanctionner avant que les délinquants potentiels puissent agir, c’est la même démarche idéologique que la guerre préventive de Bush : il s’agit de lutter contre un ennemi peu identifié : ce sont des populations entières qui sont considérées comme « classes dangereuses » et doivent être surveillées et contrôlées. Et c’est là que l’on trouve un second glissement : la lutte préventive contre les délinquants potentiels ne relève plus de la justice, mais de la police de maintien de l’ordre public, en dehors du judiciaire, à la seule disposition des autorités administratives. C’est le maire qui a été retenu pour exercer cette autorité parce ce niveau apparait comme le lieu d’une simple gestion technique : cette technicité masque mieux le glissement vers une conception autoritaire du pouvoir politique .

Le vote de la loi dans une version modifiée n’a pas remis en cause cette logique de soumission du social au sécuritaire, la mobilisation très diversifiée et éclatée (les collectifs de travailleurs sociaux refusant la délation n’ont jamais rejoint l’appel « non au zéro de conduite » ou les résistances dans le secteur psychiatrique) a néanmoins contraint à des reculs non négligeables.

La négociation sociale au service du sécuritaire

Aujourd’hui le comité de veille apporte sa contribution à la lutte contre la démolition par le patronat du secteur de la convention collective de 66.

Pour nous, derrière la perte des acquis sociaux, c’est le statut professionnel, la conception même d’un travail social au service des personnes en difficultés, qui sont mis en cause. C’est un débat éminemment politique puisqu’il touche à la manière dont une société traite celles et ceux que le fonctionnement de cette société laisse de côté ou exclue.

On ne peut qu’être frappé par le changement total entre les 2 CC.

Comment expliquer un tel changement ?

Par la crise du social, celle de l’Etat social qui se voit miné chaque jour davantage par l’Etat pénal : pour s’occuper des pauvres, surtout quand ils deviennent de plus en plus nombreux et de plus en plus inquiétants, rien ne vaut la matraque et la prison ! Aujourd’hui avec le délitement de l’Etat Social, le travail social classique ne fonctionne plus, il subi de plus en plus les nécessités de l’ordre public.

Alors, les employeurs organisent une véritable déqualification, disqualification des salariés du secteur .

Le savoir faire professionnel est de moins en moins reconnu : qualification sanctionnée par un diplôme, autonomie dans le travail, expérience professionnelle, tout cela n’a plus cours. Les travailleurs sociaux doivent être relégués à un rôle d’exécutants d’un travail rationalisé et défini d’en haut : certains rêvent d’une organisation scientifique du travail social, d’un nouveau taylorisme où les fonctions de conception du travail seraient radicalement séparées de celles d’exécution.

Bien entendu ces changements sont conduits par des gestionnaires qui souhaitent importer dans notre secteur des modes de gestion des entreprises privées en faisant fi de ce qui constituait la culture professionnelle et les modes de fonctionnement des établissements et services du social.

Ce qui est visé, avec cette nouvelle CC, c’est bien sûr la rentabilisation financière la baisse des coûts. Mais c’est aussi pour les personnels de ce secteur un véritable changement de statut, la perte d’une identité professionnelle et la transformation en « OS du social ».

Nous sommes face à une tentative de transformation régressive des métiers pour avoir des salariés soumis. Comme les enseignants chercheurs, c’est notre autonomie par rapport à une hiérarchie et aux pouvoirs qui est mise en question : c’est pourquoi on peut dire sans exagérer qu’il s’agit bien d’obtenir une soumission des travailleurs sociaux pour accomplir les nouvelles tâches que l’Etat sécuritaire leur assigne.

Les "outils juridiques" de la soumission

Pour cela la « nouvelle convention »met en œuvre des outils juridiques pour obtenir et perpétuer cette soumission : insécurité professionnelle et individualisation des droits.

L’insécurité : au delà des nombreux précaires employés dans notre secteur et qui ont probablement servi de cobayes, c’est l’ensemble des professionnels qui seront précarisés, Le licenciement est considérablement facilité .

Une disposition,discrètement inscrite en début du Chapitre Exécution du contrat de travail, dit : « Le salarié exerce ses fonctions en conformité avec le projet d’association et le projet d’établissement..  »

Mais qui juge que le salarié n’est pas conforme, qu’est ce que la conformité ? Tout cela favorise le fait du prince et rend quasiment impossible le recours aux juridictions prudhommales.

La fin des garanties collectives : ce texte ouvre la voie aux dérogations entreprise par entreprise au risque de dumping social. Tout ceci est bien sûr source d’insécurité collective. Mais le texte va encore plus loin en individualisant le contrat de travail pour obtenir un « consentement des salariés » fondé sur la fragilité des accords individuels.

Ce projet, condensé d’une approche « managériale moderne », est réactionnaire au sens fort du terme non seulement parce qu’il est un retour en arrière pour les salariés mais aussi parce qu’il est construit contre les usagers, pour servir une certaine politique de « nuit sécuritaire ». [2]

Contre la peur

Le comité de veille voit avec "l’appel des appel" se construire un front de résistance et de réponse aux dégâts de la contre-révolution dont Sarkozy est le nom.

Nous avons une lutte en commun à mener ( avec par exemple les chercheurs qui contestent à la « criminologie sécuritaire » la qualité de discipline scientifique) contre les «  marchands de soupe sécuritaire », les Bauer et consorts, qui dirigent les « instituts sur la sécurité » où les groupes font leur beurre sur le sécuritaire, domaine ouvert à la privatisation, à la marchandisation et aux profits : c’est une dimension essentielle qu’il ne faut pas laisser de côté.

L’action du comité de veille se situe bien dans cette perspective de lutte idéologique contre cette véritable régression intellectuelle qui nie des années de pratique et d’élaborations théoriques.

Nous souhaitons continuer avec d’autres dans le cadre de l’appel des appels à mener cette veille et à dénoncer « cette crise de la professionalité  » dans le travail social que met en évidence un rapport de l’ONPES et de faire de cette dénonciation une outil de lutte et d’émancipation pour professionnels et usagers.

Quand on dit que Sarkozy fait une "guerre contre l’intelligence" ce n’est pas seulement parce qu’il est peu cultivé (La princesse de Clèves et encore récemment l’oubli des anglais dans le débarquement...) mais surtout parce que sa haine de la culture traduit un choix politique : le refus d’une culture émancipatrice.

Ceux qui ont le pouvoir veulent éviter que le plus grand nombre ait l’intelligence de ce monde : rendre ce monde intelligible au plus grand nombre, c’est ruiner le pouvoir de ceux qui dominent.

Nous ne pouvons nous contenter des dénonciations nécessaires.

Résister c’est créer, refuser la politique de la peur c’est construire une autre vision de la société et du lien social.

La désobéissance civique, dont l’engagement à ne pas appliquer la loi prévention de la délinquance était un premier exemple, ne peut se fonder que sur une autre conception de l’autonomie professionnelle, de la pratique professionnelle mais aussi des rapports aux pouvoirs, de la démocratie.

Etienne Adam


[1] Rappelons que le député de bayeux désormais chef de l’UMP départementale a fait partie de le commission Bénisti et qu’il n’a jamais désavoué les écrits de son président

[2] on trouvera une nalyse plus détaillée des ces aspects juridiques sur La négociation sociale au service du sécuritaire et en particulier dans le 4 pages en pièce jointe

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