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Nous ne sommes pas tous d’accord. Et alors ?
suivi de "Réponse à François Labroille"

11 février 2007

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=441

La manière dont la candidature de José Bové a resurgi au mois de Janvier met-elle en cause notre stratégie antérieure ?

Deux points de vue.



Nous ne sommes pas tous d’accord. Et alors ?

La volonté qui s’exprime par le net et dans les réunions des collectifs de ne pas se résigner à l’éclatement annoncé des candidatures antilibérales est très positive et confirme la promesse novatrice que constitue l’énorme travail développé depuis la campagne du non de gauche.

En même temps, je continue à déplorer le déficit de discussion collective qu’induit la démocratie électronique qui transforme en « mal pensant » toute expression de réserves ou d’objections à la tactique centrée sur l’appel à la candidature de José Bové. Et pourtant, les réunions qui se tiennent, que ce soit celles auxquelles j’ai participé dans le collectif du 18 ème à Paris et l’inter collectifs parisien, ou celles dont j’ai lu le compte-rendu (celle des bouches du Rhône par exemple) montrent qu’il y a beaucoup plus de matière à interrogation que ce qui ressort des engouements plus unilatéraux sur les listes de diffusion.

Les argumentaires sont connus mais peu confrontés et les questions difficiles sont peu ou pas assez discutées.

Je fais part de mon malaise sur les points suivants d’importance inégale :

1. Comment peut-on passer d’une méthode exigeante de construction de consensus à celle du forcing arithmétique ? Cela a été déjà excellemment dit : le forcing en faveur de MGB peut-il en justifier un autre, serait-ce pour JB ?

2. Comment peut-on passer, sans changer de conception, de l’affirmation pendant des mois que « quand on combat la présidentialisation de la vie politique l’enjeu est celui d’un simple nom à mettre sur un bulletin de vote » à l’affirmation que « le retour de José Bové est le seul à pouvoir changer la donne ? » Est-ce une façon de construire une nouvelle approche de l’action politique ? je vois bien que l’objection commence à être contournée par l’appel à la reconstitution d’un collectif autour de JB mais est-ce avec le consentement de tous (tes) les intéressé-e-s ou bien est-ce une forme là aussi de forcing ?

3. Comment peut-on passer du projet commun initial d’une candidature unitaire antilibérale à celui d’une candidature de plus sans changer de projet ? Soit, comme le disent certains intervenants, l’objectif est de mettre sous pression les diviseurs MG B et O B en pensant que cette situation est réversible et dans ce cas là, il faut dire que la condition sine qua non pour le maintien de JB sera le retrait de MG B et OB - soit l’objectif est de pousser la candidature jusqu’au bout en considérant qu’elle permet d’exister dans la présidentielle et de réellement préparer la suite. Chacun des deux scénarios pose des problèmes redoutables mais il ne s’agit pas du tout de la même stratégie. Qui n’est pas gêné par cette énorme ambiguïté ?

4. Comment prévenir le risque qu’une candidature simultanée des 3 B n’amplifie dangereusement l’effet vote utile en faveur de Ségolène Royal ? Si l’objectif est de faire payer le plus cher possible aux directions de la LCR et de du PCF leurs responsabilités dans l’échec, ce scénario est défendable mais est ce la préparation de l’avenir ou bien la tentation du règlement de comptes qui l’emporte ?

5. Comment éviter que le forcing sur le scénario JB ne divise dangereusement les collectifs eux-mêmes et leurs composantes ? Les éléments dont je dispose m’incitent à penser que les divisions sont fortes et traversent toutes les sensibilités. On peut considérer que la dynamique des chiffres des signatures dans et hors collectifs va balayer les objections. Certes ! mais peut-on faire une croix sur certaines des sensibilités au sein des « mino » de la LCR, des communistes unitaires, des Alternatifs, de Mars, Alter ecolos ou d’ailleurs qui disent qu’elles ne suivront pas un scénario JB ?

Le principal argument en faveur de ce scénario est de répondre à l’amertume et à l’immense frustration que laisse l’échec de décembre en permettant d’imaginer la candidature possible. Mais je crains qu’il produise aussi un immense déception pour la simple raison que je ne vois pas comment les directions de la LCR et du PCF renonceraient.

Pour la LCR, ce serait sous la contrainte de l’absence des 500 signatures et alors la configuration d’une candidature « d’opportunité » de JB avec le soutien de la LCR changerait le sens da la candidature elle-même. Ce serait sans problème pour certains mais ce serait l’inverse pour d’autres. J’ajoute que la barre des 500 signatures va être un enjeu des tactiques PS et UMP à ne pas négliger et qu’il est impossible de spéculer sur une hypothèse unique.

Pour ce qui est du PCF, je veux bien entendre que tout peut bouger mais là, c’est une affaire de conviction et d’intuition. Je crois ce scénario très hautement improbable.

Cela veut dire que dans tous les cas de figure, il y aura concurrence avec MG B. Et alors ? C’est peut-être un passage obligé. Si ça aidait pour la suite, je me laisserais convaincre mais je ne suis pas un adepte du cannibalisme en politique.

Pour que le retrait du PCF et de la LCR soit un réel acte politique, il faudrait que ce soit le cœur du martèlement de la campagne autour de JB. Mais là, c’est une autre objection car cela déplacerait le centre de gravité de la campagne en devant se situer forcément sur le terrain de la rivalité avec le PCF et la LCR. Et là, je ne vois pas en quoi ce serait porteur d’avenir puisque c’est précisément plus de 30 ans de cette histoire stérile que nous voulions dépasser. Le risque serait d’être enfermés dans cette seule partition et inaudibles sur les questions de fond dans l’affrontement majeur avec le FN, la droite et les dérives de SR. Même si cela ne fait rêver personne, d’autres formes d’intervention dans la campagne seraient moins improductives.

Au final, je souhaite comme tout le monde que la réunion nationale des 20 et 21 janvier consolide les collectifs et leur structuration, qu’elle confirme la perspective de travailler à un nouvel espace politique faisant converger les forces et sensibilités de la gauche transformatrice, ce qui inclut évidemment des fractions très significatives de la LCR et du PCF.

Mais je crains que la résolution de la frustration immédiate de l’absence de candidature à la présidentielle ne conduise à une frustration politique beaucoup plus durable si l’intervention dans la Présidentielle se battit sur des leurres. Il en faudra beaucoup pour me convaincre que je me trompe lourdement. J’espère seulement que l’on pourra mettre en perspective l’ensemble des échéances et ne pas dilapider l’unité des collectifs.

Il faudra à tout le moins ne pas céder à la tentation du despotisme démocratique où la loi majoritaire écrase les pensées dissidentes. Défendre l’espoir, c’est aussi accepter d’avoir cette humilité là..

François Labroille (A titre strictement personnel)

Alternative Citoyenne Ile de France

Réponse à François Labroille

Cher François,

Tout d’abord je me retrouve dans ta démarche et ton souci de créer les conditions d’une synthèse dynamique entre des composantes aujourd’hui divisées.

Pourtant je ne suis pas d’accord avec toi sur le fond.

Je ne reviendrait pas sur la démocratie informatique, c’est un reproche qui me semble mal fondé. Si une partie de l’élaboration de cet appel s’est fait par mels c’est parce que il n’existait pas d’autre espace de débat : en lieu et place des débats physiques du CIUN, c’est un échange entre membres de collectifs qui se sont vu et ont déjà échangé ensemble. Est ce condamnable ?

Quant au mode pétitionnaire, il n’est qu’une certaine façon de voter pour un texte, de construire une légitimité, il ne s’agit pas de faire pression sur qui que ce soit mais d’avancer une proposition.

Je ne peux pas retenir l’expression forcing, surtout en l’assimilant à ce qu’a fait le PCF. Il s’agit, et tu le dis aussi , de l’irruption citoyenne des militants de base, des sans cartes, des sans structures dans le débat des collectifs au moment où sensibilités et CIUN semblaient atones et aphones. Ce n’est pas un jugement de valeur sur cet outil et les personnes, une condamnation, mais plutôt le symptôme de la fin d’une phase de notre combat.

Si, comme tu l’affirmes, les sensibilités que tu cites sont en opposition avec cette démarche , qu’elles le disent, qu’elles argumentent.

Je pense que personne ne refuserait le débat, mais les seuls textes que nous ayons, ceux de Debons et Salesse se contentent de perspectives très générales, trop générales.

Pourtant, eux comme toi, ont raison de poser la question des contradictions entre immédiat et durable. Seulement le durable paraît se réduire à la poursuite de ce qui a été fait dans la logique antérieure des collectifs du non de gauche à la réunion de l’Ile St Denis. Or cette stratégie de construction patiente qu’Yves défend (qui a quand même conduit à l’inaction sur le champ politique aux lendemains du 29 mai) est aujourd’hui rendue caduque par son succès (les collectifs qui durent) et ses limites (et celles de l’évolution du PCF). Il est nécessaire de s’adapter à ce qui est un changement de conjoncture politique en un mois. il faut prendre en compte ces changements sans laisser entendre à priori qu’il y a changement de stratégie.

Le débat s’est déplacé sur une question « nouvelle » parce qu’elle aurait du être posée bien avant. Depuis septembre nous n’avons pas affronter une question difficile, peut être parce qu’elle divisait : ambition et stratégie ne réglait pas la fonction de la campagne présidentielle,le type de candidature en fonction de ces choix... je regrette de ne pas l’avoir dit assez fort.

Aujourd’hui la question est : face à l’impasse que nous ont imposé la LCR d’abord, et le PCF ensuite, fallait il rester sans réagir ou prendre une initiative pour les présidentielles ?

Je ne crois pas que le score des présidentielles surdétermine complètement les législatives, au contraire je pense toujours qu’un espace pourrait s’ouvrir au soir des présidentielles pour un rééquilibrage à gauche. Théoriquement nous pourrions aller directement aux législatives.Mais la question n’est plus là : au vu de la mobilisation autour de la pétition, peut on sérieusement penser que l’on peut dire à ceux qui veulent agir de faire une campagne sans candidat, c’est à dire ne pas être pleinement dans le débat public ?

Tu crains que la candidature des 3 B n’amplifie l’effet de vote utile, mais c’est déjà le cas avec les 2 B. Je ne vois pas d’autres solutions aujourd’hui pour contrer cet effet dangereux que de réintroduire la nécessité unitaire non par des discours mais par un acte et c’est l’un des aspects de l’appel.

Par contre tu as raison de souligner le danger d’un changement de stratégie de l’unitaire à l’identitaire.Tes craintes s’appuient sur deux arguments qu’il faut discuter.

Le premier : le PCF ne bougera plus.Ce que nous avons subi de la part du PCF, l’incapacité de sa direction à voir l’intérêt même du Parti dans une dynamique unitaire, ses comportements et l’engagement même de la campagne MGB, tout semble aller dans ce sens.

Pourtant faut il douter à priori des modifications intervenues dans le champ politique et penser à priori que nous sommes condamnés à un score groupusculaire ? Nous sommes tous persuadés que MGB ne peut, et de loin, représenter celles et ceux du non de gauche et des mobilisations des mouvements sociaux et altermondialistes. L’échec de la direction du PCF va devenir patent : il va être visible que le PC n’a pas de capacité de rassembler, la satellisation de la gauche antilibérale a échoué. Pire encore cette autre gauche sortie de nulle part fera mieux. Cette minoration du PC lui ferme l’espace quel que soit son choix ultérieur : retour vers le PS (mais avec quelles marges de négociation ?) ou vers le camp antilibéral (mais dans quelles conditions ?). Dans les semaines qui suivent les chiffres vont parler : militants et responsables du PC auront sous les yeux , non plus des prédictions des Cassandres refondateurs mais des faits qui, comme disait l’autre, sont têtus : face à la crainte du déclin, les positions peuvent changer. Si le PCF est aussi fermé, incapable d’une réflexion politique minimale, qu’avons nous été faire avec lui ?

Le second argument est à mon sens beaucoup plus fondamental et induit plus de danger pour notre démarche : c’est le risque de centrer la campagne sur la concurrence entre nous le PC et la LCR et d’être « inaudible sur les questions de fond » et dans le champ politique global. Ce serait contradictoire avec notre volonté de changer le champ politique, de mener une démarche de gauche de gauche à vocation majoritaire et pas seulement protestataire.

Ce risque repose sur une hypothèse, un a-priori : le volume d’électeurs disponibles ne varie pas et il ne peut se produire qu’une répartition entre les diverses forces qui se partagent le même segment d’électorat.

Là encore c’est oublier les transformations du champ politique : trois extensions de l’électorat sont possibles dans le cas d’une candidature Bové qui ne me semble pas dans le cadre de l’électorat classique du PC et de l’extrême gauche. Le courant militant large des mouvements altermondialistes qui ne se reconnaissent pas dans MGB et qui n’ont pas voté antérieurement (version un peu libertaire) ou pour des formations de la gauche classique (par raison ou par habitude : une partie de l’électorat PS qui rejette le Royalisme). Les courants sensibilisés aux problèmes d’environnement, développés par « l’effet Hulot » et qui ne se retrouvent ni dans »l’écologisme intégriste ni dans la subordination des Verts au PS. Enfin un courant beaucoup plus flou qui recherche une autre forme d’expression politique que les partis « installés » et qui avaient perdu l’espoir de l’action politique et qui l’ont retrouvé à diverses occasion des luttes sociales et politiques.

De notre capacité commune à mobiliser ces courants diffus, éclatés dépend le succès d’une candidature unitaire et je crois que c’est l’occasion ou jamais car tous manifestent une certaine usure que traduit une impatience politique. N’avons nous pas sous estimé ce désir de « faut faire quelque chose » ?

Tout ceci m’incite à penser que nous avons affaire à un rebondissement inattendu du processus qui semblait avoir échoué. De notre capacité à répondre à la situation ainsi créée dépend largement l’avenir. Saurons nous amalgamer les diverses composantes dans un cadre qui leur permette d’agir ensemble dans leur diversité, ceux des collectifs et ceux d’après ? ce n’est pas simple.

Ce sont les enjeux de notre réunion des 20 et 21. Nous militants depuis le début du processus avons une responsabilité particulière : ne pas prendre peur devant devant « le despotisme démocratique et la loi majoritaire » et leur offrir ce que notre histoire, nos expériences et nos pratiques comportent d’outils utiles pour tous.

Nous pouvons échouer, mais nous perdrons bien plus à ne pas mener ce combat.

Bien amicalement.

Etienne Adam

Etienne Adam
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