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Et tout ça ça fait d’excellents français
ode aux collabos

1er juillet 2008

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=629



Une assistante sociale de Besancon a dénoncé au commissariat de police un sans papier qui se trouvait dans une famille dont elle avait la charge. C’est un acte méprisable qui vaut à cette personne l’hostilité du monde professionnel. Car il y a faute, et même délit de violation du secret professionnel puni par le code pénal. Il sera intéressant de voir quelles suites donnera le procureur de la république à cette affaire.

Mon propos n’est ici de revenir en détail sur cette attitude, si vous souhaitez une argumentation plus précise allez sur site de l’ANAS http://www.anas.travail-social.com/ l’association professionnelle qui explique pourquoi elle dénonce cette faute avec autant de vigueur : voir le communiqué « Une faute professionnelle grave... »

Je vous invite à ne pas en rester à la dénonciation générale de la délation mais de lire l’article « décryptage d’un cas heureusement isolé- analyse pour un débat » qui précise bien la gravité de ce qui s’est passé là.

Je vous invite d’autant plus à le lire que nous assistons à des réactions de zélateurs de la dénonciation qui font table rase des droits démocratiques que le secret professionnel garantit.

Que ces soit sur le blog de maître Eolas qui a eu la démarche citoyenne de rendre public de telles pratiques de délation http://www.maitre-eolas.fr/ ou dans les réactions des lecteurs du Monde ou de Libé, nous assistons à un déferlement « d’argumentaires » qui justifient ce nouveau rôle de travailleur social- indic.

La lecture de ces commentaires montre bien que le terrain du sécuritaire a gagné chez des gens qui utilisent internet, lisent le Monde ou Libé. Ce sont peut être les mêmes qui hier dénonçaient des individus sans formation, ni place dans la société, ces pauvres qui exprimaient leur réflexe de petit-blancs en votant Le Pen ou non au référendum. [1].

Ce qui frappe dans leurs commentaires c’est l’usage d’un bon sens populaire (mais pas trop !) qui dispense de prendre en compte les problèmes dans leur complexité, qui permet des amalgames dangereux (le délit d’être sans papier est mis pratiquement sur un plan d’égalité avec les violences à enfants). Ce qui frappe aussi de la part de gens qui se prétendent informés c’est la méconnaissance du droit et du fonctionnement des institutions du secteur social (en particulier le secret professionnel est assimilé à une attitude des travailleurs sociaux laxistes et non à des textes de loi qui protègent les personnes).

Bien entendu le soi-disant point de vue des victimes potentielles étouffe toute autre considération : à priori le sans papier est un danger pour les enfants de la femme chez qui il réside. C’est normal puisqu’il y a des classes dangereuses à priori et qui doivent être condamnées avant même de passer à l’acte.

La justification de la délation est aussi grave que l’acte lui-même car il le rend possible.

Ainsi se créée un climat où des professionnels qui savent qu’ils n’ont pas le droit d’agir ainsi le font car ils se sentent légitimés par l’opinion et les pouvoirs publics. Sans doute ce cas est isolé mais dans le travail social le poids de l’idéologie sécuritaire est de plus en plus fort, conduisant à des attitudes qui mettent en danger les libertés publiques.

Par la mise en avant de faits divers dramatisés, par le traitement des sujets où le spectaculaire l’emporte sur l’analyse et l’information, les médias ont une responsabilité considérable dans l’évolution de cette opinion publique délatrice qui ne craint plus d’être comparée à celle de la France de Vichy.

Car la justification procède de la même logique que celle de cette période sombre. Face à la barbarie de ces classes dangereuse dont on veut se démarquer, la raison d’Etat, la défense des victimes sont des fins qui justifient n’importe quels moyens. C’est la victoire posthume de Papon ce fonctionnaire qui ne faisait que son travail.

Ce qui est grave, c’est nos dénonciateurs agissent sans haine ni idéal particulier (sauf certains) : ce sont des citoyens ordinaires comme étaient des citoyens ordinaires les riverains des camps de la mort qui n’avaient rien vu. Bien sûr nous n’en sommes pas encore au même niveau de violence contre les victimes des ces agissements, et c’est ce qui empêche certains de prendre conscience de la gravité de cette dérive.

Mais la mécanique de base est bien la même qui exclue une partie de ceux qui sont ici des droits pourtant universels, comme hier juifs, communistes, tziganes... étaient considérés comme ne faisant pas vraiment partie de la même humanité que les bons français.

Comme hier l’antisémitisme (celui qui conduisait à des pogroms dans la douce France de l’affaire Dreyfuss) la xénophobie anti-immigrés se fonde sur un système irrationnel de représentations populaires, les images véhiculées par ce système nourrissant les comportements d’exclusion.

Mais ces attitudes ne prennent vraiment force que lorsqu’elles sont légitimées, encouragées par les « élites » médiatiques et politiques et par un ségrégationnisme d’Etat.

Sans les actions anti-juives de l’Etat-major et des gouvernements qui le soutenaient, sans la presse de droite il n’y aurait pas eu la violence à laquelle l’affaire Dreyfuss a donné lieu. La participation de la police, de la justice française, du gouvernement de Vichy aux crimes contre les ennemis de l’Etat français ont largement facilité les vagues de délation de cette période.

On pouvait croire que le consensus de la Libération et le rôle du gaullisme dans l’histoire de la droite rendait impossible le retour à de telles pratiques.

C’est le retour de l’idéologie sécuritaire sous la gauche, vivement accentué sous la droite, qui a créé les conditions d’un ségrégationnisme d’Etat qui stigmatise et déclasse de la communauté nationale des parties de la population. Ces gens là n’ont plus vraiment les mêmes droits que les autres, ils n’ont même pas de droits du tout comme les sans papier.

Les lois sécuritaires qui se sont multipliées ne pouvaient voir le jour qu’en s’accompagnant de l’invention d’un danger, le thème de l’insécurité généralisée. Les dispositifs concrets mis en œuvre contre les « personnes en difficultés » (comme le dit la loi prévention de la délinquance) ont renforcé l’idée de la dangerosité de ces populations à risques.

Comment s’étonner de la force du sentiment favorable à la délation quand le président de la république quand il était ministre avait fait de la délation un modèle d’action sociale en rendant obligatoire ce qu’il appelait par euphémisme « le partage des informations entre les travailleurs sociaux et les maires ».

Comme Bush avec son "patriot act" qui légitimait l’abandon des droits fondamentaux par le danger du terrorisme, Sarkozy son comparse légitime la perte de droits par l’insécurité ( et du terrorisme aussi quand besoin est).

Ce régime libéral- autoritaire (mais existe-t-il des régimes libéraux qui s’accommodent vraiment des libertés pour tous et d’abord les plus pauvres ?) est contraint de substituer l’Etat pénal à l’Etat social dont il se défait...sa logique le conduit à detruire les espaces de droits et de démocratie...pour les remplacer par la politique spectacle, la soi-disant démocratie d’opinion où le sondage remplace le débat public et l’expression citoyenne ... Et pour que cela fonctionne et produise un minimum de cohésion il faut désigner un ennemi.

Etienne Adam


[1] il faudrait un jour faire justice de cette rumeur du chômeur lepeniste qui sert à stigmatiser les chômeurs

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