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Outreau : chronique d’un désastre qui continue...

3 décembre 2005

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=263



Les derniers accusés d’Outreau ont été acquittés et désormais il est de bon ton de dénoncer le désastre judiciaire.

La recherche du bouc émissaire remplace, dans un climat passionnel, la réflexion sur le fonctionnement de l’institution judiciaire et en particulier son rapport aux pauvres qui forment la majorité des justiciables.

La faute à qui ?

Alors, le ministre commence par s’en prendre aux travailleurs sociaux, avec une argumentation totalement inverse de celle d’habitude employée par Sarkosy.

Pour ce dernier,les travailleurs sociaux sont « complices » par leur laxisme des méfaits commis par ceux dont ils s’occupent : c’est pourquoi il faut les obliger à communiquer aux maires les informations confidentielles sur les personnes en difficultés, il faut en faire des indicateurs de police.

Mais dans l’affaire d’Outreau, pour son collègue, il s’agit de « voir ce qui s’est passé au niveau des travailleurs sociaux (...) c’est déjà à ce niveau-là qu’a été recueillie, et peut-être trop sacralisée, la parole de l’enfant ».

Dans ces conditions si demain les travailleurs sociaux sont obligés de rapporter d’abord au maire leurs craintes, combien d’Outreau en perspective ? Je ne suis pas sûr que les maires, poussés par une pression sécuritaire, soient plus à même de faire la part des choses.

Il est trop facile de s’en prendre à un psychologue plus sensible à la dimension alimentaire des expertises judiciaires qu’à sa responsabilité morale et professionnelle : ceci empêche toute reflexion sur le statut des experts et leur rapport marchand avec la justice. Et du coup personne ne parle de l’évolution de plus en plus répressive des expertises judiciaires : la difficulté des experts à résister à l’air du temps pénal, l’évolution vers une psychiatrie réactionnaire, tout cela reste dans l’ombre.

Trop facile aussi de s’en prendre aux juges et de rechercher des responsabilités personnelles par des enquêtes administratives. Il est curieux de voir ceux qui hurlent tous les jours sur le laxisme des juges s’en prendre aujourd’hui à ces mêmes juges jugés trop répressifs. Ceux qui ont réclamé la "justice d’abattage" pendant la crise des banlieues prétendent aujourd’hui défendre les victimes de l’institution judiciaire.

On trouvera sans doute des dysfonctionnments, mais sont ils totalement imputables aux personnes ?

On dit aujourd’hui du juge d’instruction qu’il était trop jeune pour un tel dossier, reprenant le thème de la jeunesse comme handicap pour un emploi. Mais il n’est pas seul en cause, et ce n’est pas lui qui a rejeté les 120 demandes de mise en liberté de Dominique Viel. Et puis ce juge n’a t’il pas été promu dans le « nec plus ultra » de la justice sécuritaire, la section antiterroriste ?

Le Syndicat de la Magistrature le dit depuis longtemps c’est le fonctionnement de l’institution judiciaire qu’il faut revoir et en particulier les atteintes à la présomption d’innocence.

Mais aussi, me semble t’il, les carences de formation des magistrats et les préjugés de classe que cela entraîne dans le rapport avec les plus pauvres : je vous invite à écouter les procureurs pour comprendre qu’un monde sépare les juges et leur mode de pensée de la majorité des justiciables , les catégories les plus vulnérables de la société. Vous aurez une image de ce qu’est la fracture sociale dans sa brutalité.

Mais l’institution judiciaire, sans doute pour éviter le discrédit total à un moment où les citoyens lui font de moins en moins confiance, a présenté ses excuses et accepté d’ouvrir un débat sur ses responsabilités.

Il est à craindre, hélas, que tout ceci ne débouche pas sur grand chose. Parce que d’autres responsables et non des moindres,eux, ne se remettent pas en cause et continuent leur action en faveur d’une justice de plus en plus répressive au détriment d’une justice respectueuse des droits.

Où sont les excuses des médias ?

Les médias nous font aujourd’hui un festival «  en l’honneur » des innocents que l’on voit pleurer, s’embrasser, applaudis, dans un déferlement de bonne conscience et de larmes à l’oeil. Sans doute ils pensent ainsi, en contribuant à la réhabilitation publique, réparer les dégâts qu’ils ont aussi commis.

Mais c’est aussi l’occasion de faire l’impasse sur leur propre comportement pendant cette affaire, de faire oublier leurs propores errements.

En donnant à "l’affaire d’Outreau" un caractère public spectaculaire, en faisant de l’audimat sur un réseau pédophile ( il ne fallait pas laisser le monopole aux belges !) ils ont contribuer à créer une demande sociale de répression.

Que peut être la sérénité de la justice, la présomption d’innocence quand les hypothèses les plus folles et las plus inquiétantes sont mises sur la place publique, mises en spectacle dans les journaux télévisés ?

Une fois de plus les médias se sont livrés à la dénonciation nominative de personnes sans avoir pris le temps de vérifier de recouper l’information conformément aux règles déontologiques les plus élémentaires.

Les grands médias, en particulier radio et télé, qui travaillent dans l’immédiat, ont montré une fois de plus leur caractère de classe, leur incapacité à comprendre sans juger les classes populaires.

Gardons en mémoire la description de la cité d’Outreau avec tous les préjugés qui désignent les classes dangereuses ! Naturellement, venant d’un tel milieu, les accusés ne pouvaient être que coupables.

Nulle autocritique là dessus : dans la récente crise des banlieues on a vu à l’oeuvre les mêmes mécanismes ségrégatifs. Dans la presse locale, on voit trop souvent une différence : selon que vous soyez puissant ou misérable votre nom est cité ou pas.

Cette pression sur la justice vient valider les préjugés qui conduisent à croire à la culpabilité des accusés : elle est inacceptable du point de vue du droit.

Oui les médias sont au moins aussi responsables de ce désastre judiciaire qu’ils se dépêchent aujourd’hui de dénoncer !

Ceci devrait nous amener à réfléchir sur le droit à la vie privée pour tous, et sur la protection des libertés individuelles qui ne peuvent être réduites aux garanties apportées par l’institution judiciaire, mais inclure la responsabilité pénale des médias (et des journalistes) même si des fuites policières ou judiciaires sont à l’origine de dénonciations calomnieuses. Il n’est pas possible d’accepter sans sanctionner ce qu’a dit France 3 sur le jeune victime de violences policières et accusé publiquement de jet de pierres sur les pompiers alors qu’il s’agit seulement d’une interpellation et du discours de la police ! [1]

Le parti pris libéral-sécuritaire des grands médias est aussi évident que leur manque d’objectivité dans la campagne référendaire. Il s’agit d’une prise de position politique qui en fait des instruments de plus en plus soumis au libéralisme.

Et la responsabilité des libéraux-autoritaires ?

Nous avons vu les plus hautes autorités de l’Etat réagir. Villepin, dans une opération de com, va même recevoir les accusés. Même Chirac est sorti de sa retraite !

Mais s’agit’il d’un changement, d’une restauration de l’Etat de droit ? d’un coup d’arrêt à la dérive liberticide ?

Quand le ministre de la justice présente les excuses,c’est bien, c’est spectaculaire mais aucune mesure n’est prévue pour prévenir les dysfonctionnements. Deux juges pour les affaires importantes, c’est de la poudre aux yeux : qui va juger qu’il faut 2 juges, où va t’on trouver le personnel nécessaire et au fond est ce là le problème ?

Clément est intervenu pour sauver l’institution, pas les droits. En son temps Perben a contribué largement aux lois contre les libertés, Clément en a d’autres en chantier sous couvert de protection des mineurs par exemple. [2] Une cascade de décisions judiciaires ont creusé l’écart entre la justice et le peuple. Comment comprendre, par exemple, que l’on condamne les faucheurs d’OGM « au nom du peuple français » quand celui-ci est très majoritairement opposé aux OGM ? Comment comprendre l’impunité du chef de l’Etat mais aussi la clémence vis à vis de Juppé ? La justice n’apparaît plus capable de défendre les droits fondamentaux, les recours à la cour européenne des droits de l’homme se multiplient...

Il y a bien crise de l’institution judiciaire au moment même où les libéraux veulent renforcer l’Etat pénal. La crise est présente aussi chez les juges eux mêmes qui se sentent instrumentalisés par le ministère de l’intérieur.

Il fallait donc éviter que le système judiciaire soit emporté dans le désastre d’Outreau.

Sarkosy se livre d’ailleurs à une véritable démolition de l’Etat de droit.

Nicolas Sarkosy montre un mépris du droit ou plus exactement des droits des citoyens.

Dans la crise récente des banlieues il nous annoncé que la majorité des jeunes qui sont passés devant les tribunaux étaient connus des services de police entretenant la confusion avec la notion juridique de récidive : est il légal de violer la vie privée en faisant état d’un fichier qui échappe à tout contrôle ? a-t-on le droit de dire que quelqu’un est présumé coupable s’il a été victime, par hasard, d’une interpellation au faciès ?

Dans une interview récente à Ouest-France il propose la mise sous tutelle des allocations familiales des parents qui s’occupent mal ou sont un état de détresse qui les empêche de s’occuper de leurs enfants. C’est transformer la tutelle en sanction alors qu’elle est dans la loi une mesure d’assistance éducative prise par un juge en fonction de chaque situation. C’est là insidieusement détourner la loi, vouloir la vider de sa dimension sociale au profit du pénal.

Il faut aussi rappeler que le même Sarkosy s’apprête à mettre fin au respect de la vie privée - droit constitutionnel fondamental- auquel chacun a droit, en obligeant les travailleurs, sociaux les enseignants...à dénoncer au maire tous ceux qui connaissent des difficultés de tous ordres.

Mais Sarkosy n’est pas un cas isolé et c’est tout le gouvernement qui prend la suite : ainsi Villepin parle de suspension ou de suppression des allocations familiales mesure qui rajoutera encore de la misère à la misère.

Une alternative de gauche antilibérale ne peut dédaigner d’apporter des réponse alternatives aussi sur ce terrain des libertés et casser tous les dispositifs de « chasse aux pauvres » mis en place par l’Etat libéral-autoritaire d’aujourd’hui.

Etienne Adam


[1] et qu’on ne confonde pas la défense de la liberté et de la vie privée des plus fragilisés avec la volonté de garantir l’impunité aux puissants ! Nous réclamons plus de transparence pour ceux qui détiennent des responsabilités publiques.

[2] Nos sociaux-libéraux si peu prompts à dénoncer l’état d’urgence se sont eux-même précipité sous la pression de la "lutte contre le terrorisme" dans des dispositions liberticides : loi LSI par exmple qui permet d’emprisonner les chômeurs qui ne payent pas leur train !

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