Retour au format normal


Les enjeux de l’élection à l’ombre de la montée de la droite

4 mai 2007



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=461

Gus Massiah a joué depuis des années un rôle dans le domaine de la solidarité internationale.

Il ne s’est jamais désintéressé de la bataille politique ici.

Son texte est écrit avec ces (ses) deux dimensions.

C’est pour quoi il est particulièrement utile pour comprendre les enjeux d’aujourd’hui.

Il a té écrit le mercredi 18 avril 2007, il reste pertinent aujourd’hui.



Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair- obscur surgissent les monstres.

Antonio Gramcsi

Le contexte stratégique

Dans les périodes électorales beaucoup de contradictions affleurent. Ces périodes ne sont pas seulement des révélateurs des enjeux et des défis, ce sont aussi des moments où se nouent et se dénouent des évolutions possibles.

La période dans laquelle nous entrons est marquée par une double hégémonie et par la crise de ces deux hégémonies : une hégémonie des politiques néo-libérales et une hégémonie géopolitique des Etats-Unis. Les issues de ces crises ne sont pas prédéterminées.

La société française est caractérisée par le cours dominant de la phase néo-libérale de la mondialisation mais elle est aussi marquée par de très fortes spécificités.

La société française vit une contradiction fondamentale. Elle est grosse d’immenses possibilités, de dépassements, d’émancipations comme en témoignent les luttes, les initiatives et les pratiques sociales nouvelles. Cette transformation qui gronde suscite une réaction conservatrice d’une rare violence. Elle prend la forme d’une régression sociale, d’une atteinte aux libertés et d’une montée politique de la droite extrême.

La campagne électorale s’inscrit dans une série d’élections (présidentielles et législatives en 2007, municipales en 2008, européennes en 2009) qui vont dans les trois prochaines années recomposer le paysage politique français. Il nous faut dans l’immédiat, construire un front contre la droite-extrême ; à moyen terme, ouvrir une perspective alternative, et à long terme, mener l’offensive dans la bataille des idées. C’est dans ce contexte que se situe la construction de la prochaine période de Attac.

Une offensive conservatrice d’une rare violence

La contre-offensive sociale s’appuie toujours sur le chômage et la précarisation. Elle met en scène la logique de l’ajustement au marché mondial et la dictature du marché mondial des capitaux. Alors que les profits n’ont jamais été aussi grands, les licenciements augmentent et la pression sur les salaires s’accentuent. Le scandale des stocks options, des « parachutes en or » et des cadeaux fiscaux étale un cynisme et une indécence insupportable.

La société est en danger. Les inégalités sociales se creusent, la pauvreté progresse dans notre société et dans le monde. Le lien social se brise. La crise du logement témoigne de la pauvreté, de l’exclusion et de la déshérence des politiques publiques. L’insécurité augmente, elle est la conséquence directe et le résultat recherché des politiques dominantes. Plus de 75% des résidents en France pensent qu’ils pourraient devenir des SDF ! Insécurité sociale et peur du chômage, insécurité écologique et peur de l’avenir des générations futures, insécurité physique et peur du terrorisme et des guerres, insécurité civique et peur de la violence.

Les libertés sont en danger.

La Ligue des Droits de l’Homme a publié le bilan d’une législature sécuritaire. Le bilan est effrayant Toujours moins de libertés, un contrôle social et une « société de surveillance » généralisée, une pression policière de plus en plus intrusive, le recul des garanties judiciaires pour les perquisitions, les fouilles, les gardes à vue, la détention provisoire. Toujours plus de répression, une justice expéditive, plus sévère pour les pauvres, la substitution de la répression à l’éducation. Des discriminations qui ciblent les personnes en difficultés, la chasse aux « marginaux » et aux « différents ». La politisation de la répression et du contrôle social. La tendance à la privatisation de la justice et de la police.

La chasse aux étrangers a pris un tour terrible.

La Ligue des Droits de l’Homme a publié aussi le bilan effrayant d’une législature xénophobe. Elle pointe les armes de cette chasse : le fichage, les obstacles supplémentaires à l’entrée en France, la politique humiliante des visas, la précarisation du séjour, la double peine maintenue, la traque des sans-papiers et l’insécurisation de tous les étrangers, la délinquance étendue à la solidarité. Les cibles s’élargissent : les conjoints des français, les parents d’enfants français, les membres de famille, les futurs français, les travailleurs, les demandeurs d’asile, etc.

La montée de la droite extrême

La convergence de l’extrême droite et de larges courants de la droite conduit à la mise en avant d’une droite extrême. Cette alliance est une réponse au mouvements des années quatre vingt dix (94 en Italie, 95 en France, 96 en Allemagne et aux Etats-Unis). Les dominants, les possédants et les privilégiés ont choisi la manière forte pour faire face aux résistances sociales, citoyennes et à celle des peuples dominés.

Cette situation n’est pas réservée à la France. L’Italie de Berlusconi en est une des illustrations, prémonitoire en quelque sorte. Le basculement d’une large partie de l’Europe (Autriche, Pays-Bas, Danemark, etc.) marque le succès de cette droite extrême qui s’inscrit dans l’évolution des Etats-Unis de Bush.

Le succès de la droite extrême se fait en deux temps : construire une extrême droite et contraindre la droite à passer alliance avec cette extrême droite. C’est dans la bataille des idées que se construit, en vingt cinq ans, cette alternative fascisante. Les clubs occidentaux, à l’image du Club de l’Horloge en France, les courants évangélistes et les franges rigoristes des différentes religions lancent une première offensive contre l’égalité à partir de la justification génétiques des différences, des races et des inégalités.

La deuxième vague d’offensive idéologique, rejette sur les pauvres et les exclus la responsabilité de leur situation et propose de combattre l’insécurité et les incivilités par la répression et le fichage génétique généralisé.

La droite extrême a réussi à déplacer l’échiquier politique vers l’extrême droite en plaçant le débat sur l’insécurité, l’immigration et la xénophobie. Ce sont les terrains qu’elle laboure depuis vingt-cinq ans. Elle avait échoué à contraindre la droite à choisir cette alliance. Le deuxième tour de 2002 en montrant que 80% des français refusait cette alliance avait fait échouer les propositions qui allaient dans ce sens.

Mais, la fraction dominante de la bourgeoisie considère aujourd’hui que la situation est trop dangereuse. La montée des luttes et les résultats du référendum européen l’ont convaincu qu’il y avait un risque d’alternance comme l’a confirmé le résultat des régionales. De plus, l’émergence de courants radicaux l’a inquiété sur la capacité du PS à y résister ; la défaite de courants plus ou moins gaullistes et non-atlantistes a conduit à la victoire de la droite extrême dans la droite.

Le PS reste, à court terme, un enjeu central. Il a réussi en moins de quatre ans à surmonter sa défaite de 2002 et à servir de recours aux élections régionales. Mais, il a accentué sa posture de parti de gouvernement et n’a pas réussi à imposer son terrain. Il s’agit d’une évolution qui dépasse la situation en France. La social démocratie a perdu sa capacité à représenter un réel projet de transformation sociale. Il lui reste une position stable, c’est une posture « blairiste », en ne le prenant pas au sens caricatural et en admettant qu’il peut y avoir une posture moins atlantiste, ou moins « bushiste » et en cherchant à combiner l’acceptation néo-libérale avec une relance de services publics.

Elle est confrontée à une recomposition interne qui combine trois courants qui cohabitent, avec différentes articulations, dans tous les partis et les mouvances de la gauche. Proposons de distinguer : un courant « blairiste » tenté par un libéralisme mondial, un courant régulationniste et keynésien plus attaché à l’Etat social, un courant altermondialiste à la recherche d’une alternative nouvelle.

Le PS, n’ayant pu se positionner sur une alternative, privilégiant l’alternance, n’a pu éviter de se laisser entraîner sur les terrains de l’insécurité sans pouvoir se dégager de la manière de les définir de la droite extrême.

Les alternatives altermondialistes

L’affirmation des alternatives, même si elles sont à long terme, est une nécessité pour la bataille immédiate. Sans la perspective d’un autre monde possible, on est conduit à des choix tactiques et à accepter le terrain des adversaires, c’est à dire ceux aujourd’hui de la droite extrême. Nous nous situons dans cette perspective, celle d’un courant altermondialiste capable de construire des réponses qui s’ancrent dans les réalités immédiates, qui refuse radicalement le néolibéralisme, en tant que la plus récente des phases du capitalisme, et qui s’attache à tirer les leçons des échecs du social-libéralisme, du keynésianisme fordiste et du soviétisme.

L’alternative altermondialiste propose une orientation stratégique : substituer à la régulation de chaque société et du monde, par le marché mondial des capitaux, une régulation fondée par l’accès aux droits fondamentaux pour tous dans chaque société et dans le monde.

Cette orientation se retrouve dans toutes les luttes, dans les résistances, les mobilisations et les propositions. Elle a permis de mettre sur la défensive les fondements des politiques néo-libérales, les plans d’ajustement structurel, et de mettre en avant la nécessité de la redistribution et de la régulation publique dans le débat international.

C’est cette orientation qui est la critique la plus forte du type de croissance que nous refusons et de la recherche d’autres types de développement. Cette orientation fonde aujourd’hui les bases des alliances sociales et citoyennes entres les syndicats, les organisations paysannes, les associations écologistes, de consommateurs, féministes, de jeunesse, de défense des droits humains et de solidarité internationale. Elle sert de base pour construire l’alliance plus large avec les collectivités locales et de larges secteurs des entreprises de l’économie sociale et solidaire.

Elle peut ouvrir, dans certaines situations, à des ouvertures vers des entreprises locales et même vers des entreprises nationales, notamment publiques. Nous pouvons vérifier dans la campagne électorale que le débat sur l’accès aux droits n’est plus contrôlé par la droite-extrême qui a du mettre une sourdine à son antienne favorite : privatisons et laissons faire le marché.

L’alternative altermondialiste consiste à lier fortement les dimensions sociales, écologistes, démocratiques et solidaires.

L’avancée est claire dans la campagne électorale sur le refus du productivisme et les dangers pour l’écosystème planétaire. Encore faut-il éviter la tentative de séparer la prise de conscience écologique des conséquences sociales, démocratiques et solidaires.

Les avancées sont moins claires sur le plan de la démocratie, mais il y a des indices perceptibles. L’appropriation des nouvelles technologies par les internautes et les logiciels libres, les mouvements pour une science citoyenne et contre les brevets des multinationales en sont une illustration. La démocratie dans l’entreprise peut bénéficier de la méfiance grandissante vis à vis de la dictature des actionnaires. La démocratie locale gagne en crédibilité par l’articulation reconnue entre démocratie représentative et démocratie participative.

La solidarité reste une valeur de référence malgré tous les dénis et toutes les manipulations. Elle s’affirme dans les mobilisations comme celle de RESF ; elle est réaffirmée dans toutes les enquêtes et les prises de position chaque fois que les grands moyens de communication ne choisissent pas de minorer ces mobilisations au profit des égoïsmes sectaires.

La solidarité internationale est particulièrement absente de la campagne des « grands candidats ». Elle est loin de l’être de la préoccupation des citoyens comme le montre le succès de la campagne « Urgence planétaire, votons pour une France solidaire » à laquelle participe activement Attac.

Il en est de même sur la politique que la France doit mettre en œuvre au niveau de l’Europe. Les dix conditions des quinze Attac d’Europe a mis l’accent sur l’urgence de ces débats. Pour Attac, la dimension internationale et mondiale est déterminante, non pour expliquer la fatalité des évolutions, au contraire, pour montrer qu’il est indispensable d’agir aussi à ce niveau pour gagner des marges de manœuvre. Et aussi que c’est au niveau local et au niveau national, que l’on peut agir sur cette mondialisation que nous contestons dans sa nature. Les propositions d’Attac sur ces points, sur la redistribution des richesses à l’échelle mondiale, la taxation internationale, notamment, des transactions financières, l’annulation de la dette du Tiers Monde, la suppression des paradis fiscaux, la remise en cause des institutions financières internationales et de l’OMC, trouvent là toutes leur pertinence.

Les enjeux électoraux

Les échéances électorales des trois prochaines années vont recomposer le paysage politique français. Elections présidentielles et législatives en 2007, élections municipales en 2008, élections européennes en 2009.

Les inquiétudes sont grandes pour les présidentielles et les législatives qui suivront ; on peut aisément le comprendre. Le risque de voir la droite-extrême s’installer pour un moment est réel. D’autant que le traumatisme des élections de 2002, avec l’arrivée du Front National au deuxième tour, est réel. La culture électorale française est construite sur un comportement très ancien : au premier tous on choisi, au deuxième on élimine. Vouloir éliminer dès le premier tour en recherchant avant tout un vote utile conduit au désarroi et à la multiplication des combinaisons hasardeuses. C’est pourquoi, à une semaine du premier tour, il y avait encore plus de 40% des électeurs indécis alors que le débat électoral a rarement été aussi suivi et intense.

Il nous faut dans cette conjoncture concilier deux impératifs qui ont des aspects contradictoires. Dans l’immédiat, construire un front contre la droite-extrême et lutter pied à pied contre son emprise sur notre société.

A moyen terme, préparer dès maintenant l’avenir, ouvrir une perspective alternative, et des alliances, sans lesquelles la victoire de la droite-extrême finira par l’emporter.

A long terme, mener l’offensive dans la bataille des idées, pour l’égalité, la justice, les libertés, les solidarités, pour annihiler le poison que l’extrême droite a réussi à distiller dans nos sociétés. Les trois années à venir seront déterminantes dans cette bataille.

Gustave Massiah

Retour au format normal