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Lettre aux militants et ex militants de la CFDT Basse Normandie

15 mai 2000

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=11



Caen, le 15 mai 2000

Chers camarades,

Je démissionne de la CFDT, décision qui, je crois, n’est une surprise pour personne. Il m’a semblé préférable de ne rendre public cette décision qu’au terme de mon reclassement professionnel. D’abord parce qu’en tant que salarié de la CFDT, il n’était pas correct d’intervenir dans le débat d’une organisation qui n’était plus que mon employeur. Ensuite parce qu’une fois mon cas personnel réglé, les problèmes personnels n’interfèrent pas. La direction actuelle de la CFDT est intervenue dans mon reclassement, je n’ai donc aucune rancune particulière à cet égard. Je ne considère pas non plus comme humiliant d’avoir repris mon travail. D’ailleurs certains savent que la perspective que je m’étais fixé n’était pas de faire carrière comme permanent.

Pour autant, il n’est pas facile non plus de quitter une organisation à laquelle on a consacré beaucoup de temps et d’énergie pendant la moitié de sa vie. Ce départ est une amère nécessité. Il ne peut se faire dans le silence. Depuis que la fédé santé a procédé à la mise sous tutelle de mon syndicat, je considère que je ne suis plus adhérent. L’adhésion signifie la capacité de peser sur les décisions du syndicat. Ce n’est plus le cas lorsqu’une fédération appelée au secours par des minoritaires donne tous pouvoirs à ceux ci au mépris de toute démocratie. Dès lors qu’une instance « supérieure », pour parler comme nos sous-fifres locaux de la fédé, se permet ce genre de choses et substitue la discipline au débat je ne peux plus être dans une telle organisation. En même temps, la fédé a donné aux mêmes individus la possibilité de signer n’importe quel accord RTT à l’ACSEA et ailleurs, au mépris du travail collectif engagé et des mobilisations. Il est vrai que cet accord n’est pas plus mauvais que les accords de branche ou la convention collective des Centres de Lutte contre le cancer, véritable trahison des salariés les plus fragiles dont la Fédé santé s’est fait une spécialité. Pourquoi le silence sur la quasi disparition de la CFDT de ce secteur ? La chute de la CFDT dans le Calvados aux dernières élections dans les hôpitaux publics devrait aussi interroger ceux qui pensent que le syndicat se renforce en s’épurant de ses mauvais éléments. Comme c’est à la mode, l’intervention s’est faite "pour le respect du droit", en réalité pour soutenir les pires carriéristes du syndicat parce qu’ils étaient « bien pensants ». Cela suffit pour rendre ma carte.

Mais je ne peux passer sous silence le reste, et d’abord l’évolution confédérale qui s’enfonce dans le social libéralisme. Abandonner José Bové à la répression c’est être incapable de faire preuve de la solidarité intersyndicale la plus élémentaire. Est ce pour partager avec la FNSEA des propositions sur la mondialisation ? Il faut quand même le faire quand on sait que cette organisation est aux mains de patrons de choc ( ULN chez nous), responsables d’une agriculture productiviste qui conduit à la mal-bouffe ! Il est pour moi insupportable d’entendre Nicole Notat tenir le même type de discours que Chirac sur la nécessité de faire vite sur les retraites, de voir la CFDT refuser le rapport Teulade dans des termes proches de ceux qui en veulent au système des retraites des fonctionnaires...et continuer à défendre un rapport Charpin dont tout le monde reconnaît le caractère délibérément alarmiste. Je pourrais encore faire le compte de mes désaccords sur les 35 heures, la complaisance face à la « refondation sociale », l’ Unedic... mais c’est bien connu. La dérive libérale continue mais ce n’est étonnant que pour ceux qui ont préféré aider à nous écraser, et taire, au nom de leurs intérêts d’appareils, les avis divergents sur l’orientation. Ce sont ces "réalistes" qui sont à coté de la plaque. Ils ne comprennent pas ce qu’il y a de nouveau dans la période.

Je n’avais pas l’intention d’épiloguer sur l’URI. Chacun connaît ce que j’en pense. Simplement je souhaitais, un an et de multiples départs après, rappeler à certains les avertissements sur les risques de leur attitude anti-démocratique pour gagner le congrès à tout prix. Mais deux prises de position et un silence, m’obligent à redire clairement que la nouvelle direction de l’URI n’a plus rien à voir avec ce qui a fait la CFDT Basse Normandie. Comme Claude Cagnard et Guy Robert l’ont dit avant moi, je considère que nos « successeurs » ont liquidé l’acquis de cette région et de ses militants. Sur les chômeurs, la réponse CFDT Ouest à l’interview de Claire Villiers est une réponse d’apparatchiks outragés, lamentable - et fausse sur les fonds sociaux ASSEDIC ( ce qui est significatif du peu d’intérêt porté à ces questions). Les dirigeants régionaux ont liquidé un élément central de l’identité syndicale de cette région : le lien aux chômeurs et précaires. C’est d’un seul coup 20 ans de travail militant qu’ils ont nié. Oui, Claire avait raison, le mouvement syndical se désintéresse des chômeurs. Comme je l’ai dit au congrès si nous avons de quoi être faire fiers d’avoir fait un minimum avec les chômeurs nous n’avons, hélas, fait qu’un minimum. Nous avons eu tort de perdre à Lille sur l’organisation des chômeurs et des précaires. Mais avec quelle rapidité ont certains ont liquidé cette déviation bas normande ! Comme si s’intéresser aux chômeurs était devenue, dans cette région aussi, une maladie honteuse ! Mais ainsi on cautionne les compromis sur le dos des chômeurs dans les négociations UNEDIC.

Sur le refus de la réadhésion à ATTAC, association dont nous avons été à l’origine en tant qu’URI, je ne crois pas aux arguments sur le fonctionnement d’ATTAC, les raisons sont ailleurs : la façon de mener la lutte contre la mondialisation, l’acceptation des thèses confédérales sur la mondialisation. Il eu été plus honnête de dire que les positions d’ATTAC comme celles de la confédération paysanne sont trop radicales sur cette question. Si ce n’est pas ça, cela veut dire que les rapports CFDT-mouvement sociaux ont radicalement changé au moment même où la CGT a sur ce point bien évolué. C’est une rupture de taille avec notre histoire : militants étudiants de 1968, c’est vers la CFDT que nous nous sommes tournés face à une CGT « propriétaire » de la classe ouvrière. Aujourd’hui je ne ferai plus le même choix.

Enfin, après les dernières prises de position de Notat dans « Le Point », il est des silences qui sont assourdissants de la part d’une URI qui tenait - avant- à sa liberté de pensée. Ces points, que j’ai volontairement choisis hors du quotidien, ne sont pas sans effet sur celui-ci. Petit à petit, hélas, l’alignement sur la conf va se répercuter sur toute l’action syndicale au quotidien, le soit disant « réalisme » (au fait, la position de Claude Robert était indéfendable, irréaliste, et il vient de gagner...) va l’emporter sur la défense des salarié, comme je l’ai dit pour la santé.

C’est parce que j’ai encore la naïveté de croire qu’il est encore possible de faire autrement que je ne cautionnerai pas par ma présence de telles dérives. Je garde mon amitié et mon estime à tous ceux qui ont fait la CFDT Basse Normandie telle que nous l’avons construite tous ensemble.

Je voudrais encore une fois remercier ceux qui m’ont permis de vivre, au secrétariat de la région et dans l’opposition nationale, une expérience que je ne regrette pas, et dont nous n ‘avons pas à rougir.

Je reste convaincu que l’action syndicale peut transformer les choses, ce monde injuste, et je suis prêt à en discuter avec ceux qui le souhaitent.

Etienne ADAM ancien secrétaire général de l’URI CFDT de Basse Normandie.

Etienne Adam
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