Retour au format normal


Ce traité, une avancée sociale ?

24 décembre 2004

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=124



Ce qui frappe dans une première lecture rapide c’est la disproportion entre les articles qui traitent du social et des droits sociaux (10 articles dans la partie II, et 10 dans la partie III ) et ceux qui traitent des politiques commerciales et monétaires et la libre circulation ( 68 dans la seule partie III).

L’économie sociale de marché hautement compétitive » venant après la « stabilité des prix » dans les objectifs de l’Union semble un accident de rédaction puisqu’on ne retrouve cette notion nulle part ailleurs dans le traité (quand les options libérales se retrouvent partout). De même, l’objectif de « tendre vers » le plein emploi et le progrès social peut prendre beaucoup de temps si l’on en croit Michel Rocard : « dans une décennie ou deux (l’Europe sera) assez structurée juridiquement et puissante politiquement pour qu’enfin une majorité de gauche puisse y entreprendre une sérieuse inflexion du capitalisme » ( Le Monde 23/09/2004).

L’insertion de la charte des droits fondamentaux dans le traité est l’argument central de ceux qui jugent que cette constitution est une avancée sociale.Au point que Strauss-Kahn dans son livre va jusqu’à écrire (p33) : « la deuxième partie du traité correspond au préambule de la constitution française ».La CES (confédération européenne des syndicats) affirme dans sa résolution du 13/07/2004 : « la constitution contiendra la charte des droits fondamentaux [...] qui deviendra de fait juridiquement contraignante et dont la cour européenne de justice pourra être saisie. La charte renforce les droits fondamentaux et les rend plus visibles y compris les droits sociaux »

Ce que prétendend ainsi ces partisans du « oui » c’est que les garanties juridiques de ce traité sont au moins égales au droit national. Ils laissent croire que cette charte fournit les bases constitutionnelles d’un « modèle social européen » qui s’imposera aux nouveaux pays adhérents. Ce « juridiquement contraignant » permettrait de conduire les pays de l’Est vers notre modèle social comme les exigences démocratiques de la CEE ont permis la démocratisation des pays fascistes de l’Europe du Sud (Espagne, Portugal, Grèce). Et puisque cette convergence se fait, on évite l’aggravation du déficit social né de la gigantesque différence des conditions de vie et de travail avec ces pays.

A l’inverse, nous pensons que la rédaction de la charte ne conduit nullement à cette convergence nécessaire : elle rend possible un très faible niveau de protection sociale et de garanties pour les travailleurs, permet le « dumping social » à l’intérieur de l’Europe et met à terme en cause,le modèle social européen.

Deux exemples :

Le droit au travail qui disparaît : est-ce un progrès ?

Il est défini par des textes comme le préambule de la constitution française « art 5 : chacun a le droit d’obtenir un emploi ». la charte sociale européenne de 1961 veut assurer « l’exercice effectif du droit au travail ». Dans le traité on ne trouve, dans la partie libertés, que l’art II-75 : « toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie et acceptée ».

On voit bien le glissement du droit au travail (garanti et assuré par la société) à la liberté de travailler qui est l’interdiction du travail forcé. En conséquence, jusqu’en 1989 le droit à une indemnisation chômage est prévue,Art. 11 :« Tout être humain qui en raison de la situation économique se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » (Constitution de 1946), elle doit même être suffisante.Titre I,10 : « Les personnes exclues du marché du travail [...] doivent pouvoir bénéficier de prestations et de ressources suffisantes. » (Charte des droits sociaux fondamentaux de 1989.)

Ce droit à un revenu de remplacement disparaît dans le traité qui se contente d’ avaliser ce qui se fait dans les différents pays : Titre IV, art II 94 : Sécurité sociale et aide sociale « 1. l’union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux assurant une protection [...]en cas de perte d’emploi, selon les régles établies par le droit de l’union et les législations et pratiques nationales. ».

La sécurité sociale, la retraite, de moins en moins garanties

Tous les textes affirment le droit à la sécurité sociale ex :Art. 22 : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée sur la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité » (Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948)le traité ne reprend pas ce droit Titre IV art II 94 : Sécurité sociale et aide sociale 1 :« l’union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse selon les régles établies par le droit de l’union et les législations et pratiques nationales. » Cette formulation (qui n’implique aucune obligation juridique) n’est qu’une manière diplomatique de confirmer le maintien des inégalités dans ces domaines. On laisse ainsi le champ complètement libre à la concurrence par les coûts sociaux des pays où les protections sociales sont la plus faibles. Pire encore : rappelons que la charte de 89 affirmait art (10)un droit égal pour tous, même dans les PME, le Traité interdit ce droit : art III 210 1) l’union “soutient et complète” l’action des Etats membres sur la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs mais, si elle le fait par une loi “elle évite d’imposer des contraintes administratives financière et juridiques telles qu’elles contrarieraient la création et le développement des PME”. On ne s’étonnera pas alors de l’article III-209 (L’union et les Etats membres « estiment qu’une telle évolution [sociale] résultera tant du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures [...] et du rapprochement des dispositions [...] des Etats membres ») qui laisse la main invisible du marché faire le social.

Nous en avons une trop longue expérience et nous savons désormais que cet acte de foi idéologique est à l’origine de reculs sociaux.

Alors, est ce vraiment une avancée sociale ?

Etienne Adam
Retour au format normal