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Le contrat-vieux
par un vieux menacé de précarité

20 octobre 2005

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=232



Vieillissement et code du travail

La construction séculaire du code du travail visait à construire un système de droits et de protections en particulier contre ce qui apparaissait à tous comme inéluctable : le vieillissement.

Il suffit de relire romans ou études sur le XIXème siècle pour voir que la fin de vie des travailleurs jetés à la rue parce que trop vieux, usés et donc pas assez productifs était dramatique.

Notre « société moderne » tend à nier le vieillissement et le conjure avec l’invention de termes aussi stupides que « seniors » « 3ème et 4ème age ». Cette évolution linguistique répond à des besoins précis : vieux et vieillissement sont connotés négativement et peu propices à la gestion par les publicitaires et les marchands de ce grand marché qu’est celui des seniors (image positive et dynamique qui laisse entendre qu’un nouvel age d’or de la consommation s’ouvre devant ceux ci).

Mais dans le droit social, l’émergence de cette thématique du recul du vieillissement remplit une autre fonction : reculer l’age de la retraite.

Pour éviter le débat social sur le choix de l’age de la retraite comme un des moyens de réduire le temps de travail, nos dirigeants (de droite comme Fillon mais de « gauche » comme Rocard) se sont précipités sur l’allongement de la durée de la vie pour nous présenter comme naturel l’allongement de la durée du travail sur la carrière.

Du livre blanc de Rocard à la réforme Fillon, c’est le même soubassement idéologique : la remise en cause partielle mais réelle des droits à la retraite acquis : si l’on vit plus vieux, il n’est pas normal de bénéficier de plus de temps de retraite, donc il faut reculer l’age de la retraite. Fillon a même inventé un système qui fait reculer l’age de la retraite quand la durée de vie augmente.

Comme si l’amélioration des conditions de vie et de travail obtenue de longues luttes par les salariés et qui concourent de manière importante à la durée de la vie devaient être payées par les mêmes salariés d’une augmentation de la carrièr !

Ainsi il était juste d’augmenter en 1993 de 37,5 à 4O annuités pour les salariés du privé. C’est d’ailleurs ce qu’acceptaient dès cette époque les dirigeants de la CFDT comme ils ont accepté les 40 ans pour tous de Fillon en attendant les 41 puis 42 prévus. Le sommet européen de Barcelonne prévoyait explicitement le recul de l’age de la retraite avec la thématique d’augmenter le taux d’activité des 55-64 ans.

Le marché du travail est têtu

Mais ce discours du travailler plus jospino- chiraquien se heurte depuis longtemps aux caractéristiques du marché du travail et aux réalités du travail lui même.

Nos libéraux ont cherché des solutions pour cacher ces contradictions.

D’abord il fallait faire face à l’usure prématurée de ceux qui ont encore commencé à travailler jeunes, 10 ans plus tôt que les autres.

Donner une retraite avant 60 ans sous des conditions de carrière atteignant les 44 annuités était à la fois faire de la démagogie et montrer qu’une carrière longue était possible.

Des restrictions apportées à ce type de mesure jusqu’à l’accord impossible sur les travaux pénibles, l’application de cette mesure sociale qui justifiait l’adhésion de Chérèque s’est montrée illusoire. Il est resté, et reste sur le marché du travail beaucoup de 5O-6O ans au chômage.

Ce sont les victimes de la destruction des sites de production dites d’industrie de main d’oeuvre issues de la décentralisation des années soixante qui ont vieilli avec leur personnel. Ces tranches d’âge sont aussi la cible principale des restructurations : avec la suppression des préretraites elles sont promises au chômage.

Pour les uns comme pour les autres les obstacles à la remise au travail se résume à deux mots pour les patrons : obsolescence des qualifications dépassées par les évolutions des processus de travail et perte de productivité liée à l’age.

La construction du "Handicap Vieux"

Examinons la réalité de ces handicaps puisque c’est bien comme cela que c’e st présenté. Il est vrai que ces personnes ont exercé dans des systèmes d’organisation de la production qui sont pour partie dépassés. Mais n’est ce pas plus vrai pour ceux qui avaient une qualification (OP et OHQ) qui à priori devrait être un facteur favorable à un formation complémentaire ?

Est ce vrai de ceux qui travaillaient dans les système les plus tayloriens ( à la chaîne) et qui devraient pouvoir retrouver un emploi dans ce mode de travail qui reste encore bien présent ? Pourquoi ne remplacent ils pas ceux qui sont qualifiés et qui travaillent encore à la chaîne si le marché est vraiment le moyen optimal d’affecter les ressources ?

Pourquoi ceux qui nous disent que les entreprises doivent s’adapter, se moderniser, vivre et mourir n’ont ils pas été capables de concevoir un système de formation, une gestion prévisionnelle des emplois dont ils se gargarisent par ailleurs, pour éviter cet énorme gâchis humain et financier que signifie la « mise au rebut » de millions de personnes dont la collectivité a a payé la formation ?

La mise à l’écart du travail se traduit très rapidement par la chute des salariées dans ce que les experts libéraux appellent l’inemployabilté ou la faible employabilté.

En d’autres termes nous avons un marché du travail, structuré de plus en plus largement par le MEDEF via l’UNEDIC, qui dégrade la valeur de la force de travail de ceux qui sont dans un processus de chômage prolongé même au terme d’une longue carrière : une partie des RMIstes sont des ouvriers qui ont connus des dizaines d’années de travail avec souvent un basculement dans la précarité qui leur donne une carrière chaotique les empêchant d’ouvrir leurs droits anticipés à la retraite.

Bref, au terme de ces processus de disqualification professionnelle et sociale voilà nos salariés vieux réduits au statut de non qualifiés. Pire encore, la superposition de « l’incompétence professionnelle » et des problèmes sociaux liés à leur âge ( maladie, fatigabilité) les rend pratiquement handicapés. Ils sont devenus comme les jeunes dont chacun sait que la jeunesse est devenue un handicap rédhibitoire pour l’accès au marché du travail.

Alors comme les jeunes ils doivent « bénéficier » de contrats spécifiques qui sortent du droit commun, les fameux contrats dits atypiques.

Voilà par quel processus nos confédérations de salariés en arrivent à signer un accord tel que celui sur le contrat vieux en se mettantg à la remorque des experts libéraux.

La consécration de la ségrégation : le "contrat-vieux"

En dérogation au droit commun, les vieux pourront être en CDD pendant 36 mois, le double. On contribue à affaiblir une fois encore le code du travail et les CDI.

Pour ne pas s’attaquer aux limitations scandaleuses de l’indemnisation chômage, on laisse croire qu’ils pourront au travers de la précarité se refaire une nouvelle carrière.

C’est méconnaître les contraintes du travail sous contrat précaire avec des rythmes et une intensification des tâches où les vieux ne peuvent supporter la concurrence des jeunes pour lesquels ces contrats ont été construits.

C’est ignorer ou nier les études sur le caractère pathogène de la précarité et leurs conséquence sur de personnes déjà fatiguées par des années de carrière.

Qui peut croire que les patrons qui virent leurs salariés parce qu’ils les jugent trop vieux vont en reprendre d’autres parce que précaires ? Sauf bien sûr à réembaucher leurs anciens salriés avec un salaire de débutants et encore : nombre de patrons pensent que les vieux ne servent à rien !

Que la CFDT se précipité pour signer ce n’est pas étonnant, la seule chose qui compte pour elle c’est de jouer du stylo.

La CGC prétend représenter les cadres : nombre d’entre eux sont pourtant victimes d’une déqualification particulièrement brutale, mais on peut penser qu’un des ressort de l’idéologie cadre c’est de se tuer au travail.

Que FO, qui nous a tenu des discours radicaux sur la retraite, se rallie ainsi à un accord qui avalise le recul du départ en retraite, voilà qui vient nous rappeler que le double langage n’est pas mort.

Tous apportent une contribution à tous ceux qui ne veulent pas abroger les lois de destruction sociale des gouvernement Villepin et Raffarin : c’est la gauche toute entière qui devrait monter pour dénoncer la traduction légale de cet accord honteux.

Nous serons vigilants

Etienne Adam
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