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Contre réforme et contre révolution

25 août 2008

par Etienne Adam



Adresse de l'article : http://anpag.org/article.php3?id_article=635

Cet article vient en complément d’un texte de Philippe Zarifian sur le site national

http://cncu.fr/spip.php?article1369...



Contre réforme ou contre révolution : les enjeux politiques

Je partage très largement l’analyse de Philippe Zarifian qui permet de ne pas réduire le sarkozysme à un changement de majorité politique, à un gouvernement de droite quelconque, mais de prendre la mesure de la contre-révolution qu’il représente. Il a raison de dire qu’avancer sur l’analyse est le moyen d’apporter une réponse.

Je ne pense pas que ce soit la pensée de l’auteur mais une lecture rapide pourrait laisser croire que la contre révolution n’est que la conséquence de la contre réforme : la contre révolution se résumerait à une évolution autoritaire, policière de l’appareil d’Etat pour se prémunir des risques de révoltes sociales nées des effets des contre-réformes (ce qu’il appelle « rébellion potentielle » là où le pluriel serait à mon sens nécessaire).

Une telle lecture amènerait à se concentrer sur la lutte contre les contre réformes, un peu sur les dérives autoritaires et à réduire la contre révolution sarkozyste à ces seuls aspects, alors qu’une lutte idéologique d’ensemble s’impose dont il nous faut mieux définir les cibles (ce qu’il faut dénoncer et au nom de quoi les dénoncons nous).

Une contre révolution qui vient de loin

Je crois important de rappeler que la contre révolution a largement précédé la contre réforme (du moins la contre réforme institutionnalisée et légalisée : auparavant la contre réforme prenait la forme d’une délinquance patronale massive qui violait les règles de droits du travail : une brochure des inspecteurs du travail décrivait dans les années 80 cette délinquance massive pour ne pas dire systématique).

Cette contre révolution a pris son essor en France (mais aussi ailleurs : années Reagan et Thatcher) dans les années 80 avec la victoire du libéralisme dans la bataille idéologique. Victoire ne signifie pas seulement prééminence de cette pensée unique dans les médias et les discours du champ politique, triomphe d’un économisme gestionnaire mais aussi un modification du système même du vivre ensemble qui s’est traduit par la montée dans les comportements concrets de l’individualisme.

Le modèle de réussite individuel entrepreneurial a atteint le comportement quotidien de nombre de salariés qui se sont mis à chercher dans la réussite individuelle et la carrière une réponse quasi exclusive au détriment des collectifs de travail.

La segmentation du salariat

La rupture par la capital du compromis fordiste s’est traduit par un retour de la lutte des classes de la part des possédants en organisant y compris par des moyens légaux et institutionnels la segmentation du salariat en sous catégorie multiples et séparées : le plus significatif est la multiplication des possibilités juridiques du contrat de travail (le développement des emplois dits atypiques).

Dès le début des années 80 le syndicalisme social-libéral tel qu’il se manifeste à la direction de la CFDT a apporté sa contribution ce qui a été bien utile pour masquer les effets dévastateurs pour l’ensemble du salariat de cette segmentation.

Cette segmentation, en brisant les solidarités collectives a produit les conditions nécessaires à la mise en place de l’Etat de guerre civile préventive que Sarkozy incarne : pour transformer les pauvres et les chômeurs en populations dangereuses, il faut qu’ils puissent apparaître comme différents du salarié en situation d’emploi et surtout celui qui se lève tôt pour pas grand-chose.

La guerre civile préventive

La contre révolution ne peut se résumer au renforcement du caractère policier de l’Etat, renforcement indéniable dans la logique de succession des lois sécuritaires. Pour modifier le droit, et les institutions il faut créer un climat dans l’opinion publique (il faudrait analyser cette évolution vers la « démocratie d’opinion ») dans les manières de voir le monde dans une bonne partie de la population y compris dans les classes populaires.

La contre révolution si elle n’est pas une simple réponse militaire à la montée de la révolution, phénomène garde blanc, c’est aussi l’organisation de l’hégémonie ce « gant de velours » qui réduit ou rend invisible l’utilisation de la « main de fer » de l’appareil répressif pour reprendre les métaphores de Gramsci.

Le poids du passé récent est encore trop fort pour se permettre un régime autoritaire avoué et chacun aura noté que Sarkozy s’emploie à brouiller les cartes pour apparaître différent du dernier épisode réactionnaire de notre histoire : l’Etat Français de Vichy.

Bien sur il procède à une mise en cause des libertés individuelles et publiques acquises au sortir de la guerre : par exemple la définition des personnes en difficulté susceptibles d’être la cibles des dispositifs liberticides de la loi prévention de la délinquance est extrêmement extensive, mais la cible désignée « affichée » est beaucoup plus restreinte. Il s’agit de ces classes dangereuses coupables avant d’avoir commis le moindre délit par leur nature même.

Cette notion de la dangerosité est alimentée par le fonctionnement des grands médias qui réagissent aux événements en jouant sur l’émotionnel pour leur donner une dimension terrorisante (le modèle du genre étant le « la France a peur » du présentateur télé Roger Gicquel). Il faut sans arrêt trouver des ennemis des monstres dangereux qui justifient l’arsenal répressif, c’est-à-dire qui crée dans l’opinion une adhésion à la demande sécuritaire et fasse reculer dans cette même opinion les principes de droits et les garanties issues de ne peut comprendre autrement l’acharnement contre les ordonnances de 45 sur la protection de l’enfance et le statut particulier des mineurs : contrairement à ce qu’on nous dit ce n’est pas l’accroissement de la dangerosité des mineurs qui le rend nécessaire mais la logique de punir le plus vite possible ceux qui sont nés dangereux.

Notre indigence à intervenir suffisamment fort dans le débat philosophique sécuritaire « peut-on accepter qu’il y ait plusieurs mondes du point de vue des droits ? » a permis à la droite libérale- autoritaire de construire son hégémonie.

Ce d’autant plus que la gauche officielle a largement accepté le sécuritaire de Villepinte où les marchands de soupe sécuritaire en ont fait la liberté première, en passant par Chevennement et ses sauvageons.

Ceci traduit la coupure de cette gauche avec les populations les plus exclues par le système libéral, l’incompréhension de la violence sociale subie par ceux-ci : la sous estimation voire la négation du racisme qui frappe les populations qui sont toujours qualifiées d’origine étrangère par une bonne partie de la gauche, y compris chez certains qui se réclament de l’antilibéralisme, en est le symbole. On en arrive ainsi à la passivité (voire l’acceptation tacite pour les plus « modernes ») de l’état d’urgence en 2005 en contradiction avec les principes démocratiques les plus élémentaires.

En voulant faire du libéralisme social sinon socialiste la gauche n’a su que mettre en place des politiques d’insertion qui ont-elles aussi contribué à la division des classes populaires en inventant un droit extra-ordinaire en rupture avec un système de solidarité collective qui reposait sur des mêmes droits pour tous. Un retour critique sur ces pratiques est nécessaire. Mais il ne nous sera pas d’une grande utilité s’il s’agit simplement de critiquer « l’autre gauche » celle qui a rallié le libéralisme mais aussi pou s’interroger sur pourquoi nous avons, nous-mêmes, eu des pratiques semblables où avons été incapables de mesurer qu’il fallait opposer des réponses.

Notre gauche impuissante ?

Il est vrai que le caractère centralisé (centralisme démocratique d’un type nouveau ?) de la monarchie mittérandienne puis du système politique sous la gauche dite plurielle nous a détournés du terrain des réponses concrètes pour se réfugier dans celui des grands principes.

Ce faisant nous avons laissé le champ libre aux autres pour apporter leurs réponses aux dégâts du libéralisme comme sur le terrain de la pauvreté, terrain que nous réduisons trop souvent à la baisse du coût du travail. Ces réponses méritent pourtant d’être examinées de près :

-  le « libéralisme compassionnel » que pratique la droite décomplexée d’aujourd’hui et qu’incarne Martin Hirsh. Ceux là s’occupe des pauvres et en particulier des plus pauvres et des plus désinsérés pour lesquels ils mettent en place des dispositifs qui améliorent vraiment leur situation ( c’est du moins comme cela que c’est ressenti par les intéressés). Quite à faire payer les moins pauvres au titre de la solidarité comme on le voit aujourd’hui avec le financement du RSA. Ceci justifie le « maltraitement » de toutes celles et tous ceux qui ne rentrent pas dans le moule des « bons pauvres ». Tout ceci crée de la segmentation et de la division entre les différentes catégories populaires en mettant en place des dispositifs qui les opposent.

-  le social libéralisme qui prétendait « unir les couches moyennes et les couches populaires » a pratiqué une prise en charge de ceux qui subissaient le plus le libéralisme en en faisant des catégories à part, coupées du salariat : le cas des chômeurs en est un exemple dramatiquement éclairant. La gestion du social s’est inspiré des méthodes du travail social en constituant le chômage comme un handicap ( ce qui se traduit par une individualisation des situations de chômage et de leur traitement)

-  au bout du compte ce sont des organisations caritatives, radicalisées sur leur terrain d’action (logement par exemple), qui ont le plus été capables de mener une critique en acte des conséquences sociales du libéralisme et de produire des solutions d’urgence sociale.

Faire de la politique autrement, ce n’est pas un accessoire..

Mais l’ensemble des mouvements sociaux radicalisés dans l’action, les mouvements altermondialistes, tout le courant qui s’est rué dans la brèche de novembre décembre 1995, a produit de la critique sociale quelquefois a un niveau de masse mais n’a pas su produire de l’alternative politique à la dérive de la gauche.

Nous avons sans doute surestimé l’impact de la dynamique du foisonnement d’actions et d’élaborations des mouvements sociaux, des forums sociaux etc... Un certain nombre d’acteurs se sont engagés dans le politique mais cela n’a pas pu modifier la division des tâches entre le politique et le social et a de ce fait laissé toute la place aux formations politiques traditionnelles, avec une baisse globale du camp de la gauche.

La « décennie antilibérale » n’a pu entamer de façon significative le verrouillage du champ politique confronté à une double crise : crise de la politique et crise de la représentation politique. Nous n’avons pas su apporter au moins des éléments de réponse crédible sur ces terrain et c’est Sarkozy qui s’est accaparé le volontarisme politique.

En sous-estimant la nécessité de changer la manière de faire de la politique, nous avons été incapables de montrer que la pratique politique pouvait se modifier et que c’est même la condition pour qu’elle redevienne efficace pour changer les choses. Avec l’échec du processus unitaire de 2006, nous n’avons pas su jeter les bases d’une stratégie de changement visible qui parte de la situation d’aujourd’hui, de ce que nous sommes aujourd’hui et qui dise comment nous pourrions devenir majoritaire ou capable de peser vraiment dans un premier sur le débat public et les décisions.

Faute de cela , nous sommes exclus du champ du politique, nous apparaissons comme de « doux rêveurs sympathiques » qui donnent un supplément d’âme à cette société. Au mieux nous sommes un groupe de pression qui cherche à faire passer auprès des politiques sérieux certains objectifs comme faire rentrer du vert dans les programmes.

Ce faisant nous faisons le jeu de PS au nom d’une politique du moins pire liée à la nécessité de freiner la contre révolution sarkozyste.

La nécessité de mener la lutte idéologique et politique face à cette contre-révolution - qui est un objectif immédiat nécessaire- risque de se transformer en un soutien de fait à un social libéralisme qui apparaît comme le seul rempart politique aux excès de la droite libérale autoritaire pour toute une partie du peuple de gauche : celle qui n’a pas connu la radicalisation de ceux qui de plus en plus faiblement se retrouvent dans l’extrême-gauche traditionnelle.

Ou celle pour qui le retour à la politique, la fin de l’abstention nécessite qu’on lui ouvre des voies rapides pour le changement. Pour ceux là, la théorie des deux gauches dont une minoritaire, ne peut peser sur la dérive droitière de l’autre, signifie que rien ne changera pour leur quotidien de demain.

Nous sommes là confrontés à une difficulté : il nous faut mener une critique radicale, en refusant la vision du monde que l’Etat et les médias cherchent à nous imposer et pas seulement résister aux contre-réformes en opposant des propositions alternatives. Il nous faut résister à la transformation policière et autoritaire de l’Etat en ouvrant des perspective de renouveau démocratique radical.

Mais comment mener ces tâches sans à un moment ou un autre « faire le jeu » du PS qui prétend suivre les mêmes objectifs généraux ?

En bouleversant les règles du fonctionnement politique traditionnel, du fonctionnement institutionnel pour permettre l’irruption des citoyennes, des citoyens et des mouvement sociaux dans les lieux d’exercice du politique.

Ceci implique une invention de nouvelles formes de fonctionnement d’une organisation nouvelle qui ne fonctionne plus sur le mode ancien de la représentation.

Etienne Adam
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