Le 29 octobre 2009, dans une « lettre ouverte à ceux qui feignent de croire en l’indépendance du parquet », le
Syndicat de la magistrature s’interrogeait sur l’attitude du procureur de la République de Nanterre dans « l’affaire
Bettencourt » : réquisitions d’irrecevabilité de la plainte de Françoise Bettencourt-Meyers pour des motifs
surprenants, appel contre la décision contraire du tribunal...
Bref, une activité procédurière peu banale en matière de
citation directe entre parties, où le parquet reste généralement discret.
Il était déjà évident pour tout observateur que ce procureur dépensait une énergie peu commune au service d’une
partie - au demeurant et sans doute par hasard - la femme la plus riche d’Europe.
Mais ce que donnent à voir de la Justice les récentes révélations de Médiapart, c’est la tragique confirmation des
relations malsaines nouées entre justice et politique, à savoir :
que, Patrick Ouart, conseiller justice de la présidence de la RépubliqueRépublique, n’hésite pas, durant l’été 2009, à
renseigner un individu, Patrice de Maistre, gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, sur la décision que
prendra, un mois plus tard, le procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye ;
que le même Patrick Ouart indique à Patrice de Maistre, courant avril 2010, que le « président continue de
suivre ça de très près (...). En première instance on ne peut rien faire de plus, mais on peut vous dire qu’en cour
d’appel, si vous perdez, on connaît très très bien le procureur. Donc c’est bien ». Ce « procureur » n’est autre
que Philippe Ingall-Montagnier, procureur général de Versailles, et, comme Patrick Ouart, figure de la droite
judiciaire (ils appartenaient tous les deux à l’Association Professionnelle des Magistrats) ;
que Liliane Bettencourt donne des sommes d’argent à des membres de l’UMP, ce qui peut permettre de
comprendre l’intérêt porté par le propre conseiller justice du Président de la République à ses affaires.
On aurait pu imaginer, après la diffusion de ces enregistrements, un peu de friture sur la ligne directe qui semble relier le Palais de l’Elysée et le parquet de Nanterre.
Or, non seulement ledit procureur de la République n’a pas paru s’émouvoir du fait que « sa » décision soit
parvenue, avec un mois d’avance, à la connaissance de Patrick Ouart, non seulement il n’a pas annoncé l’ouverture
pourtant indispensable d’une enquête sur les conditions dans lesquelles trois chèques semblent avoir été signés par
Liliane Bettencourt au profit de Valérie Pécresse, Nicolas Sarkozy et Eric Woerth, mais surtout, il a immédiatement
fait placer en garde à vue ceux qui, afin de démontrer la prédation dont serait victime leur employeuse, ont permis la
révélation de ces manoeuvres...
Ce faisant, Philippe Courroye s’est montré à la hauteur de sa nomination contre l’avis du Conseil supérieur de la
magistrature par un pouvoir exécutif empêtré depuis quelques semaines dans une série d’événements pour le moins
embarrassants.
Les « affaires Bettencourt » dévoilent donc, s’il en était encore besoin, la domestication totale de la hiérarchie du
parquet par le pouvoir exécutif dans les affaires sensibles.
Pendant ce temps, fidèle à sa propagande habituelle, ce pouvoir exécutif s’obstine à psalmodier le même discours autistique.
Quelques jours après ces révélations, Jean-Marie Bockel n’a en effet pas hésité à affirmer : « l’indépendance du parquet se manifeste tous les jours, y compris sur des dossiers sensibles ».
C’est officiel : M. Bockel est un secrétaire d’Etat sans compétence particulière.
Le Syndicat de la magistrature déplore une nouvelle fois la perte de tous les repères éthiques d’une certaine
hiérarchie parquetière.
Au-delà des investigations judiciaires qui s’imposent sur le volet financier de cette affaire, le Syndicat de la
magistrature demande à la garde des Sceaux d’ordonner une inspection sur la façon dont ont été gérées, par le
ministère public, en relation avec le conseiller justice de l’Elysée, les multiples ramifications de « l’affaire Bettencourt
».